La Cour constitutionnelle du Mali a mis en garde le public contre les “remarques insurrectionnelles, subversives et séditieuses” sur les médias sociaux et les médias. La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest considère cela comme une tentative pour dissuader et ‘intimider les critiques du gouvernement.
Le 1er juin 2020, la Cour a publié un communiqué disant que “la Cour constitutionnelle du Mali porte à l’attention de l’opinion nationale et internationale, qu’en tant qu’institution de contrôle ayant pour mandat de veiller légalement à la sauvegarde de la Constitution et au bon fonctionnement des institutions de la République, nous constatons avec regret qu’en violation des dispositions constitutionnelles et légales et des conventions républicaines, certains partis et mouvements politiques publient sur les réseaux sociaux et dans les médias des propos insurrectionnels, subversifs, séditieux appelant à la démission de la première Institution, qui est le Président de la République”.
“Tout en condamnant ces actes qui portent atteinte à la cohésion sociale, la Cour s’oppose aussi fermement à toute tentative de remise en cause du caractère républicain et laïc de l’Etat”, a ajouté la déclaration signée par le Président de la Cour, Madame Manassa Danioko.
La déclaration mentionne également les dispositions suivantes de la Constitution du Mali :
Article 45 : Les partis politiques ne doivent pas porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public, ainsi qu’aux droits et libertés individuels et collectifs, etc. Aucun parti ne peut être formé et organisé sur une base ethnique, religieuse, linguistique, régionaliste, sexiste ou professionnelle.
Article 46 : Les partis politiques ne peuvent être constitués et organisés sur une base ethnique, religieuse, linguistique, régionaliste, sexiste ou professionnelle : les partis politiques reconnus coupables de délits peuvent être soumis aux sanctions suivantes : avertissement ; suspension ; dissolution.
Il fait également référence à l’article 4 de la loi n°004-038 / du 05 août 2004 relative aux associations qui stipule que “toute association fondée sur une cause ou ayant pour but un objet illicite, contraire à la loi, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et au caractère républicain de l’Etat, est nulle et sans effet”.
Il a ensuite invité le gouvernement “à appliquer scrupuleusement les articles susmentionnés de la Constitution et de la charte des partis politiques, sans préjudice des sanctions prévues”.
Cette mise en garde est intervenue quatre jours avant une manifestation massive organisée par une coalition d’organismes religieux, l’opposition politique et des organisations de la société civile pour exiger la démission du président Ibrahim Boubacar Keita pour mauvaise gouvernance, notamment dans le domaine de la sécurité. Comme prévu, les médias traditionnels et sociaux ont été largement utilisés pour obtenir le soutien du public à la cause et mobiliser les masses pour la manifestation.
Le Mali est aux prises avec l’insécurité depuis le déclenchement de l’insurrection jihadiste dans certaines régions du pays il y a environ dix ans. Le leader de l’opposition, Soumaïla Cissé, a été enlevé par des hommes armés en mars 2020 dans la région de Tombouctou. Cissé, qui est toujours détenu par ses ravisseurs, s’était rendu à Tombouctou pour faire campagne à l’approche des élections législatives du Mali.
Le MFWA est en désaccord total avec la description faite par la Cour constitutionnelle du Mali des appels à la démission du président Ibrahim Boubacar Keita comme un acte de subversion. Dans une démocratie, les citoyens, les militants et les partis politiques ont le droit constitutionnel d’exprimer leur désapprobation à l’égard des performances des dirigeants élus et même d’exiger leur démission pour de mauvaises performances. Si les citoyens se voient refuser ce droit, l’impunité et l’absence de responsabilité s’installeront. De plus, c’est le déni de ces droits qui peut conduire à la rébellion et à des violations de la paix.
Nous trouvons également problématique que la Cour constitutionnelle demande à l’exécutif d’appliquer la loi contre ses détracteurs et l’opposition, surtout à un moment où le gouvernement est sous pression et pourrait être tenté de réprimer la dissidence.
En outre, le gouvernement ne peut pas faire appliquer les lois susmentionnées sans recourir aux tribunaux. Malheureusement, la Cour constitutionnelle s’est portée préjudice en qualifiant de séditieuse la demande de démission du président Keita. En conséquence, elle a disqualifié le pouvoir judiciaire en tant qu’arbitre impartial, au cas où le gouvernement déciderait de persécuter ses critiques et ses opposants.
À la lumière de ce qui précède, la MFWA demande instamment à la Cour constitutionnelle de s’abstenir de prendre des positions susceptibles d’encourager l’exécutif à censurer ou à harceler ses critiques et ses opposants.
En attendant, nous félicitons les organisateurs de la manifestation du 5 juin 2020 et les forces de sécurité pour le déroulement pacifique de l’événement.