Médias Traditionnels en Crise, Monté des Médias Numériques— La Covid19 et la Viabilité des Médias en Afrique de l’Ouest

0
1764

La communauté internationale est engagée depuis Novembre 2019 dans la lutte contre la maladie a Coronavirus (COVID-19). Depuis son éruption le virus a infecté plus de six millions de personnes, et a fait plus de 350 000 morts à travers le monde à la date du 3 juin 2020. Alors qu’il fait rage dans le monde entier, le virus a radicalement changé notre mode de vie, paralysé les économies et mis plusieurs entreprises en sérieuses difficultés financières. Bien que le virus ait été plus au moins lent à étendre son emprise sur le continent africain, il a déjà eu un impact considérable sur plusieurs industries en Afrique, y compris celui des médias qui voit constamment baisser son chiffre d’affaire.

Suite à l’éruption de la pandémie de Covid-19 en Afrique de l’Ouest, la baisse drastique des recettes publicitaires dont dépendent les organes de presse traditionnelles pour maintenir leurs activités est venue exacerber la situation préexistante de la viabilité financières des médias. Au Ghana, par exemple, l’industrie de la publicité est fortement touchée par cette pandémie. L’industrie a déjà annoncé avoir enregistré une perte d’environ GHc 100 millions depuis le premier cas de Covid-19 dans le pays. Si cette situation perdure, les médias qui dépendent lourdement des publicités risquent de vivre une sérieuse crise financière.

L’état des lieux n’est pas différent au Nigéria. “La Covid-19 affecte l’ADN même du modèle économique traditionnel qui permet aux médias de survivre ; publicités, tirages, et événementielles », a déclaré Dapo Olorunyomi, PDG de Premium Times, lors d’une interview. “Beaucoup d’annonceurs ne sont pas revenus et seront peut-être difficiles à reconquérir dans le court et moyens terme. Déjà 21 organes de presse ont informé leurs personnels d’une réduction massive du staff et des salaires”, a-t-il ajouté. Compte tenu du contexte actuel, le présent papier fait une analyse de l’impact financier du Covid-19 sur les journaux, les stations radio, et les médias en ligne.

Les Journaux

Plusieurs gouvernements dans la région Ouest Africaine ont adopté nombres de mesures en vue de limiter la propagation de la Covid-19. Ces mesures sont entre autres l’imposition du confinement, du couvre-feu, etc. Bien que nécessaires pour la lutte contre la Covid-19, Ces mesures ont eu un impact négatif sur la survie des médias traditionnelles, en particulier les journaux.

Emmanuel Akli, rédacteur en chef du Chronicle, un journal majeur au Ghana, craint que la pandémie pèse lourdement sur son journal. « Si cette pandémie devait continuer  sur une longue période, le secteur des journaux serait dévasté. Nous enregistrons une mévente car les clients ont même peur de toucher le journal par crainte qu’il soit infecté », a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique.

Au Mali, la situation n’est malheureusement pas différente de celle du Ghana. Certains journaux commencent à considérer mettre la clé sous le paillasson, en raison de leur incapacité à générer suffisamment de revenus. Youssouf Diallo, Directeur de publication au journal Lettre du Peuple au Mali, espère que le virus pourra être contenu dans une courte durée pour que les entreprises reprennent pleinement leurs activités sinon son média devrait cesser de fonctionner.

« Si d’ici Juillet la pandémie se poursuit, il se pourrait que nous fermions nos portes. Nous avons d’abord vu nos imprimeries avoir des difficultés à opérer la nuit en raison des couvre-feux, puis nos contrats publicitaires qui représentent 80% de nos revenus ont été annulés en raison de la pandémie », a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique.

Les journaux au Libéria sont également confrontés à des défis similaires. L’Association des Editeurs du Libéria (PAL) a annoncé la suspension de leurs tirages en raison de l’imposition de l’état d’urgence qui affectera la distribution de leurs journaux et entraînera une baisse massive des recettes.

Les Stations Radio

La radio reste le principal canal d’accès à l’information en Afrique de l’Ouest.  Son importance ne peut aucunement être sous-estimée dans le contexte actuelle de lutte contre la pandémie de Covid-19. Déjà, avant la pandémie, assurer la viabilité financière des stations radio était un exercice assez difficile et délicat.  Baye Omar Gaye, directeur général de Sud FM, une station radio leader au Sénégal, estime que si la situation ne change pas, des décisions difficiles concernant la ressource humaine au sein de la radio pourraient être prises.

« Aujourd’hui, tout porte sur le coronavirus qui n’est pas lucratif et n’aide pas à générer des revenus. Dans le contexte actuel où les activités économiques sont au ralenti, les entreprises ne sont pas intéressées par les publicités ; alors qu’environ 90% de nos revenus proviennent de publicités. Sur le long terme, il faudra peut-être prendre des décisions difficiles pour réduire les dépensent », a souligné M. Baye en lors d’un interview.

Au Burkina Faso, le gouvernement a imposé à la fois un confinement partiel et l’état d’urgence. Bien que plusieurs stations radios fonctionnent encore, Paul Miki Roamba, rédacteur en chef de Ouaga FM, basé à Ouagadougou, pense que l’avenir est incertain.

« Nous n’en sommes pas encore au point de licencier du personnel ou de ne pas pouvoir payer les salaires. Cependant, il n’y a aucune garantie que nous pourrions ne pas faire face à une telle situation car, une crise économique se profile en raison de l’effondrement de l’industrie de la publicité », a-t-il dit.

Les Médias en ligne

Alors que les médias traditionnels se débattent pour survivre en cette période de Covid-19, le contraire est enregistré au niveau des organes de presse en ligne. Les sites d’information enregistrent une augmentation de leurs nombres de visiteurs. Seneweb, un des sites d’information leader au Sénégal est l’une de ces plates-formes qui enregistrent cette augmentation. Selon Abdoul Fall Salam, directeur général de Seneweb, son site a connu une forte augmentation du nombre de visiteurs et reçoit maintenant des revenus du secteur public.

« Suite à l’éruption du virus, nous avons vu le nombre de visiteurs sur notre site Web augmenter de 30 % en moyenne. Et même si le secteur privé ne fait pas beaucoup de publicité de nos jours, nous avons enregistré une augmentation des communications gouvernementales que nous faisons à des frais », a-t-il souligné. 

Seneweb n’est pas le seul média en ligne à avoir enregistré une augmentation du nombre de visiteurs au cours de cette pandémie. D’autres grands sites d’informations en Afrique de l’Ouest, dont Banouto Média au Bénin, MediaForce-Afrique au Sénégal et l’International Centre for Investigative Reporting (Centre International pour le Reportages d’Investigation) au Nigéria, ont tous enregistré une augmentation massive du nombre de visiteurs de leurs sites.

Bien que cette augmentation ne se traduise pas encore en une augmentation de revenus pour certains médias, Ade Simplice Robert, directeur général de MediaForce-Afrique, pense qu’elle représente une opportunité permettant aux sites d’informations de gagner en notoriété.

La pandémie de coronavirus pose un sérieux défi financier a nombres d’entreprises médiatiques. Cependant, l’augmentation du nombre de visiteur des sites d’information et les perspectives d’amélioration des revenus au niveau des médias en ligne pourraient être un potentiel accélérateur d’une révolution numérique dans l’environnement des médias et pourrait conduire à une adoption des médias en ligne. Alors que la pandémie a des effets dévastateurs sur les médias traditionnels, elle favorise cependant une amélioration de la viabilité des sites d’information. Dans le contexte Ouest Africain où la qualité de l’internet reste mauvaise et coûteux, la viabilité des sites d’information n’est pas pour autant assurée et nécessiterait des analyses et réflexions plus profondes par toutes les parties prenantes.