Liberté d’Expression et Défi de l’Impunité en Afrique de l’Ouest

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En prélude à la célébration mondiale de la Journée internationale pour l’élimination de l’impunité des crimes contre les journalistes le 2 Novembre 2018, la MFWA, dans le cadre de la préparation de la journée, met en lumière le problème de l’impunité pour les violations de la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest. Dans cet article, Dora B. Mawutor, responsable du programme de la liberté d’expression à la MFWA, souligne la culture endémique de l’impunité dans la région, examine les causes et exhorte les gouvernements à prendre des mesures drastiques pour mettre fin aux violations du droit à la liberté d’expression des journalistes et les citoyens.

La situation de la liberté d’expression dans la région de l’Afrique de l’Ouest a considérablement progressé au cours des 20 dernières années. Les améliorations apportées ont entraîné un pluralisme des médias, un activisme accru et une participation citoyenne aux processus de gouvernance.

Internet et les autres technologies de la communication ont également énormément contribué à élargir les frontières de l’expression, contribuant ainsi à consolider les processus de démocratisation dans pratiquement tous les pays de la région. Ces développements positifs au cours des deux dernières décennies ont rendu relativement moins dangereux pour les personnes de s’exprimer et de contribuer aux débats nationaux dans leurs pays respectifs.

Malgré les développements positifs, bon nombre de pays de la région ont toujours des lois et des réglementations répressives qui restreignent l’expression et limitent les espaces pour les voix opposées. Un autre défi qui menace de réduire à néant les acquis obtenus jusqu’ici dans le plaidoyer de la FOE est le défi de l’impunité – absence de réparation, punition ou indemnisation / réparation pour violation de la liberté d’expression.

Au cours des 20 dernières années, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) et d’autres organisations des FOE ont suivi et signalé des incidents de violation de FOE dans la région. Ces rapports sont souvent rendus publics avec des recommandations à l’ endroit des diverses organisations nationales, régionales et internationales pour qu’elles prennent des mesures de réparation spécifiques afin de punir ou de réparer les dommages causés en vue de dissuader les présumés auteurs.

Cependant, seules quelques-unes des violations bénéficient d’une quelconque forme de réparation de la part d’acteurs étatiques et non étatiques. Par exemple, de janvier à septembre 2018, la MFWA a signalé un total de 125 violations des droits de l’homme, dont environ soixante-dix pour cent contre des journalistes et des travailleurs des médias. Sur les 125 violations enregistrées au cours de ladite période, seules trois ont bénéficié de réparations – la réouverture de la chaîne de télévision Labari au Niger, qui a été fermée le 25 Mars 2018; la réouverture de Radio Renouveau qui a été fermée le 1er Août 2018; et le remplacement de la caméra du journaliste Aristide Teko Ahatefou du site de la presse  en ligne Togo Actualités, dont la caméra a été détruite le 25 Avril 2018.

De plus, des excuses ont été présentées à certaines victimes des brutalités policières au Ghana, au Nigeria et en Gambie. Dans le cas du Ghana, l’administration de la police a présenté ses excuses à deux journalistes qui avaient été agressés physiquement par des policiers lors des incidents séparés. Le ministre de l’Intérieur du Ghana a également condamné l’un des cas d’agression et s’est excusé au nom du gouvernement. Pour  l’incident du Nigéria, le directeur des relations publiques de la police nigériane a appelé l’un des deux journalistes agressés et lui a présenté ses excuses. En Gambie, le président Adama Barrow a présenté ses excuses aux victimes d’une manifestation (au cours de laquelle deux personnes ont trouvé la mort et d’autres ont été blessées) et a assuré les citoyens que des mesures seraient mises en place pour prévenir toute récidive. L’inspecteur général de la police gambienne a également présenté des excuses et a par la suite démissionné de son poste.

En résumé, le texte ci-dessus porte sur les 125 violations enregistrées au cours de la période de neuf mois, seules sept environ ont à ce jour bénéficié d’une forme de réparation, laissant les 118 restantes sans réponse. En quoi cette dure réalité dissuadera-t-elle les auteurs de brutalités contre les opposants? Cent vingt-cinq violations en neuf mois et il n’y a pas eu une seule action punitive ou sanction!

Même dans les trois pays où des excuses ont été présentées et des assurances données que justice serait rendue, aucune poursuite pénale n’a été intentée contre qui que ce soit, souvent sous prétexte que des enquêtes sont toujours en cours. Malheureusement, de nombreuses violations ne font même pas l’objet d’enquêtes.

Mais pourquoi les gouvernements et les agences de sécurité des États ne prennent-ils pas des mesures de réparation? Sans surprise, plus de la moitié des violations invoquées ont été perpétrées par des agents de la sécurité de l’État. Comment les coupables peuvent-ils enquêter sur eux-mêmes et rendre justice? Même si quelques excuses ont été présentées, jusqu’à quel point peuvent aller souvent les actions en réparation lorsque des agents de la sécurité de l’État sont les auteurs des violations.

Dans certains cas également, certaines violations sont perpétrées par des sympathisants de partis politiques et des groupes d’autodéfense. Encore une fois, étant donné que de tels auteurs ont souvent leurs partis politiques au pouvoir, la justice est souvent contournée. Et une fois que justice n’est pas rendue, les coupables s’enhardissent. Une telle situation entretient une culture du musèlement (autocensure) dans la mesure où les journalistes, les militants et les organisations de la société civile ne sont pas en mesure de s’exprimer ouvertement, de peur d’être victimes. Cela limite également la participation de la population aux débats nationaux et aux processus de gouvernance, ceci peut affecter la bonne gouvernance.

Au-delà de l’effet paralysant des violations des droits de l’homme et l’impunité sur la liberté d’expression, cela a également des implications économiques. Dans les cas où des organisations des médias sont arbitrairement fermées ou interdites, la seule forme de réparation souvent obtenue est la réouverture de l’organisation sans aucune compensation ou réparation. Cependant, la fermeture d’un organe de médias affecte le revenu de l’économie durant cette période. Les traumatismes subis par la direction et les employés des organes de médias durant ces périodes ne sont pas également compensés de quelque manière que ce soit.

En d’autres termes, les conséquences de l’impunité pour les violations des FOE sont énormes, d’où la nécessité d’une action urgente. Les gouvernements, les institutions intergouvernementales, les organes  régionaux et internationaux doivent démontrer leurs engagements à améliorer la démocratie et l’état de droit en s’assurant que les violations des FOE soient réparées a temps avec une indemnisation / réparation à la mesure des violations perpétrées. De lourde amende compensatoire et d’autres actions pénales dissuasives doivent être imposées aux personnes auteurs des violations  en vue de dissuader les gens de perpétrer des actes de violations de FOE.