Lors de la commémoration de la Journée mondiale de la liberté de la presse cette année à Banjul, le Syndicat de la Presse de Gambie (GPU) n’a pas mâché ses mots. La présidente du GPU, Isatou Keita, a ouvertement critiqué le gouvernement du président Adama Barrow pour son utilisation persistante des lois comme armes contre le journalisme indépendant, établissant des parallèles troublants avec l’époque de l’ancien président Yahya Jammeh.
S’exprimant le 3 mai, Isatou Keita a évoqué les récentes initiatives législatives menaçant la liberté de la presse, notamment l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi sur les infractions pénales en mars 2025. Et ce, malgré une décision rendue en 2018 par la Cour de la CEDEAO contre de telles mesures. Le projet de loi réintroduit l’infraction de « publication et diffusion de fausses informations », jadis utilisée sous Jammeh pour réprimer les voix dissidentes.
« Le GPU a soumis un document de position recommandant la suppression de cette clause draconienne », a déclaré Keita. « Au lieu de cela, elle a été maintenue et est déjà utilisée pour harceler et intimider les journalistes afin de les pousser à l’autocensure. »
Elle a également tiré la sonnette d’alarme concernant le projet de loi sur la cybercriminalité de 2023, qui, selon elle dépasse largement la simple régulation de la désinformation en ligne. « Il cible directement le journalisme d’investigation, mettant en péril la transparence et la reddition de comptes au sein du gouvernement », a expliqué Keita. Le GPU a de nouveau soumis ses préoccupations au Parlement, cette fois à la Commission de l’Éducation et des TIC, mais elle a déploré que le processus ne soit devenu qu’une simple formalité. « Nos recommandations sont systématiquement ignorées », a-t-elle ajouté.
Au-delà des menaces légales, la présidente du GPU a souligné la négligence persistante du gouvernement quant à la sécurité des journalistes et à la viabilité des médias. « Depuis 2017, les agressions physiques contre les journalistes restent impunies. La diffusion de la publicité institutionnelle se fait de manière inéquitable, ce qui porte atteinte à la survie des médias indépendants. Le GPU renouvelle son appel à l’instauration d’une subvention annuelle pour les médias, afin de garantir des conditions équitables. »
Isatou Keita a noté que ces problèmes ont contribué à la stagnation de la Gambie dans le Classement 2025 de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse, le pays restant à la 58e place au niveau mondial, mais reculant à la 11e en Afrique. « Parmi les facteurs clés figurent les arrestations arbitraires, l’affaire non résolue du Voice Newspaper, ainsi que la pression économique liée à une fiscalité excessive et à l’absence de soutien aux médias », a-t-elle indiqué.
Elle a également attiré l’attention sur la détérioration des conditions de travail des journalistes gambiens. « Les jeunes journalistes et les femmes sont surchargés de travail et sous-payés – leurs salaires étant souvent versés avec plusieurs mois de retard », a-t-elle déclaré. « Nous appelons les propriétaires de médias à signer et à appliquer la convention collective du GPU, qui définit des pratiques de travail équitables. »
Bien qu’elle ait critiqué les politiques nationales, Isatou Keita a salué la thématique mondiale de la Journée mondiale de la liberté de la presse de cette année : « Informer dans un monde nouveau : l’impact de l’intelligence artificielle sur la liberté de la presse et les médias ». Elle a jugé ce thème opportun, au vu de l’influence croissante de l’IA sur la production et la consommation de l’information.
« L’IA offre des outils prometteurs pour les enquêtes en sources ouvertes et la lutte contre la désinformation, mais elle soulève aussi des préoccupations éthiques et économiques », a-t-elle souligné. « Entre les deepfakes, les biais algorithmiques et l’extraction de données, l’IA menace la crédibilité de l’information et les moyens de subsistance des journalistes. Les professionnels des médias méritent une rémunération équitable lorsque leur contenu original est récupéré ou reproduit par des outils d’IA. »
La présidente du GPU a conclu en appelant à une responsabilité partagée entre les acteurs des médias : « Nous devons incarner les valeurs que nous exigeons des autres : le respect des droits humains, des pratiques de travail équitables et un engagement envers la vérité. »