La Police Braque de Plus en Plus Leurs Armes sur Les Journalistes pour avoir Braqué leur Téléphone sur les Débordements Policiers

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Le 21 octobre, Segun Odunayo et Femi Dawodu, deux journalistes de The Punch Newspapers, ont été agressés par la police qui a également saisi leurs téléphones alors qu’ils couvraient, en direct sur Facebook, les manifestations #EndSars qui se déroulaient dans le quartier d’Alausa à Lagos.

“Ils ont saisi nos caméras et nos smartphones et nous ont déshabillés afin de s’assurer que nous n’avions pas de caméras cachées sur nous”, ont raconté les journalistes. Les policiers ont également menacé de leur tirer dessus lorsqu’ils ont montré leurs cartes d’identité en tant que journalistes.

L’incident ci-dessus témoigne à quel point la police craint les caméras des journalistes, ainsi que les préjugés d’hostilité qu’elle nourrit à l’égard des médias. Malheureusement, il y a lieu de noter qu’il ne s’agit pas d’incident isolé. Entre août 2020 et le 28 février 2021, la MFWA a documenté des agressions sur des journalistes et autres professionnels des médias au Ghana, au Sénégal et au Nigeria. Ces agressions sur plus de 20 journalistes ont été commises par des agents de sécurité parce que ces derniers avaient été filmés au cours de leurs activités. Dans certains cas, les agents de sécurité ou les voyous des partis politiques ont fait preuve de violence envers les journalistes d’une manière gratuite, qui laisse transparaître des préjugés ou une vendetta.

Au Nigeria, plusieurs journalistes ont été victimes de violences et se sont vu confisquer leurs caméras par des forces de sécurité soucieuses de censurer la couverture de leurs brutalités à l’encontre des manifestants, notamment lors des manifestations #Endsars.

Le 11 octobre, des policiers ont agressé le caméraman Francis Ogbonna et le reporter Ferdinand Duruoha de la chaîne de télévision Arise Television, alors qu’ils couvraient lesdites manifestations à Abuja. Dans une séquence vidéo publiée sur Twitter, on voit Duruoha raconter comment lui et son collègue ont été attaqués par des policiers en pleine entrevue avec des manifestants en direct sur Twitter. C’est dans cette foulée que la caméra d’Ogbonna a été saisie et brisée. Il est manifeste que la police craignait que ses violentes opérations de contrôle de la foule aient été filmées.

Le 28 novembre, dans l’État de Rivers, un groupe de soldats a arrêté et détenu pendant cinq heures Grace Alheri Abdu, correspondante de Voice of America (VOA). La journaliste s’était rendue dans la zone de gouvernement local (Local Government Area – LGA) d’Oyigbo pour faire un reportage sur les émeutes et prenait des photos des propriétés détruites lors de ces émeutes lorsque des militaires en patrouille dans la zone l’ont accostée et mise en détention. Les soldats l’ont accusée de diffuser en direct leurs opérations sans autorisation.

Le 6 janvier, des agents du Corps de sécurité et de défense civile du Nigeria (Nigeria Security and Civil Defence Corps – NSCDC) ont harcelé trois photojournalistes – Olatunji Obasa (The Punch), Olu Aremo (Leadership), et Mudashiru Atanda (The Sun). Ils ont également confisqué l’appareil photo d’Olatunji Obasa. Les journalistes filmaient la brutalité policière à l’encontre d’une femme au siège de la Commission nationale de gestion de l’identité (National Identity Management Commission – NIMC) à Abuja. Des centaines de personnes s’étaient rassemblées à la commission pour enregistrer leur carte SIM avec leur numéro d’identification national (National Identification Number – NIN).

“L’un des agents a menacé de détruire ma caméra, ce qu’il a fait. Il me l’a arrachée et l’a cassée”, a déclaré Obasa à la MFWA.

Le 28 février, des policiers ont attaqué Daniel Eniola, un journaliste du journal privé The Guardian, après qu’il ait photographié la démolition de bâtiments de fortune à Apapa, à Lagos.

Selon un rapport de The Guardian, un officier de police a proféré le juron “Vous êtes un bâtard” dès qu’Eniola s’est identifié comme journaliste, avant que d’autres officiers ne se joignent à eux pour agresser le journaliste.

Au Ghana, un soldat, identifié seulement comme le lieutenant Frimpong, a agressé Stanley Nii Blewu, un caméraman de TV3, pour avoir pris des photos d’un exercice de nettoyage à Tema Station à Accra le 12 août 2020. Le militaire, qui supervisait l’opération de nettoyage, a d’abord saisi le téléphone de Joseph Armstrong, collègue et reporter de Blewu.  Il s’en est ensuite pris à Blewu, qui avait défié ses ordres de rendre sa caméra, et a saisi son téléphone et sa caméra avant d’effacer tous les enregistrements des gadgets.

Le 7 octobre 2020, la police a saisi le téléphone portable du correspondant du journal en ligne Whatsup News, basé à Accra. Il a été contraint de supprimer les photos qu’il avait prises lors de leur descente dans les bureaux du journal pour arrêter le rédacteur en chef, David Tamakloe, à cause d’un article critique.

Dans un autre cas de phobie policière des caméras, un officier de police a arrêté, le 14 janvier 2021, Selorm Gborbidzi, un reporter du journal The Finder basé à Accra, parce qu’il avait filmé une bagarre entre l’officier et le conducteur d’un véhicule commercial. Le journaliste a été embarqué dans un véhicule de police et conduit au poste de police de l’Université du Ghana où il a été enfermé pendant quatre heures et libéré seulement après avoir remis son téléphone afin que les enregistrements soient effacés.

Le 15 janvier 2021, un groupe de gardes privés a agressé une équipe de journalistes de LUV FM, basée à Kumasi, lors d’un reportage sur un site d’exploitation minière présumé illégal à Manso, dans la région d’Ashanti, riche en minéraux, au Ghana. Sur ordre de l’exploitant du site, des militaires soupçonnés d’avoir été engagés à titre privé ont confisqué la caméra et les téléphones personnels des journalistes et ont effacé tous les enregistrements.

Au Sénégal, la police a rassemblé un groupe de journalistes et les a obligés à supprimer les photos de leur agression (policière) contre Adja Ndiaye, camerawoman du portail d’information en ligne Dakaractu. Elle s’était jointe à d’autres professionnels des médias pour suivre le cas d’un activiste populaire, Dj Malick, qui avait été convoqué par la brigade de la cybercriminalité le 28 septembre à Dakar.

Parfois, les agents de sécurité et autres groupes ou individus qui se sentent offensés par des rapports ou des commentaires publiés à leur sujet décident de se venger de tout journaliste qui se présente à eux.

C’est le cas d’Ebuka Onyeji, reporter du journal en ligne Premium Times, qui a été gratuitement agressé par des policiers alors qu’il couvrait le 11 octobre 2020, des manifestations à Abuja, la capitale du Nigeria. Selon un rapport du journal en ligne, lorsque Onyeji s’est identifié comme journaliste, l’un des officiers a proféré un juron de colère en disant “Dieu vous punit, journalistes”.

Dans un cas apparent de colère passé sur des innocents, certains officiers de police de l’État de Rivers ont agressé le 26 octobre 2020, Andortan Romeo, le responsable de la diffusion du journal The Guardian dans l’État, ainsi que ses homologues du journal THISDAY, Abel Jumbo et News Telegraph, Joe Etim, alors qu’ils étaient tous trois dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Le portail en ligne du journal The Guardian, guardian.ng, a rapporté que les agents de sécurité de l’unité Eagle Crack de la police de Port Harcourt les ont accostés et se sont énervés lorsqu’ils ont montré leurs cartes pour prouver qu’ils étaient des professionnels des médias.

“Nous leur avons montré nos cartes d’identité et ils sont devenus furieux, ils ont commencé à nous frapper et à nous torturer. Ils nous ont demandé de nous agenouiller et ont ensuite emmené Etim à leur poste pour qu’il tonde l’herbe”, aurait déclaré Romeo au journal.

La MFWA a également fait état d’un certain nombre d’attaques contre des journalistes motivées par des préjugés lors des élections générales du Ghana qui se sont tenues le 7 décembre 2020. Le 9 décembre, deux journalistes de Ghanaweb.com, Laud Adu-Asare et Sandra Obiribea, ont été agressés par des partisans du parti d’opposition National Democratic Congres (NDC). Ils couvraient une conférence de presse des dirigeants du NDC au siège du parti à Accra. Les assaillants ont déclaré que l’organe de presse pour lequel les journalistes travaillent avait un parti pris contre leur parti. Adu-Asare s’en est sorti avec le bras gauche contusionné et sa tenue de travail déchiquetée.

Le même jour (9 décembre), Osei Kwadwo Ambassador, un reporter de Pure FM, a été attaqué par des partisans en colère du National Democratic Congress (NDC) à Kumasi. Les assaillants ont accusé l’Angel Broadcasting Network (ABN), dont Pure FM est une filiale, de couvrir les élections de manière biaisée. Le téléphone portable du reporter a également été saisi par les voyous.

La MFWA trouve assez troublante, cette tendance des policiers à attaquer les journalistes et à effacer leurs enregistrements. En premier lieu, les journalistes ont le droit de couvrir toutes les opérations publiques des services de sécurité. Les agents ne sont autorisés à restreindre l’accès des médias à leurs opérations publiques que lorsque cela est nécessaire pour protéger la sécurité publique ou pour empêcher toute interférence avec leur travail. Toutefois, les agents de sécurité ayant fait preuve d’agressivité n’ont, dans aucun des cas cités ci-dessus, prétendu que les journalistes concernés avaient transgressé les limites imposées aux reportages ou aux prises de vue. Par ailleurs, ils n’ont aucunement indiqué que ces journalistes avaient interféré avec les opérations de sécurité ou porté atteinte à la sécurité publique.

Les policiers qui exercent leurs fonctions légitimes en public et qui le font de manière professionnelle ne devraient pas paniquer à l’idée que leurs activités soient filmées, même par des citoyens non journalistes. Si les policiers filmés sont convaincus que le reportage enfreint une loi, nous attendons d’eux qu’ils suivent une procédure régulière et ne recourent pas à l’usage arbitraire de la force.

Les journalistes ont des documents sensibles sur leurs téléphones, y compris éventuellement des détails sur leurs sources. La saisie et la fouille de leurs téléphones constituent donc une atteinte à leur vie privée. Nous demandons donc instamment à la police de négocier avec les journalistes plutôt que d’abuser de son autorité lorsque de tels tournages ont lieu. Nous demandons également aux dirigeants des services de défense et de sécurité en Afrique de l’Ouest de rappeler à l’ordre leurs agents qui attaquent les journalistes et saisissent ou détruisent leur matériel. Ils doivent interdire publiquement à toutes les forces de sécurité et de défense de saisir ou de détruire arbitrairement l’équipement des journalistes.

Outre la crainte d’être filmées alors qu’elles font un usage excessif de la force pour maîtriser des civils, notamment lors d’opérations anti-émeutes ou de répression de manifestations, ou d’être surprises dans un moment d’inattention, les forces de sécurité ont souvent de la rancune envers les journalistes et les médias en général lorsque des reportages critiques sont réalisés à leur sujet. Par conséquent, elles profitent de chaque occasion pour décharger leur bile sur les professionnels des médias qui se présentent à elles.

Il en va de même pour les affiliés de partis politiques qui agressent des journalistes. Les personnes ayant agressé les journalistes de Pure FM et de Ghanaweb.com lors des élections de décembre 2020 au Ghana ont accusé les médias pour lesquels travaillaient leurs victimes d’avoir un parti pris contre le leur.

Au regard de cette situation, la MFWA exhorte les partis politiques à éduquer leurs partisans sur le rôle des médias et l’importance de leur travail, ainsi que sur la nécessité pour eux de renoncer à attaquer les médias. Mais surtout, les partis politiques doivent démontrer leur aversion pour toutes les hostilités contre les médias en condamnant leurs partisans ou membres qui attaquent les journalistes et en coopérant avec les autorités pour traduire ces coupables en justice.