Coup au Gabon : la junte ne doit pas perpétuer la suppression de la libre expression

Dans cet article, Melvine Evrard L. Enzeng, assistant de programme à la MFWA, originaire du Gabon, partage ses réflexions sur le coup d’État du 30 août dans son pays d’origine.

Le 30 août 2023 le Gabon a été témoin d’un coup d’état. Cette date restera une des plus importantes pour le peuple gabonais car il s’agit du tout premier coup d’État de son histoire, après une tentative non aboutie en 2018.

La situation actuelle au Gabon est incertaine et inquiétante compte tenue de l’impact considérable qu’elle pourrait avoir sur la population, et surtout parce qu’elle s’inscrit dans une vague de coups d’État perturbateurs qui ont eu lieu en Afrique – plus de 5 coups d’État en l’espace de 3 ans.

Mise en Contexte

La dynastie Bongo a gouverné le peuple gabonais pendant 56 ans au total – Omar BONGO, le père, a été au pouvoir pendant 42 ans, et Ali BONGO le fils, a pris le relais pendant 14 ans. La gouvernance de la dynastie Bongo au cours des cinq dernières décennies a été caractérisée par plusieurs incidents liés à des élections frauduleuses qui ont conduit à des crises post-électorales et à des violences en traînant des pertes en vies humaines. Cette situation récurrente de chaos résume l’origine de la détérioration de la situation politique et économique du Gabon.

Les deux mandats d’Ali Bongo, fils de feu Omar Bongo, ont été marqués par une mauvaise gestion économique. Cette gestion a été largement critiquée et a conduit à la fermeture d’un certain nombre de grandes entreprises créatrices d’emplois pour les Gabonais. Cette situation a considérablement augmenté le taux de chômage dans le pays.

La corruption a également porté atteinte à la stabilité de l’économie. Il y a par exemple le fameux cas d’un ministre qui a été emprisonné pour avoir détourné près de 500 milliards de francs CFA (800 millions de dollars), soit 25 % du PIB du Gabon.

Nous pouvons également noter le prêt de 500 millions d’euros (531 millions de dollars) accordé par la BAD en 2018, qui avait pour but de soutenir les réformes du pays visant à rétablir la stabilité macroéconomique et à assainir durablement ses finances, suite à l’effondrement des cours du pétrole. Les résultats escomptés ne se sont toujours pas fait ressentir.

En 2016, la liste de près de 100 projets annoncés par Ali Bongo nécessitait des fonds de la part du gouvernement. Bien que ces projets aient tous été financés, seuls 13 des 100 projets ont été réalisés.

Cette gabegie et cette corruption flagrantes ont en effet plongé le pays dans une tourmente économique et politique totale. Des conséquences grave et inquiétantes pour un pays pourtant si riche, si prometteur et d’à peine 2,5 millions d’habitants, dont le potentiel lui a valu d’être comparé à la ville populaire de Dubaï.

Les facteurs déclencheurs du coup d’État

Le 25 octobre 2018, Ali Bongo est victime d’un accident vasculaire cérébral et est hospitalisé en Arabie Saoudite. Son état de santé qui ne s’est manifestement pas beaucoup amélioré depuis, et qui l’a tenu à l’écart de la présidence pendant un an, avait toujours suscité des interrogations sur l’efficacité de son leadership en tant que président. Cela avait jeté le doute sur sa capacité à effectuer un troisième mandat.

La population, consternée par la situation du pays, par le mauvais leadership du Président Ali Bongo, et submergé des souvenirs amers du coup d’Etat électoral de 2016, s’est rendue aux urnes le 26 août 2023, avec la ferme résolution de prendre son destin politique en main.

Cependant, leur détermination s’est heurtée aux vieilles tactiques de manipulations électorales. Comme les précédentes, les élections de 2023 ont été caractérisées par des irrégularités flagrantes. Par exemple, des noms de personnes décédées figuraient encore sur les listes électorales, les bulletins de vote de certains candidats étaient soit insuffisants, soit absents dans plusieurs bureaux de vote, et des candidats qui s’étaient retirés y figuraient toujours.

En dépit de ces difficultés, les électeurs gabonais sont allés voter dans l’espoir de mettre fin à l’ère Bongo. Ils pensaient avoir voté de manière retentissante en faveur du changement et de la construction d’un édifice nouveau et prospère. Mais un nouveau choc électoral les attendait !

À l’aube du mercredi 30 août 2023, la commission électorale du Gabon a annoncé qu’Ali Bongo avait été réélu avec 62 % des voix, contre 42 % pour son principal adversaire, Ondo Ossa. La quasi-totalité du pays pousse un grand soupir d’incrédulité, de colère et de révolte.

Les dirigeants militaires ont apparemment pris le pouls de la nation avec une acuité infaillible. Ainsi, une heure après l’annonce du coup d’État électoral, un autre Coup d’Etat fut également annoncé par des militaires à la télévision nationale gabonaise. Dirigé par le colonel Ulrich MANFOUMBI MANFOUMBI, un groupe de soldats a annoncé à une nation consternée qu’Ali Bongo Ondimba avait été renversé. Le lendemain, le général Brice Clotaire Oligui Nguema est annoncé comme le nouveau chef de la junte.

Un jour après son renversement, Ali Bongo Ondimba, assigné à résidence et en plein désarroi, a envoyé un message vidéo dans lequel il demandait à « ses amis » de « faire du bruit » à propos de l’oppression qu’il subissait. Il semble assez ambigu qu’Ali Bongo appelle maintenant à faire du bruit, alors qu’il a lui-même été un oppresseur. Pendant plusieurs années, il a violé les règles constitutionnelles et bafoué le respect de la liberté d’expression chaque fois que le peuple gabonais exprimait son mécontentement en « faisant du bruit ».

Autre paradoxe : le président Ali Bongo avait ordonné la fermeture d’Internet pour faire taire le peuple gabonais et empêcher le monde d’accéder aux informations relatives aux élections. Devenu prisonnier, il se voit contraint de demander que l’on « fasse du bruit » – évidemment sur Internet – pour alerter le monde sur son sort.

Il est d’autant plus ironique qu’un président qui vient d’écraser l’opposition à une large majorité décide de lancer un appel à l’aide apparemment adressé au monde anglophone hors du Gabon, et non aux électeurs gabonais dont la volonté souveraine, prétendument exprimée lors du scrutin, a été volée.

Curieusement, les militaires, qui ont justifié leur prise de pouvoir en évoquant la fraude électorale et l’usurpation des droits démocratiques du peuple, n’ont pas jugé opportun de rendre le pouvoir au vainqueur présumé. L’intervention militaire apparaîtrait donc comme une usurpation de plus qui ne pourrait être justifiée que par une refonte complète de l’appareil politique de l’ère Bongo, forgé au gré d’un appétit vorace et clanique.

L’état de la liberté d’expression sous le régime Bongo

Depuis plusieurs années, le régime Bongo s’est montré répressif à l’égard de la presse gabonaise, qui a toujours appliqué la posture de « l’alignement ou du silence ». Les journalistes et les organes de presse qui ne souscrivent pas à cette ligne de conduite subissent souvent des représailles de la part du gouvernement gabonais lorsqu’ils publient des articles critiques. Dans ce sens, on peut citer le retrait d’un article publié par le journal Moutouki qui mettait en exergue des accusations de corruption et d’enrichissement illicite à l’encontre de Noureddin Bongo Valentin, fils d’Ali Bongo.

De même, pendant la longue absence d’Ali Bongo pour des raisons de santé, le journal l’Aube a été suspendu pour avoir publié un article dans lequel le rédacteur mettait en cause l’incapacité de la Cour suprême à déclarer la vacance du pouvoir conformément à l’article 13 de la Constitution gabonaise.

En outre, il existe des cas de certains membres de l’opposition, d’activistes et d’autres personnalités de la société civile qui ont subi des représailles de la part du gouvernement gabonais pour avoir été critiques. Entre 2016 et 2022, plus de 20 leaders de l’opposition et acteurs de la société civile ont été arbitrairement emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement.

Ces faits ont considérablement affecté l’état de la liberté d’expression au Gabon qui, en 2022, occupait la 115e place du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters Sans Frontières.

Recommandations

Bien que le gouvernement Bongo ait été largement connu pour sa répression et son intolérance à l’égard des médias et des voix dissidentes, le régime militaire qui lui a succédé est lui aussi loin d’inspirer le moindre espoir.

En Afrique de l’Ouest, où un certain nombre de pays ont connu des coups d’État ces dernières années, l’impact de ces interventions militaires a été désastreux, notamment en ce qui concerne le droit à la liberté d’expression.

Les juntes d’Afrique de l’Ouest ont à plusieurs reprises pris des mesures répressives à l’encontre des journalistes. Les médias ont été touchés par des suspensions, des emprisonnements, des fermetures, des menaces, des intimidations et des coupures d’Internet, qui sont contraires au droit à la liberté d’expression. Face à cela, 80 propriétaires de médias, rédacteurs en chef et organisations de défense de la liberté de la presse, dont la MFWA, ont récemment signé une pétition appelant les autorités du Niger et d’autres pays dirigés par la junte à prendre des mesures pour mettre fin à la répression et améliorer les conditions de la liberté d’expression dans leurs pays respectifs.

Compte tenu de l’impact négatif des coups d’État, on ne peut qu’espérer, plutôt que prédire, une amélioration significative à court terme. Dans ce contexte, il est recommandé aux organisations internationales de défense de la liberté de la presse d’apporter un soutien massif aux médias gabonais et aux organisations locales de défense des droits de l’homme dans le cadre d’un engagement coopératif avec les autorités sur la nécessité de préserver la liberté de la presse.

Au regard des objectifs du Comité de Transition et de la Restauration des Institutions au Gabon, qui sont, comme son nom l’indique, d’assurer la transition et de rendre les institutions aussi fortes que possible, il est impératif que le gouvernement de transition se donne pour priorité de laisser en héritage des fondations démocratiques solides. En particulier, les autorités doivent :

  • Respecter les droits humains fondamentaux des citoyens gabonais, notamment le droit à la liberté d’expression, y compris par le biais de marches et de manifestations publiques. Ceci est crucial car l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion, y compris les opinions divergentes, aide le gouvernement à apprécier les besoins et les préoccupations de la population.
  • Faire preuve d’une plus grande tolérance à l’égard du journalisme critique et des opinions divergentes, qui contribuent souvent à pousser les administrations à agir pour le plus grand bien du pays.
  • Coopérer et dialoguer avec toutes les parties prenantes afin de dégager un consensus national sur la meilleure façon de créer les conditions souhaitées pour que ce pays très riche atteigne son plein potentiel économique.
  • Créer les conditions permettant à tous de contribuer à un processus de transition pacifique, inclusif et sûr.

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