Dans le but de remplir notre mission de plaidoirie en faveur d’un meilleur environnement pour l’exercice de la liberté de la presse, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) porte depuis quelque temps un regard particulier sur la zone sahélienne de l’Afrique de l’Ouest en proie à l’insurrection djihadiste et l’implication de cette crise sécuritaire pour le travail des journalistes. Dans cette perspective, la MFWA a publié des articles soulignant les défis auxquels sont confrontés les journalistes du Niger et le Burkina Faso. Ce troisième volet est consacré à la situation au Mali.
La liberté d’expression constitue un droit consacré par l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Il confère à toute personne le droit de pouvoir librement chercher, recevoir et répandre des informations et des idées par quelque moyen d’expression que ce soit. Il permet le libre exercice et la protection de l’ensemble des autres droits fondamentaux. De nombreuses situations à travers le monde indiquent que lorsque la liberté d’expression recule, les autres droits ne tardent pas à subir le même sort. Tel est le cas au Mali.
Jusqu’en 2010, deux ans avant l’occupation du Nord du pays par des groupes extrémistes, la situation de la liberté de la presse malienne était jugée “plutôt bonne.” Mais avec la crise sécuritaire qui secoue le pays depuis maintenant neuf ans, la situation s’est considérablement dégradée. Une multiplication des atteintes aux libertés de la presse a été constatée. Le nord et le centre du pays demeurent des zones extrêmement dangereuses pour les journalistes maliens.
La sécurité des journalistes au Mali est devenue un défi quotidien. Les journalistes et les médias sont trop souvent pris pour cible par ceux qui veulent imposer une chape de plomb sur l’information des citoyens et le débat public.
C’est ce que confirme, Ramata Diaouré, une figure incontournable de la presse malienne. Journaliste et formatrice, elle est également membre du comité des experts de la maison de la presse du Mali. « Pendant et après la crise, on ne peut toujours pas travailler comme on voudrait » confie-t-elle, tout en concédant qu’il n’y a pas « objectivement, de gros freins ». Elle déplore néanmoins une certaine méconnaissance des textes de lois qui régissent la profession par bien des acteurs, ce qui peut entraîner de la méfiance de part et d’autre.
Adama Diarra ancien journaliste au quotidien d’Etat l’Essor, a accompagné le premier convoi de l’armée malienne qui est rentré dans Gao lors de la libération du Nord du Mali en 2013. Intégrer cette mission compliquée et dangereuse était primordial pour ce spécialiste des questions de sécurité et de défense qui tenait à voir de ses propres yeux cet événement historique pour son pays. Mais ce ne fût pas une mince affaire et il n’obtint l’autorisation qu’après d’âpres négociations, précise-t-il.
La plupart des journalistes maliens vivant dans les zones en proie au terrorisme, malgré la peur de représailles des terroristes ou des milices d’auto-défenses, expliquent qu’ils vivent avec la menace, et font leur travail. « S’il y’a des attaques terroristes ou conflits intercommunautaire dans ma localité, je suis obligé d’aller faire le constat car des confrères de Bamako m’appellera pour avoir plus de précisions sur l’attaque. Je prends mes responsabilités avec tous les risques en m’aventurant sur les lieux car c’est mon devoir d’informer. Les populations traumatisées, veulent comprendre pourquoi les massacres redoublent d’intensité. Nous recevons des coups de fil de nos faitières pour nous dire de faire attention à notre vie en traitant avec rigueur les sujets d’attaques meurtrières. La plupart de nos collègues ne pouvant plus tenir ont décidé d’abandonner le métier ou se réfugier vers le sud (Bamako) », raconte un journaliste de la région de Mopti (Centre du Mali).
Ce n’est pas le cas de Moussa Camara journaliste à la radio Mikado (MINUSMA) basé dans le camp militaire de la MINUSMA de Kidal qui bénéficie d’une protection des casques bleus de l’ONU lors de ses reportages.
Le Directeur de l’Information et des Relations Publiques des Armées, le colonel-major Diarran Koné dira que les médias maliens doivent éviter d’être dans ces zones incontrôlées car ils peuvent tomber dans les guet-apens. « C’est pourquoi à chaque attaque, nous faisions un communiqué de presse envoyé dans les différentes rédactions pour publications pour les éviter d’envoyer un journaliste sur les lieux, très risqués pour sa vie. Dans ces zones, nous avions des journalistes-militaires sur front qui nous donnent des informations en temps réels en images et vidéos. Nous interdisons ces zones aux journalistes civils, il arrive souvent que nous escortons certains journalistes à la demande de la hiérarchie pour faire un grand reportage. Les journalistes maliens sont conscients que les mesures que nous avions prises, à contre cœur, c’est pour leurs protections. » Nous confie le Colonel-major.
Selon Hamma Yalcoye enseignant en sociologie de la communication et des médias de l’Université de Bamako, le journaliste en zones exposé au terrorisme devrait avoir :
- l’humilité : l’excès de confiance en soi est dangereux. Il faut aborder chaque mission comme si c’était la première, avec modestie et respect des autres, des coutumes locales.
- la préparation : il est impératif d’anticiper les risques par une connaissance de la culture du pays, de la région pour vous fondre au mieux dans l’environnement local. Au-delà des différences physiques, des différences comportementales peuvent vite trahir dans certains pays. Exemple : fumer pendant le Ramadan, tendre la main à une femme pour la saluer, etc.
- le bon sens : il faut savoir écouter votre instinct, rester prudent, discret et attentif aux signaux d’alerte. Ne pas se laisser emporter par l’adrénaline ou la course à la reconnaissance : un reportage, une photo ne valent pas votre vie.
Dans une zone de combats, le journaliste devrait portez un gilet pare-balles et un casque et se présenter comme journaliste. L’itinéraire doit être bien préparé avant tout déplacement. À un checkpoint, il faut rester calme et coopérer avec les gardes. Face à des tirs, il faut se plaquer au sol et se mettre à l’abri.