La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est profondément préoccupée par les récentes réquisitions arbitraires de leaders d’opinion au Burkina Faso et exhorte la junte à mettre un terme à ces actes qui constituent une violation flagrante des droits humains.
Le 6 novembre 2023, le pouvoir en place, dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, a pris la décision de réquisitionner deux éminents journalistes pour les envoyer sur le front dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Il s’agit d’Issaka Lingani, chroniqueur régulier de l’émission politique « Presse Echos » sur BF1 TV, et de Yacouba Ladji Bama, journaliste d’investigation, rédacteur en chef et fondateur du site d’information en ligne Bam Yinga. L’avis de réquisition de Lingani indiquait qu’il suivrait une formation militaire de deux à trois semaines et qu’il serait déployé sur le terrain jusqu’en février 2024.
Alors que Lingani, âgé de 64 ans, serait entré dans la clandestinité, Bama vivait déjà hors du pays depuis des mois en raison des menaces des membres de la junte et de leurs partisans.
Plus d’une dizaine de citoyens ont également été réquisitionnés. La plupart d’entre eux sont des politiciens, des journalistes, des militants des droits de l’homme et des leaders d’opinion critiques à l’égard du gouvernement actuel. Parmi eux, on trouve des personnalités telles qu’Ablassé Ouédraogo, un politicien de 70 ans, qui est le président du parti « Le Faso Autrement » et est également connu pour sa critique de la gestion du pouvoir de la Transition.
Les réquisitions touchent également Dr. Daouda Diallo, fondateur du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), et Rasmane Zinaba, un jeune militant du Balai Citoyen, un mouvement influent dans la société civile burkinabè.
Le cas de Gabin Korbéogo, un enseignant-chercheur, président de l’ODJ (Organisation Démocratique de la Jeunesse du Burkina) et Secrétaire général du Bureau exécutif national de cette organisation, est également préoccupant.
Un des concernés réquisitionnés a anonymement confié à la MFWA que cette manière de procéder est « illégale, liberticide, vise à imposer la pensée unique ».
« Dans le cas qui nous concerne la réquisition vise des personnes clairement choisies pour leurs avis critiques sur la gestion de la Transition. Toutes ces personnes sont reconnues pour leur avis critiques contre la gestion de la Transition. La présente réquisition est le couronnement d’actes de menaces, d’injures d’enlèvements de proches, etc. », renchérit-il.
Au cours d’une conférence de presse tenue le 6 novembre 2023 à Ouagadougou, des organisations de la société civile ont dénoncé et condamné la nouvelle vague de réquisitions qui a également visée certains de leurs membres.
Les actions du gouvernement Burkinabè s’appuient sur une loi de mobilisation générale signée par le capitaine Ibrahim Traoré pour une durée d’un an, notamment le décret n° 2023-0475 / PRES-TRANS / PM / MDAC / MATDS / MJDHRI du 19 avril 2023, portant mobilisation générale et mise en garde.
Selon l’article 2 de ce décret, la mobilisation générale confère au gouvernement le droit de requérir des personnes, des biens et des services, de contrôler et répartir les ressources pour le ravitaillement, et d’imposer des sujétions nécessaires. L’article 3 précise les conditions de réquisition uniquement pour les biens et services, permettant au gouvernement de le faire avec compensation ou indemnisation dans le but de fournir les moyens nécessaires aux services et aux troupes pour leurs missions.
Force est de constater que le décret ne prévoit nulle part la réquisition de personnes. La référence à la réquisition de personnes est uniquement présente dans l’article 5 du décret relatif au Commandement des Opérations du Théâtre National (COTN). Cependant, ce décret ne permet pas la réquisition de personnes simplement pour observer la situation sur le front. Ainsi, les réquisitions sont contestées et fondées sur le décret du 14 novembre 2022 portant organisation, attribution et fonctionnement du COTN.
Toutefois, bien avant ce décret, les autorités avaient enrôlé de force un acteur de la société civile. Il s’agit de Boukaré Ouédraogo, qui dirige le Mouvement l’Appel de Kaya, un groupe de la société civile, qui a été emmené sur le front après avoir porté un regard critique sur les efforts de guerre lors d’une conférence de presse tenue le 16 mars 2023 à Kaya.
La MFWA tient à rappeler que de telles mesures répressives sont préoccupantes car elles sapent la liberté d’expression et portent atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. Nous demandons aux autorités du Burkina Faso de respecter les droits fondamentaux et de révoquer immédiatement ces réquisitions arbitraires.
Les réquisitions forcées sont une forme d’intimidation visant à faire taire des voix critiques. Ces actes représentent une menace pour la démocratie et le pluralisme d’opinions. Par conséquent, les autorités devraient s’abstenir de recourir à l’état d’urgence pour s’en prendre à leurs détracteurs.