Le Président Guinéen Prend le Contrôle de l’Organe de Régulation des Médias avec l’Entrée en Vigueur de La Nouvelle Loi

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President of Guinea, Alpha Conde

Le Président Alpha Condé a nommé par décret Boubabacar Yacine Diallo à la tête de la Haute autorité de la communication (HAC), une nomination qui a été décrite comme une tentative de contrôle des médias en Guinée.

La nomination de Diallo fait suite à une loi adoptée par le nouveau Parlement guinéen le 3 juillet 2020, qui donne au Président Condé le pouvoir de choisir le chef de l’organe de régulation des médias. Auparavant, le chef de l’organe de régulation était nommé par ses pairs.

La nouvelle loi 003 / CNT /2020 qui remplace la loi /2010/03/CNT de juin 2010 régissant la composition et les fonctions de la Haute autorité de la communication (HAC), a également augmenté le nombre de personnes nommées par le chef de l’Etat au sein du conseil d’administration d’un à trois.  Etant donné que le président de la HAC désigne à son tour les responsables des cinq commissions spécialisées de l’autorité, on craint que ce dispositif ne donne à l’exécutif un contrôle trop important sur les médias par le pouvoir exécutif.

Sidy Diallo, un dirigeant du syndicat des professionnels de la presse privée, le Syndicat des Professionnels de la Presse Privée de Guinée (SPPG), a exprimé ces craintes dans une interview avec les médias locaux.

“Nous sommes inquiets parce que, en bref, vu l’interprétation de cette loi, nous nous rendons compte que l’Etat veut contrôler la HAC, l’Etat veut contrôler les médias dans ce pays”, a-t-il déploré.

La nomination de Diallo, ancien président de l’organe de régulation appelé à l’époque Conseil national de communication, a été annoncée le 25 août 2020. Ancien directeur général de la radiodiffusion nationale et ex-ministre de l’Information, le nouveau patron de la HAC est également propriétaire de Radio Horizon FM située à Conakry et Kankan.

Aboubacar Algassimou Diallo, journaliste à Lynx FM, a réagi à cette nomination avec un optimisme prudent lors d’une interview avec la MFWA.

 “Il ne pouvait y avoir de candidat plus qualifié. Yacine Diallo est un vrai professionnel. J’espère seulement qu’il sera le point de repère de la nouvelle HAC dont la composition a suscité beaucoup d’inquiétudes. Je maintiens que la modification de la loi permettant au président de nommer le président de la HAC et d’avoir deux candidats supplémentaires au sein du conseil d’administration est un revers majeur. Elle renforce le sentiment que le pouvoir exécutif veut contrôler les médias par l’intermédiaire de la HAC et réduit encore la confiance dans l’indépendance du régulateur. Rétablir cette confiance dans le HAC fait partie du défi que Diallo devra relever, et j’espère qu’il y parviendra”, a déclaré M. Diallo.

Même sous la précédente dérogation, lorsque les présidents de la HAC étaient élus par leurs collègues commissaires, l’organe de régulation était souvent critiqué pour ne pas être suffisamment proactif et solide dans la défense des médias contre les violations commises par les acteurs étatiques.

Le 3 novembre 2017, six associations professionnelles des médias ont pris à partie la HAC pour ce qu’elles décrivent comme le mépris total du régulateur pour les médias et l’indifférence à leur égard. Dans une déclaration signée par leurs dirigeants respectifs, les six associations, URTELGUI, AGEPI, AGUIPEL, APAC, UPLG et REMIGUI ont annoncé qu’elles avaient prévu une “marche de la colère contre les abus et l’oppression que les médias privés nationaux ont subis aux mains de la Haute Autorité de Communication”. Elles ont déclaré qu’elles ne reconnaissaient pas l’organe de régulation tel qu’il était alors constitué et ont annoncé qu’ils rappelaient leurs représentants de l’institution afin de les remplacer par des agents plus professionnels.

Le 26 août 2019, des professionnels des médias privés ont pris d’assaut les bureaux de l’organe de régulation des médias, la Haute Autorité de la Communication (HAC), dans un sit-in de protestation suite à une série d’arrestations, de détentions et d’interrogatoires intimidants de journalistes par des agents de sécurité.

La HAC a également été accusée dans le passé de collusion avec le gouvernement pour censurer les correspondants étrangers critiques. Le 17 octobre 2019, la police de Conakry a détenu pendant plusieurs heures le reporter d’Al Jazeera basé à Dakar, Nicolas Haque, et son cameraman Hugo Bogaeert. La police a prétendu que les journalistes “espionnaient et portaient atteinte à la sécurité de l’État”. La HAC a suivi en annonçant qu’il avait retiré aux journalistes leur accréditation pour la production de “reportages ethnocentriques”.

Le 6 mars 2020, le gouvernement a expulsé un journaliste français, Thomas Pierre Dietrich. Le lendemain, le ministère de la sécurité et de la protection civile a expliqué qu’il avait annulé le visa du journaliste pour “s’être livré à des activités politiques internes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public”. Une fois de plus, le régulateur a apporté son soutien au gouvernement en confirmant qu’il avait retiré l’accréditation du journaliste pour avoir dépassé les limites de son permis.

Dans l’un de ses derniers actes avant de quitter ses fonctions, la HAC dirigé par Martine Conde a convoqué en juin 2020 les responsables de trois stations de radio, Nostalgie FM, Espace et Lynx FM, et leur a demandé de cesser de diffuser un spot publicitaire sponsorisé par une importante coalition anti-gouvernementale. Le spot du Front pour la défense de la Constitution (FNDC) appelle la population à poursuivre la résistance. Il indique qu'”une affaire a été portée devant la Cour pénale internationale contre ce régime dictatorial pour avoir commis un crime contre l’humanité”. L’organe de régulation a déclaré aux médias que le message était subversif et diffamatoire. Certains médias ont déclaré que la HAC avait mis en garde les stations de radio après avoir été lui-même convoqué par le président du Parlement, Amadou Damaro Camara.

L’ordre a été décrit comme un acte de censure contre les organisations de médias concernées et une violation des lois du pays.

“L’article 125 de la Constitution guinéenne d’avril 2020 prescrit le principe de la séparation des pouvoirs. L’ordre du président du parlement demandant à la HAC d’empêcher les radios de diffuser le spot publicitaire des FNDC viole donc la constitution”, a protesté Moussa Iboun Conte, président de l’Association guinéenne des éditeurs de la presse indépendante (AGEPI), dans un entretien avec la MFWA.

La Guinée se dirige vers des élections présidentielles dans moins de deux mois. Les médias devraient jouer un rôle clé dans le processus, en informant, en éduquant et en fournissant une plateforme aux citoyens pour accéder et évaluer les propositions de développement et de solutions concurrentes des différents partis et candidats. Pour remplir ce rôle de manière optimale et assurer une couverture médiatique efficace et sans incident des prochaines élections, le secteur des médias doit être dynamique et se renforcer mutuellement.

La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) demande donc aux nouveaux commissaires de la HAC d’entamer un dialogue avec les médias et de faire preuve d’un réel engagement pour promouvoir la liberté de la presse et la sécurité des journalistes en Guinée. Au demeurant, la HAC doit élaborer des stratégies pour aider les médias à assurer une couverture médiatique efficace et sans incidents des prochaines élections.