Décriminaliser la Diffamation – MWA Exhorte le Nouveau Président du Liberia

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AFP PHOTO / SIMON MAINA

Aujourd’hui le 22 Février 2018 marque un mois de prise de fonction de George Weah comme le Président du Liberia, ayant remporté les élections présidentielles avec 61,5% des votes contre le Vice-Président sortant Joseph Boakai.

La conduite pacifique des élections, ainsi que l’aveu gracieux de défaite du Vice-Président Joseph Boakai est plutôt un tournant décisif dans les efforts du Liberia vers l’édification d’une société tolérante et démocratique d’après-guerre. Ce qui est d’autant plus rassurant c’est l’engagement du Président Weah lors de sa prestation de serment à gouverner par consensus et assurer la prospérité pour tous les libériens en s’attaquant à la corruption.

La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) et son organisation partenaire au Liberia (CEMESP) félicitent Son Excellence George Weah pour son élection et sa prise de fonction et lui souhaitent plein succès dans sa volonté de livrer la guerre contre la corruption.

Dans sa campagne de lutte contre la corruption, le président trouvera aura comme des alliés cruciaux les médias et les organisations de la société civile. Heureusement, le Liberia dispose d’une Loi sur les Droits d’Accès à l’Information et sa constitution garantit aux citoyens la liberté d’expression – deux outils puissants dans la lutte contre la corruption.

Cependant, la pleine jouissance de ces droits est compromise par une profusion de diffamation criminelle et des procès civils en diffamation qui ont donné lieu à de nombreux jugements excessivement repressifs. Les journalistes et les organes des médias ont été jusqu’alors frappés de lourdes amendes, de fermetures ou de longues peines d’emprisonnement pour des publications d’information considérées comme gênantes.

L’une de ces lourdes amendes a été perçue dans le cas de Rodney Sieh en 2013. Dans ce qui peut être considéré comme le jugement en diffamation le plus tristement célèbre en Afrique de l’Ouest, la Cour Suprême du Liberia a, le 20 Août 2013, condamné Sieh, Directeur de publication du journal FrontPageAfrica, à 5000 ans d’emprisonnement. Le jugement fait suite à l’échec de Sieh à payer l’équivalent de la lourde amende de 1,6 millions de dollars américains dans un procès civil pour diffamation dans lequel le Ministre de l’Agriculture, Chris Toe a porté plainte contre lui. Le journaliste a demandé pardon plus tard dans le cadre d’une résolution à l’amiable de l’affaire. .

En Juillet 2015, l’éditeur du journal Nation Times; Octavin Williams a été arrêté et maintenu en détention préventive pendant huit jours suite à une plainte déposée par un certain Tony Lawal, magnat de travaux publics, qui lui réclamait 4 million de dollars américains pour un présumé article diffamatoire. Le journaliste s’est présenté quatre fois devant la cour depuis lors.

Le 7 Octobre 2016, Philipbert Browne, l’éditeur du journal Hot Pepper a été arrêté et jeté à la prison Central de Monrovia sans procès et sur les ordres de la cour civile. L’emprisonnement de Browne pour diffamation faisait suite à un article qu’il a écrit sur la base d’une interview d’un présumé victime de viol. Le présumé auteur du viol, le législateur Prince Moye, a déposé une plainte en diffamation de 1,5 million de dollars américains contre Browne et Jah Johnson; le rédacteur en chef du journal Hot Pepper. Alfred Togbah, le rédacteur en chef du journal The People qui a été le premier a publié l’article, a comparu aussi dans le procès.

Comme le montrent clairement les cas de Philipbert Browne et Rodney Sieh, les jugements, même si relevant des cas de diffamation en civil, ont été excessivement punitifs ces derniers temps. De lourdes amendes et dommages sont souvent imposés, et tout défaut de paiement conduit aux détentions. Les journaux New Democrat, Analyst, Independent et New Broom sont quelques-uns des organes des médias qui ont récemment été la cible des excès de punition en poursuites de diffamation civile.

En novembre 2017, Tony Lawal a encore traduit en justice Joel Cholo Brooks, le rédacteur du journal en ligne GNN Liberia pour diffamation. L’homme d’affaires a demandé 10 millions de dollars américains à titre de dommage suite à une série d’article d’investigation dans lesquels Brooks a prétendu que l’homme d’affaires a été impliqué dans des contrats de travaux publics louches.

Le harcèlement des promoteurs des médias et les journalistes par des poursuites criminelles et des amendes prohibitives dans les cas civils ont conduit à l’expansion de l’autocensure et a affaibli les médias au Liberia. La situation a sérieusement freiné les devoirs de veille des médias aussi bien que l’habileté des citoyens à s’exprimer librement.

Au cours des cinq années passées, le paysage de la liberté de la presse au Liberia a été continuellement classé comme ‘’partiellement libre’’ dans le classement mondial de la Liberté de la Presse de la RSF sur ces violations de la liberté d’expression et l’environnement difficile dans lequel les médias travaillent.

Avant de quitter la présidence, Ellen Johnson Sirleaf a tenté de faire quelques amendements en prenant des mesures pour modifier la loi de diffamation criminelle. Le projet de lois visait à amender les lois répressives suivantes dans le code pénal du Liberia : Diffamation Criminelle contre le Président, Section 11.12 (sur l’insurrection) et la Section 11.14 : Malveillance Criminelle de la Loi Pénale du Liberia.

Malheureusement, la Chambre des Représentants n’a pas pu examiner le projet de lois avant leur vacance parlementaire en Octobre 2017.

Tout l’honneur est au Liberia d’avoir doté ses citoyens d’une base légale de demande de reddition de comptes en adoptant une Loi sur le Droit à l’Information en 2010. Le pays va se doter de lois progressives sur la liberté de la presse si la loi sur la diffamation criminelle est éventuellement abrogée. Une telle perspective sera une avancée majeure pour la liberté de la presse dans le pays.

Par conséquent, nous recommandons au Président George Weah d’user de ses bons offices pour garantir l’amendement des sections anti-liberticides du Code Criminel du Liberia pour donner un nouveau souffle de vie aux médias dans la pays, donc en renforçant la capacité des médias à soutenir son agenda de lutte anti-corruption et aussi la jeune démocratie du pays.