La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est perturbée par la suspension du diffuseur français Radio France Internationale (RFI), et exhorte les autorités du Burkina Faso à reconsidérer leur décision.
Dans une déclaration signée par le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouedraogo, le 3 décembre 2022, la junte au pouvoir a annoncé la suspension immédiate et jusqu’à nouvel ordre des programmes de RFI dans le pays. Le gouvernement accuse le radiodiffuseur de diffuser de fausses informations et d’encourager les militants islamistes.
« Dans un reportage diffusé ce samedi 03 décembre 2022, Radio France Internationale (RFI) se fait le relai d’un message d’intimidation des populations attribué à un Chef terroriste. Ce média contribue ainsi à une manœuvre désespérée des groupes terroristes en vue de dissuader les milliers de Burkinabè mobilisés pour la défense de la Patrie », lit-on dans le communiqué.
Le gouvernement a également accusé RFI d’avoir repris le 2 décembre 2022, une “information mensongère” selon laquelle le chef de la junte au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, aurait laissé entendre qu’il y avait eu une tentative de coup d’État contre lui.
Lors d’une rencontre entre le ministre de la Communication et les organisations professionnelles des médias le 6 décembre 2022, le ministre, Jean Emmanuel Ouédraogo, ancien directeur de la Radio et Télévision du Burkina (RTB), a souligné que le gouvernement ne n’acceptera pas que des journalistes donnent la parole à des terroristes.
La suspension de RFI survient exactement un mois après un premier avertissement lancé par les autorités. Le 3 novembre 2022, le gouvernement a manifesté son indignation face à « l’attitude tendancieuse » des journalistes de RFI et « leur propension à jeter un discrédit sur la lutte dans laquelle le Peuple burkinabè est engagé pour plus de liberté et de dignité ».
La direction de RFI « s’élève contre les accusations totalement infondées mettant en cause le professionnalisme de ses antennes », a indiqué le média dans un communiqué le 3 décembre 2022.
Le média indique que la décision du gouvernement de suspendre ses activités de diffusion dans le pays a été prise sans préavis et sans respecter les procédures prévues par la convention de diffusion de RFI avec le Conseil Supérieur de la Communication (CSC). La mission du CSC est de garantir la liberté et l’indépendance de l’audiovisuel, de la presse écrite et des médias électroniques dans le respect des lois régissant le secteur de la communication.
Dans un échange de courriels avec le MFWA, Raphaël Moran, Délégué syndical du Syndicat National des Journalistes (SNJ) de France Médias Monde, la maison mère de RFI, a condamné la suspension et rejeté les accusations du gouvernement burkinabé.
« Priver les auditeurs d’une chaine d’information libre et rigoureuse comme RFI est une très mauvaise nouvelle pour la liberté de la presse. Par ailleurs, les autorités du Burkina ont mis en cause le travail de nos collègues ce que nous contestons catégoriquement », a-t-il déclaré.
La suspension de RFI met en lumière la récente crise de régulation du secteur des médias. L’autorité de régulation des médias, le Conseil Supérieur de la Communication (CSC), vers laquelle le gouvernement était censé se tourner pour obtenir réparation de ses griefs, s’est enlisée dans une crise de leadership due à une prétendue ingérence du gouvernement. L’ancien président du CSC, Mathias Tankoano, a annoncé sa démission le 26 septembre 2021. L’élection de son adjoint, Abdoulazize Bamogo, en mai 2022, n’a été validée par le gouvernement que le 6 décembre 2022.
Cette année, le Burkina Faso est le deuxième pays d’Afrique de l’Ouest sous régime militaire et luttant contre les attaques terroristes à suspendre la diffusion de RFI.
Le 16 mars 2022, le gouvernement malien a suspendu RFI et France24 pour avoir émis de « fausses allégations sans fondement ». Les deux organisations de presse ont publié les résultats d’enquêtes les 14 et 15 mars 2022, alléguant que les forces armées maliennes (FAMa) étaient impliquées dans des exactions contre des civils.
La MFWA s’inquiète de la suspension de RFI par le gouvernement burkinabè. Cette décision prive un grand nombre de citoyens d’accès vital à l’information car RFI est écoutée chaque semaine par plus de 40% de la population et plus de 70% des leaders d’opinion. Cette suspension de RFI au Burkina Faso est un nouveau coup de massue porté à la liberté de la presse au Burkina Faso parce qu’elle pose les bases d’un précédent dangereux en matière de suspension arbitraire de médias dans la sous-région. En outre, cette action est susceptible d’intimider d’autres médias et journalistes au Burkina Faso, voire les pousser à l’autocensure. Nous demandons instamment aux autorités militaires de rétablir la diffusion de RFI au Burkina Faso tout en explorant d’autres voies pour résoudre les griefs éventuels.