La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est extrêmement alarmée par la révélation que la ministre des Communications, Mme Ursula Owusu-Ekuful, a donné instruction au Groupe de radiotélédiffusion, la Ghana Broadcasting Corporation (GBC) de céder trois de ses six chaînes sur la plateforme de télévision numérique terrestre. L’instruction du ministre doit être respectée dans un délai de 60 jours.
Nous nous interrogeons sur la légitimité et l’opportunité, ainsi que sur la logique et la prudence, de cette directive, pour les raisons suivantes.
Premièrement, la directive porte atteinte aux dispositions constitutionnelles et réglementaires pertinentes sur la gouvernance institutionnelle et l’indépendance opérationnelle du radiodiffuseur d’État et le pluralisme des médias en général. Guidés par les leçons de l’histoire, la Constitution de 1992 et d’autres textes législatifs d’habilitation ont cherché à élever des garde-fous autour des médias d’État en particulier. Ces dispositions juridiques visent à éviter les interférences dans la gestion et la discrétion éditoriale des médias d’État. Elles visent également à permettre aux médias d’État d’offrir une voix et une visibilité équitables à tous les segments de la population nationale, y compris les groupes et intérêts minoritaires.
Le Ghana est également signataire d’un certain nombre de chartes et de conventions régionales – dont les plus importantes sont la Charte africaine sur la radiodiffusion adoptée à Windhoek en 2001 et la Déclaration conjointe sur l’indépendance et la diversité des médias à l’ère numérique, adoptée à Accra en 2018 – qui visent à établir une vision commune pour des systèmes de médias indépendants et inclusifs. Non seulement cette tentative du ministre de la communication de fermer trois des chaînes de télévision du radiodiffuseur d’État est l’expression d’un abus de pouvoir ministériel, mais elle réduit aussi injustement l’empreinte du radiodiffuseur de service public au sein de la plateforme actuelle de 40 chaînes.
Deuxièmement, et en rapport avec l’observation ci-dessus, la raison invoquée pour la directive invoque une curieuse lacune de logique. Elle défie également les normes d’équité. Selon la lettre du ministre, la raison pour laquelle la GBC doit abandonner les trois chaînes “est d’assurer une redondance sur la plateforme TNT nationale qui est actuellement à pleine capacité”. Cela soulève la question, car jusqu’en avril 2020, de nouvelles chaînes de télévision privées étaient ajoutées à la plate-forme TNT. Pourquoi les chaînes ont-elles continué à être attribuées ? Et au fur et à mesure qu’elles étaient ajoutées, les gestionnaires de la plateforme TNT n’étaient-ils pas au courant de la prétendue nécessité de redondance sur la plateforme ? Qui sont les propriétaires des chaînes récemment mises en service ?
Soit dit en passant, la plate-forme s’appuie sur la GBC, que la politique de radiodiffusion DDT récemment révisée reconnaît comme “le radiodiffuseur national et la station de télévision ayant la plus large couverture dans le pays” pour permettre la progression vers l’accès universel. Cette dépendance de la plate-forme TNT à l’égard de la GBC se reflète également dans l’engagement des ressources de la GBC dans la construction de la plate-forme. Sur les 42 sites qui accueillent actuellement la plateforme TNT, 38 sont des sites GBC. En effet, on peut affirmer que GBC est actuellement le catalyseur de la plateforme TNT. En outre, si ces sites appartenant à GBC devaient être loués commercialement, le radiodiffuseur d’État gagnerait plus de 7 millions de dollars par an. Cela signifie que la GBC est un contributeur majeur plutôt qu’un passif sur la plateforme.
Ainsi, compte tenu de ses intérêts en matière de ressources dans le déploiement de la plateforme, et compte tenu de son orientation nationale et de sa propriété, pourquoi la GBC devrait-elle être victime de cet acte d’opportunisme présumé ?
Selon le ministre des communications, la directive de GBC de renoncer aux trois chaînes de la plate-forme TNT est aussi due au fait que ni “l’État” ni “la sécurité nationale” ne disposent de moyens pour “diffuser une communication urgente” au public. Cette situation est intenable, compte tenu de la politique et de la pratique claires de la GBC depuis sa constitution initiale en vertu de l’instrument de la Ghana Broadcasting Corporation, 1965 (LI 472) et des transformations législatives ultérieures du décret actuel de la GBC, 1968 (NLCD 226) – et de ses modifications. En tant que radiodiffuseur public, la GBC a toujours été au service de la présidence et du Parlement – et de tous les piliers de l’État – pour transmettre ou couvrir les événements et les actualités de l’État.
L’explication du ministre est particulièrement contre-intuitive en ce moment, alors que le président s’est appuyé sur les chaînes de la GTV pour présenter ses mises à jour périodiques sur la réponse du Ghana à la pandémie COVID-19. En effet, les six chaînes de télévision de la GBC fonctionnent 24 heures sur 24, chacune avec une orientation différente, et contribuent, collectivement, au caractère diversifié mais inclusif de la GTV en tant que radiodiffuseur d’État/public. Par conséquent, la directive du ministre, si elle est respectée, peut constituer une ingérence implicite dans les décisions de programmation et la discrétion éditoriale de la GTV ou une influence sur celles-ci, ce qui est contraire aux articles 162 et 163 de la Constitution. Ainsi, la directive du ministre ne concerne pas seulement des chaînes ; il s’occupe aussi du contenu.
Une autre raison de douter de la directive adressée au directeur général de la GBC d’tre un acte isolé et prudent de bonne foi est la suivante :
Le plan de mise en œuvre de la migration vers la TNT propose la création d’une entité soi-disant indépendante, mais contrôlée par l’exécutif – la Central Digital Transmission Company Limited (CDTCL) – pour gérer la plate-forme TNT dans un souci de transparence et d’équité. Pourquoi le ministère, par l’intermédiaire du ministre, est-il devenu le seul gestionnaire de la plateforme TNT ?
L’instruction directe donnée à la GBC ignore aussi complètement le rôle de surveillance de la Commission nationale des médias (NMC), tel qu’il est énoncé dans les articles 167 à 173 de la Constitution. Les articles pertinents de la Constitution exigent de la NMC qu’elle supervise les opérations du radiodiffuseur d’État et qu’elle le mette à l’abri du contrôle et de l’ingérence du gouvernement, comme le fait le ministre des communications. Dans le cadre de ce mandat, la NMC nomme le conseil d’administration et, par extension, le directeur général de la GBC. Le NMC est un organisme indépendant et non un appendice d’un ministère quelconque. Alors pourquoi le ministre ignore-t-il la NMC lorsqu’il donne des instructions à la GBC ? Pourquoi la NMC n’a-t-il même pas été copié dans la lettre ?
Le NMC, avec la pleine conscience du gouvernement, a annoncé l’inauguration d’un comité le 27 janvier 2020, pour évaluer et faire des recommandations pour la réforme de la GBC afin de devenir un radiodiffuseur de service public dynamique et viable. Le comité est présidé par l’expérimentée et très estimée Elizabeth Ohene. Pourquoi le ministre semble-t-il préjuger du résultat des travaux du comité ?
Tous ces facteurs donnent du crédit aux inquiétudes concernant un projet naissant visant à délégitimer systématiquement l’éthique de service public de la GBC, à saper sa capacité à accéder aux ressources opérationnelles nécessaires et à fournir l’alibi pour la cession de ses actifs dans les mains de capitalistes et de mécènes politiques.
La MFWA appelle le ministre de la communication, agissant au nom du gouvernement de S.E. le président Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, à retirer ladite directive, à moins que nous ne l’exhortions à le faire. Nous demandons également au NMC d’affirmer sa responsabilité constitutionnelle de proteger le radiodiffuseur d’État de l’interférence et du contrôle du gouvernement. La NMC devrait intervenir d’urgence pour empêcher le Conseil d’Administration et la GBC de se conformer à l’instruction illégale et hostile du ministre des communications.