Les 25 février et 18 mars 2023, le Nigeria a tenu ses élections générales très attendues. Celles-ci devaient marquer un tournant dans l’histoire de sa démocratie vieille de 24 ans. Ces élections ont suscité beaucoup d’enthousiasme, en particulier chez les jeunes du pays. Toutefois, en dépit de cet engouement et de l’attention mondiale dont elles ont fait l’objet, elles ont été ternies par le chaos, les malversations, la violence et les meurtres. En fin de compte, les élections présidentielles de 2023 au Nigéria sont restées dans les mémoires comme étant les plus controversées depuis le retour du pays à la démocratie en 1999.
Le chaos sanglant qui a marqué l’élection s’est accompagné d’une pléthore de violations de la liberté de la presse, notamment des agressions physiques contre des journalistes, le bombardement de stations de radiodiffusion et des sanctions ou menaces du gouvernement à l’encontre de médias.
La MFWA a publié des articles sur les divers incidents liés à la liberté de la presse qui ont été enregistrés au cours de l’élection. Dans la plupart des cas, ces violations ont été perpétrées en toute impunité. Cependant, comme l’a rapporté l’International Press Center (IPC), l’organisation partenaire de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) au Nigeria, aucun auteur n’a été traduit en justice.
- Avant les élections du 25 février 2023
Le 21 février, soit quatre jours avant les élections présidentielles, des voyous ont lancé un dispositif explosif dans un bâtiment abritant la station de radio privée Wish FM et le réseau de télévision Atlantic Television, détruisant leurs groupes électrogènes et un transformateur d’une puissance de 500 kilovolts. L’incident aurait eu lieu à 20 h 45, heure locale, à Ozuoba, dans la zone d’administration locale d’Obio Akpor, dans l’État de Rivers.
Ces médias appartiennent à un politicien membre du parti d’opposition Peoples Democratic Party (PDP), Chinyere Igwe, qui est également membre de l’assemblée fédérale nigériane.
La porte-parole de la police de l’État de Rivers, Grace Iringe-Koko, a déclaré dans un communiqué qu’une enquête avait été ouverte et que « les coupables seront poursuivis et subiront les foudres de la loi ».
Le 22 février 2023, une vingtaine de partisans du PDP ont agressé physiquement Jonathan Ugbal, rédacteur en chef du site d’information privé CrossRiverWatch. Le journaliste couvrait une manifestation menée par des jeunes de la communauté Ikot Abasi Obori à Calabar, la capitale de l’État de Cross River.
- Lors des élections du 25 février
Le 25 février, un journaliste du journal The PUNCH, Gbenga Oloniniran, a été arrêté par une équipe de policiers non loin de la résidence du gouverneur Nyesom Wike à Rumuiprikon, dans la zone d’administration locale d’Obio/Akpor, dans l’État de Rivers.
Selon le journal, Oloniniran, qui couvrait les élections, prenait des photos d’une scène où des policiers arrêtaient des jeunes dans un bureau de vote lorsque l’agent s’est jeté sur lui. Sans recueillir ses explications, les agents ont saisi le téléphone du journaliste, l’ont agressé et l’ont embarqué dans leur fourgon.
Oloniniran a déclaré que le policier avait pointé une arme sur lui et qu’il avait dû s’allonger au sol, face contre terre. Il a déclaré avoir été battu dans le fourgon et que les policiers avaient effacé les photos qu’il avait prises.
Le journaliste dit se souvenir que les policiers lui ont demandé :« Pourquoi est-ce que vous nous prenez en photo ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Venez ici et entrez dans le véhicule ».
M. Oloniniran a déclaré qu’il avait été libéré quelques heures plus tard, après que Grace Iringe-Koko, porte-parole du commandement de la police de l’État de Rivers, ait eu vent de l’affaire.
À Lagos, des agents des forces de sécurité, qui appartiendraient au Département des services de l’État (Department of State Services, DSS), ont effacé des fichiers contenant des photos du téléphone d’Adesola Ikulajolu. Le reporter, qui travaille pour le Centre for Journalism Innovation and Development (CJID), allait d’un bureau de vote à l’autre pour couvrir l’événement, lorsque les agents l’ont interrogé sur son travail et ont ensuite effacé les photos.
Dans la ville de Duguri, au sud-est de l’État de Bauchi, des policiers ont arrêté et détenu l’éditeur de WikkiTimes, Haruna Salihu Mohammed. Le journaliste était en train d’interviewer un groupe de femmes de la région qui manifestaient contre le gouverneur dans le centre de vote. Selon le gouverneur, cette manifestation visait à compromettre sa candidature à la réélection. Le gouverneur a également affirmé que M. Salisu avait été engagé par l’opposition pour produire des reportages négatifs sur lui et ruiner ses chances lors du scrutin. Bien que ces affirmations n’aient pas été prouvées, le gouverneur a fait arrêter le journaliste, l’a placé en détention et l’a inculpé de troubles à l’ordre public, en infraction avec l’article 114 du code pénal.
Le même jour, une horde de voyous de la zone d’administration locale de Gwagwalada a agressé physiquement Dayo Aiyetan, directeur exécutif de l’organisation à but non lucratif International Centre for Investigative Reporting, qui couvrait l’élection dans la région.
Les assaillants ont déchiré les vêtements d’Aiyetan et lui ont volé son téléphone, son sac à main et d’autres objets. Le journaliste raconte qu’un des assaillants a tenté de le poignarder, mais qu’il a réussi à se défendre. Après avoir signalé l’affaire à la police de Gwagwalada, Aiyetan a retrouvé la clé de sa voiture et son téléphone, dont le contenu a été effacé.
Des voyous, qui seraient des partisans du All Progressive Congress (APC) au pouvoir, ont attaqué physiquement Ajayi Adebola, un journaliste du média Peoples Gazette. Le journaliste était en poste dans un bureau de vote à Orile-Oshodi Ward, dans la banlieue centrale d’Oshodi, à Lagos.
Les voyous en colère se sont emparés du téléphone portable de Mme Adebola et supprimé les photos qu’elle avait prises. Les voyous étaient en train d’inciter les électeurs à voter pour Bola Tinubu et se sont offusqués d’avoir été filmés en plein acte.
Lors d’un autre incident, des jeunes ont attaqué une équipe composée de deux reporters et un chauffeur de la News Agency of Nigeria (NAN) à Ibadan, dans l’État d’Oyo.
Selon certaines sources, les jeunes en colère ont déploré les difficultés qu’ils rencontrent en raison de la pénurie de carburant et des nouveaux billets de naira. Ils ont déclaré que le gouvernement aurait dû résoudre ces problèmes au lieu d’organiser des élections.
Ces jeunes ont donc décidé d’empêcher quiconque de voter ou de participer à toute activité électorale dans la région, en insistant sur le fait que le gouvernement aurait dû se pencher sur ces questions avant d’organiser les élections.
Dans la ville d’Agbor, dans l’État du Delta, un groupe qui appartiendrait au Peoples’ Democratic Party (PDP), un parti d’opposition, a agressé physiquement Bolanle Olabimtan, une journaliste du site d’information privé TheCable. Le téléphone de la journaliste a également été confisqué et ses photos et vidéos supprimées avant qu’il ne lui soit rendu.
Un autre groupe, qui serait composé de partisans du PDP, a agressé cinq journalistes lors de trois incidents distincts à Sagbama, une commune de l’État de Bayelsa.
Au cours du premier incident, le correspondant du journal Daily Post, Akam James, a été battu et giflé dans le bureau de vote alors qu’il couvrait les opérations de vote.
Lors du second incident, Princewill Sede, éditeur du magazine d’information Upfront, et Jeany Metta, son rédacteur en chef, ont été agressés physiquement. Les agresseurs ont également détruit un appareil photo appartenant aux journalistes.
Lors du dernier incident, le journaliste de Television Continental (TVC), Joe Kunde, et le caméraman, Miebi Bina, se sont vus interdire de couvrir les élections et ont été renvoyés de la communauté.
3. Après les élections du 25 février 2023
Le 18 mars, l’équipe de la chaîne privée Arise News, composée du journaliste Oba Adeoye, du caméraman Opeyemi Adenihun et du chauffeur Yusuf Hassan, a été attaquée alors qu’elle utilisait un drone pour couvrir des plans au palais Elegushi à Lagos, considéré comme le bastion de l’APC, le parti au pouvoir.
Selon Arise News, M. Adenihun a été blessé au visage à la suite des attaques menées par des voyous politiques, alors que le drone de l’équipe et d’autres équipements ont été saisis. L’équipe a ensuite été emmenée dans un lieu non divulgué avant d’être relâchée. La police de Lagos a déclaré que l’affaire faisait l’objet d’une enquête.
Le même jour, Chibuike Chukwu, journaliste du site d’information privé Independent, a affirmé que deux fonctionnaires de l’INEC lui avaient interdit de prendre des photos et des vidéos dans un bureau de vote à Lagos.
Le 18 mars, une équipe de African Independent Television (AIT) a été harcelée par des voyous politiques alors qu’elle couvrait les élections législatives fédérales de l’État dans trois communes de Lagos, à savoir Eti-Osa, Ifako-Ijaiye et Amuwo Odofin.
L’équipe était composée d’Henrietta Oke, Amarachi Amushie et Nkiru Nwokedi. Le téléphone de Nwokedi a été confisqué, mais a ensuite été récupéré avec l’aide d’agents de sécurité. Amushie a quant à elle été malmenée par les voyous et sa caméra a été détruite.
Edwin Philip, qui dirige le département nouvelles et actualités de Breeze 99.9 FM, une station de radio privée située à Lafia, la capitale de l’État de Nasarawa, dans le centre-nord du Nigeria, a été agressé par des voyous et des agents de sécurité alors qu’il couvrait la perturbation du processus électoral dans un bureau de vote. Suite à cette agression, Philip a été blessé au poignet gauche.
Abiodun Jamiu, qui travaille pour le CJID, a été harcelé dans un centre de vote à Bodinga, le siège de la zone d’administration locale de Bodinga dans l’État de Sokoto, dans le nord-ouest du Nigeria.
Jamiu a déclaré aux médias locaux qu’il avait été approché par des hommes dans le bureau de vote qui lui ont demandé de décliner son identité. Après s’être présenté comme journaliste, Jamiu a déclaré que les hommes lui ont demandé de quitter les lieux sous peine d’être battu. Il a ajouté qu’il avait finalement été chassé du bureau de vote.
Un autre journaliste couvrant le processus électoral pour le CJID, Richard Ekeke, a été attaqué pour avoir pris des photos d’un incident présumé d’achat de votes dans la zone d’administration locale d’Esit Eket, dans l’État d’Akwa Ibom. Son badge a été arraché et déchiré par une foule en colère qui a ensuite brisé l’écran de son téléphone. Le journaliste a été giflé et frappé par la foule en colère.
Adejoke Adeleye, journaliste du média privé PM News, a été attaquée par une foule alors qu’elle couvrait les élections au poste de gouverneur à Itori Odo, dans la zone d’administration locale d’Abeokuta South, dans l’État d’Ogun, au sud-ouest du Nigeria. Adeleye a déclaré que la foule avait également agressé ses collègues journalistes ainsi que des fonctionnaires de la Commission électorale nationale indépendante (INEC), institution chargée de superviser les élections dans le pays. Au moins neuf autres journalistes ont également été attaqués au cours de l’incident.
Ashiru Umar, journaliste de la station privée Premier Radio, a été attaqué par des personnes qui l’accusaient de les avoir filmés sans leur consentement. Les voyous auraient battu Umar à l’aide de bâtons et de pierres et auraient tenté de le poignarder avec un couteau. Ils ont ensuite confisqué et détruit le téléphone d’Umar. L’incident s’est produit dans un bureau de vote à Galadanchi, une ville de l’État de Kano.
Un officier de police, connu sous le nom d’Isah, aurait menacé d’arrêter des journalistes couvrant l’élection sur la route de Sapele à Benin, dans l’État d’Edo, dans le sud du Nigéria. Le « délit » que les journalistes auraient commis, selon Isah, était qu’ils roulaient en convoi.
Bien que les journalistes se soient identifiés comme tels, Isah a insisté sur le fait qu’ils étaient illégalement en service puisqu’ils n’avaient pas d’escorte policière.
Lors d’un briefing ultérieur, M. Isah a déclaré que les journalistes auraient dû se limiter à un endroit précis pour faire leur travail et ne pas se déplacer comme ils l’ont fait.
Lorsqu’on lui a dit que les journalistes étaient libres de se déplacer entre les différents lieux où se déroulaient les élections pour en faire la couverture, Isah a qualifié les journalistes d’« analphabètes ». Apparemment, les journalistes se sont offusqués de cette déclaration et ont mis Isah en garde. En réponse, l’officier de police a menacé d’arrêter l’un des journalistes, Ozioruva Aliu, du journal Vanguard.
À Ikeja, capitale de l’État de Lagos, un groupe de voyous non identifiés a harcelé et forcé Ima Elijah, journaliste du site d’information privé Pulse.ng, à quitter un bureau de vote. Ima était accompagnée de son caméraman. Les voyous les ont empêchés de couvrir les élections dans la région en insistant sur le fait que le processus de vote dans la région ne devait pas être filmé en direct ou enregistré.
Le 19 mars, au lendemain des élections au poste de gouverneur, quatre agents de sécurité auraient empêché six journalistes, dont Stephen Enoch de Plus TV Africa, Ayo Adenaiye d‘Arise TV et James Oche, journaliste du campus de Bayero University Kano (BUK), de couvrir les activités d’un centre de dépouillement des bulletins de vote dans la ville de Kano.
Les journalistes ont affirmé qu’un fonctionnaire de l’INEC avait ordonné aux agents de sécurité de les empêcher d’accéder au centre. Ils ont ajouté que le fonctionnaire avait une liste de journalistes à qui il avait interdit l’accès au centre de dépouillement.
La MFWA est très préoccupée par les violations de la liberté de la presse enregistrées lors des élections de 2023 et exhorte les autorités nigérianes à mener des enquêtes approfondies sur les différents incidents et à traduire les auteurs en justice. Il est inquiétant de constater qu’au Nigéria la liberté de la presse est réprimée à presque chaque période électorale. Il est encore plus inquiétant de constater que les journalistes sont victimes d’attaques sans que rien ne soit fait pour que les auteurs de ces actes soient traduits en justice.
Les élections et la liberté de la presse sont deux composantes essentielles du processus démocratique, et les droits des journalistes impliqués dans ce processus ne doivent en aucun cas être bafoués. Le gouvernement nigérian doit donc veiller à dissuader les auteurs de violations en les obligeant à répondre de leurs actes. Il doit également veiller à créer un environnement propice et sûr permettant aux journalistes d’exercer leur métier en toute liberté en toutes circonstances.