La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a constaté un phénomène de plus en plus croissant en matière d’agressions physiques, d’arrestations, de menaces, d’harcèlements (en ligne et hors ligne) des femmes journalistes en Afrique de l’Ouest.
Bien que ces types d’attaques soient souvent dénoncés, il existe d’autres problèmes moins évoqués mais plus traumatisants que ces femmes journalistes subissent en silence dans le cadre de leur travail, notamment le harcèlement sexuel et les pratiques discriminatoires dans les salles de rédaction.
A cet effet, la MFWA a sollicité et obtenu la rédaction de cinq rapports sur la sécurité des femmes journalistes dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest. Il s’agit plus particulièrement du Burkina Faso, de la Guinée, du Niger, du Nigeria, et de la Guinée Bissau.
La MFWA a par la suite organisé le mercredi 1er Février 2023, un webinaire sur le contenu desdits rapports sur la sécurité des femmes journalistes dans trois pays francophones parmi les cinq, à savoir le Burkina Faso, le Niger et la Guinée. Il s’agissait de la première édition d’une série qui a été suivie le 9 Février 2023, d’un webinaire en anglais sur le Nigeria.
Le premier panel a été animé par sept (7) femmes journalistes : mesdames Binta Nabé, Diaraye Guirassy, Ramatoulaye Diallo au compte de la Guinée, mesdames Ahamed Sidi Balkissa, Mariama Moussa, Marie-Rose Tamakloe, venues du Niger ainsi que madame Aminata Sanou du Burkina Faso.
Les trois consultants ayant réalisé ces études, notamment le Docteur Lassane Yaméogo du Burkina Faso, messieurs Ibrahima Moussa du Niger et Iboun Conté de la Guinée y étaient également conviés.
Le Modérateur, Moussa Iboun Conté, a introduit le Docteur Lassane Yaméogo, pour un exposé liminaire de son rapport sur la sécurité des femmes journalistes au Burkina Faso.
Le Docteur Lassane Yaméogo a souligné l’existence des violences physiques, du sexisme, du harcèlement sexuel dont les femmes journalistes du Burkina Faso sont victimes lors des reportages des faits politiques et sociaux de même qu’au sein des rouages de l’administration publique, du secteur privé et de leurs rédactions respectives.
Lors de son étude, il a pu interroger les femmes journalistes de ce pays et d’autres personnes ressources qui ont narré les scènes où ces femmes journalistes ont été victimes de ces faits répréhensibles à ses yeux.
Il a suggéré que la protection des journalistes fasse l’objet d’une législation spéciale, ce qui n’est pas encore le cas actuellement au Burkina Faso.
De son coté, Iboun Conté, Consultant ayant conçu le rapport de la Guinée, a évoqué des manquements juridiques relatif à la sécurité des femmes journalistes ainsi que les propos sexistes et le harcèlement sexuel au sein des rédactions dans l’indifférence quasi-générale de tous et toutes en République de Guinée.
Monsieur Ibrahim Moussa, Consultant, qui a rédigé le rapport sur la sécurité des femmes journalistes au Niger, n’a pas pu se joindre à ce panel, car la connexion internet lui faisait défaut étant en cours de voyage.
Toutes les Panélistes ont unanimement répondu qu’elles ont lus ces trois rapports avant d’ajouter qu’elles les trouvent exhaustifs avec les données fiables sur leurs pays, relatives à la sécurité des femmes journalistes.
Madame Aminata Sanou a déclaré que les femmes journalistes vivent une situation précaire en matière de la sécurité hors ligne comme en ligne. Selon elle, les rédactions ne prévoient aucun dispositif pour assurer la sécurité physique et psychologique des femmes journalistes. Elles sont laissées à leurs propres moyens pour surmonter les menace d’agression physique sur le terrain de reportage, harcèlement sexuel, y compris au sein des rédactions, et le harcèlement sur les réseaux sociaux.
« En ce qui concerne la violence sexuelle, les victimes craignent d’être stigmatisées et même qu’on ne doute de leurs affirmations. Elles sont donc nombreuses à refuser de témoigner à visage découvert sur les questions de harcèlement sexuel à cause du poids de la tradition africaine », concluait Madame Sanou, journaliste à la télévision Burkina 24.
Madame Ahamed Sidi Balkissa, journaliste et collaboratrice à la radio fara’a GAYA/ Pigiste au studio Kalangou au Niger, a également dit que les pesanteurs socioculturelles sont le véritable frein à la volonté des femmes journalistes de poursuivre leurs bourreaux devant les tribunaux de leurs pays respectifs. Selon elle, les proches d’une journaliste agressée parviennent souvent à la dissuader de porter plainte, en raisonnant que cela puisse la donner une mauvaise réputation comme une mégère, une femme coriace, ce qui va l’encontre de l’image traditionnelle de la femme.
Madame Marie-Rose Tamakloe, point focal genre au sein du Conseil Supérieur De La Communication (CSC) du Niger, a aussi affirmé qu’en plus des pesanteurs sociales et culturelles qui dissuadent les femmes journalistes à porter plainte contre leurs bourreaux devant la justice, la précarité et l’environnement économique dans lesquels les femmes journalistes vivent en sont d’autres causes qui empirent cette situation. Elle évoqué par exemple, que le manque de transport sécurisé figure parmi les défis auxquels font face les femmes journalistes dont certaines travaillent à des heures imprévisibles, y compris tard dans la nuit.
Madame Binta Nabé a allégué qu’en Guinée, le Code pénal a prévu tout un chapelet de peines privatives de liberté contre les auteurs des violences quels soient les violences physiques, le sexisme ou le harcèlement sexuel. Elle a donc appelé à la sensibilisation des femmes, y compris les journalistes, à reconnaitre et défendre leurs droits contre qui que ce soit.
De sa part, madame Ramatoulaye Diallo a tout d’abord affirmé qu’étant Rédactrice en chef du site ‘’Guinee114’’, elle constate que certains de ses collègues masculins laissent leurs egos prendre trop de place et qu’ils éprouvent un certain malaise à l’idée d’être dirigés par une femme. Elle a ajouté que le patriarcat ne voit pas d’un bon œil l’épanouissement des femmes sur le plan professionnel, d’où l’éventail d’obstacles érigés contre les femmes dans les rédactions.
Quant à Madame Diaraye Guirassy du Groupe Fréquence Médias, elle a rappelé que si la loi sur la liberté de la presse n’a point aménagé les dispositions particulières quant à la protection des femmes journalistes, force est de constater que les droits, qui y sont consacrés, protègent aussi bien les hommes que les femmes journalistes.
Elle a ensuite ajouté que les partenaires des médias en l’Afrique de l’Ouest devraient dès maintenant songer à la mise en place d’une assistance judiciaire en faveur des femmes journalistes pour que celles-ci puissent poursuivre leurs bourreaux devant la justice de leur pays.
Toutes les panélistes des trois pays ont sollicité l’accompagnement des organisations de défense de la liberté de la presse sur les différents fronts, notamment la réforme de la législation sur la liberté de la presse en vue d’y prévoir les dispositions relatives à la protection des femmes journalistes en Afrique de l’Ouest. Elles ont aussi prôné la prise des dispositifs appropriés, y compris des ateliers de formations pour sensibiliser les professionnels des médias et autres acteurs pertinents sur le phénomène de harcèlement sexuel et toutes formes de discrimination au sein des rédactions et au dehors. Les panelistes ont également évoqué la mise en place d’un volet assistance judiciaire pour leur permettre de poursuivre leurs bourreaux devant les tribunaux.
A cet effet, elles ont en outre suggéré à l’attention de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) d’initier une campagne de plaidoyer dans ces trois pays en vue de la prise en compte de ces recommandations susvisées ainsi que les autres recommandations annoncées dans les rapports de ces trois pays sur la sécurité des femmes journalistes.
Sécurité des femmes journalistes au Nigéria
Le contenu des rapports a également été à l’ordre du jour lors d’un webinaire sur la sécurité des femmes journalistes au Nigeria, tenu le 9 février 2023. L’un des trois panelistes, le Dr Tunde Akanni doyen de la Faculté de communication et médias à l’Université de Lagos State, a donné le coup d’envoi en faisant une présentation concise des conclusions du rapport.
D’après sa lecture, les principaux défis sécuritaires confrontant les femmes journalistes sont liés à la couverture de la politique, des élections et la violence dans les régions instables du pays. Parmi ces défis figurent les menaces, les propos haineux, la brutalité policière, les brimades et le harcèlement sexuel. En ce qui concerne le harcèlement sexuel, les auteurs se trouvent souvent au sein même des rédactions.
Anike-ade Funke Treasure, journaliste senior, a recommandé à toutes les femmes journalistes d’accorder la priorité et de prendre soin d’elles-mêmes lorsqu’elles couvrent des sujets, notamment lors des prochaines élections présidentielles de 2023. Elle a exhorté toutes les femmes journalistes à surveiller leur empreinte en ligne et ce qu’elles disent en ligne, et leur a conseillé d’apprendre des conseils de sécurité personnelle en ligne qui les aideront à rester en sécurité. Elle a également souligné l’importance de la formation à la sécurité pour les journalistes, en particulier les femmes journalistes, qui peuvent être plus vulnérables que leurs homologues masculins. Elle a également exhorté les organisations de médias ainsi que les syndicats de médias à donner la priorité aux programmes d’assurance.
Victoria Ibanga, rédactrice-en chef du journal en ligne Next-Edition, qui a pris la parole après Mme Funke, a expliqué qu’il y a encore beaucoup d’abus que les femmes journalistes ne mentionnent pas par peur d’être stigmatisées. Elle a déclaré que la plupart des attaques auxquelles les femmes journalistes sont confrontées vont au-delà des simples attaques physiques, car elles peuvent sérieusement affecter leur bien-être mental.
« Le système médiatique est le reflet de la société. Ce qui se passe dans la société en général a une incidence sur ce qui se passe dans les salles de rédaction », a-t-elle ajouté, avant de recommander aux médias de réunir les ressources nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations du rapport sur la sécurité des femmes journalistes au Nigeria.
Mme Ibanga a également recommandé que les organes de presse mettent en place des bureaux de sécurité, investissent dans du matériel de protection. Pour sensibiliser à la question de la sécurité des femmes journalistes, les organisations de défense de la liberté des médias comme l’IPC, Media Rights, etc., pourraient former un groupe et visiter les maisons de presse pour discuter de la question, a également recommandé Mme Ibanga.
L’un des participants a recommandé que les femmes journalistes soient jumelées avec leurs homologues masculins lorsqu’elles couvrent des événements, en particulier des élections et les actes de violence des groupes extrémistes.
Répondant à la question d’un participant, le Dr Tunde Akanni, a recommandé que les entreprises de médias se mobilisent et mettent en ensemble leurs ressources pour assurer le bien-être et la sécurité des femmes journalistes. Ces ressources peuvent être renforcées en attirant le soutien d’organisations caritatives pertinentes et d’autres femmes journalistes suffisamment établies pour offrir leurs ressources. Il est également important que les femmes journalistes apprennent à se soutenir mutuellement. Le Dr Tunde Akanni a également appelé les femmes journalistes à s’habiller décemment et en fonction des événements qu’elles sont désignées à couvrir.
Mme Funke a insisté sur l’importance d’avoir des politiques sur le lieu de travail qui favorisent la sécurité des femmes journalistes. Elle a appelé tout le monde, en particulier l’IPC et ses partenaires, à ne pas se limiter à la production du rapport.
« Cela ne devrait pas être dans un but de recherche. Il s’agit aussi de provoquer un changement, de veiller à ce qu’un changement se produise en fin de compte, de plaider en faveur d’une politique sur le harcèlement sexuel dans les salles de rédaction qui sera contraignante, non seulement pour les employés, mais aussi pour la direction des organes de presse », a-t-elle ajouté.