Les Médias et les Elections 2020 au Niger : Pratiques Partisanes, Censure, et Crainte des Violations de la Liberté de la Presse

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Environ 7,4 millions d’électeurs Nigériens sont appelés aux urnes dimanche 27 décembre dans le cadre des élections présidentielles et législatives. L’enjeu est de taille puisque les élections de cette année marqueraient la première transition démocratique du pouvoir dans l’histoire de l’ancienne colonie Française qui a connue plusieurs coups d’État. Le président sortant Mahamadou Issoufou a annoncé qu’il quittait ses fonctions à la fin de son second mandat en avril 2021, conformément à la limite constitutionnelle des mandats présidentiels.

Mohamed Bazoum, ancien ministre de l’Intérieur et des Affaires Etrangères est dauphin désigné du parti au pouvoir le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) et considéré comme le grand favori parmi trente (30) candidats à la présidentielle dont Albadé Abouba, du Mouvement Patriotique pour le Développement (MPD), l’ancien président Mahamane Ousmane du Renouveau Démocratique et Républicain, et Ibrahim Yacouba du Mouvement Patriotique Nigérien (MPN).

Le parti au pouvoir tient à conserver le fauteuil présidentiel, alors que plusieurs candidats de l’opposition ont créé des coalitions avec plusieurs partis politiques afin de remporter l’élection présidentielle. La lutte contre le terrorisme est l’une des questions majeures qui définira l’élection de cette année. Depuis 2015, le pays a vu l’infiltration sur son territoire des groupes extrémistes venus du Burkina Faso voisin. D’autres enjeux importants susceptibles de définir le choix des électeurs portent sur la lutte contre la corruption dans l’armée, en particulier dans les marchés publics, et les interventions sociales visant à réduire la pauvreté endémique.

Dans ce contexte, les médias jouent un rôle essentiel en mettant à la disposition de l’électorat des informations pertinentes. En vue des élections, l’on a observé une couverture accrue du processus électoral et des questions d’actualité sur la politique et les propositions de chaque candidat.

C’est alors dans ce contexte que la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a effectué une analyse du paysage médiatique qui a révélé plusieurs défis qui auxquels font faces les médias, notamment les pratiques partisanes, la censure, et la crainte d’une éventuelle attaque lors de la campagne en cours.

– Pratiques partisanes au sein des médias

Suite à la vague démocratique qui a déferlé sur la région Ouest Africaine dans les années 90, le Niger a connu une renaissance du multipartisme et l’adoption de dispositions garantissant la liberté d’expression et de la presse qui ont favorisé l’éclosion du paysage médiatique. De 1993 à aujourd’hui, le Niger a connu une explosion du nombre de médias. Avant 1993, le pays ne comptait que quatre organes de presse, tous sous le contrôle de l’Etat (radio Voix du Sahel, Sahel Télévision, et deux journaux Le Sahel et Sahel Dimanche). Aujourd’hui, le Niger compte 130 journaux, 16 chaînes de télévision, plus de 30 radios commerciales nationales et plus de 200 stations radio communautaires.

À l’approche des élections, le paysage médiatique reflète l’atmosphère fortement partisane du pays, en offrant aux candidats des plateformes pour présenter à l’électorat leurs diverses politiques. Le paysage des médias connait également une augmentation des débats analytiques sur les questions majeures nécessitants une attention particulière.

Malgré un paysage aussi dynamique, les organes de presse au Niger sont en proie à la partisanerie. La situation actuelle montre un alignement des médias aux partis politiques. Le paysage médiatique au Niger est fortement divisé car certains médias sont proches du parti au pouvoir tandis que d’autres sont proches de l’opposition. Cette situation est due au fait que certains politiciens financent certains médias ou en sont les actionnaires majoritaires. Par exemple, les sources de la MFWA ont révélé que le groupe de presse Anfani appartient au député de l’opposition et candidat à la présidence Grema Boucar, tandis que les principaux actionnaires du groupe de presse Dounia sont des partisans du parti au pouvoir.

La situation actuelle fait que les médias ainsi que les partis politiques qui finances leurs activités n’émettent qu’un même son de cloche. Les médias d’État sont également pour la plupart proches du gouvernement.

« Ils ne sont pas avec nous » est devenu une expression courante utilisée par les politiciens au Niger pour se référer à un organe de presse qui n’est pas proche de leur parti.

– Censure et capture des organes de presse

En cette année électorale, les médias jouent un rôle indispensable qui porte sur l’analyse des forces et faiblesses des candidats, du gouvernement, et de la commission électorale. Les médias permettent aussi aux citoyens de prendre des décisions informées en portant leurs analyses sur le rendement de chacun des partis prenants. Ce rôle des médias peut influencer la participation des électeurs et affecter les chances d’un candidat de gagner ou de perdre l’élection.

Au cours de la campagne électorale, le paysage des médias au Niger voit les organes de presse proches de l’opposition sévèrement critiquer le parti au pouvoir, et les médias affiliés au gouvernement également très critiques à l’égard de l’opposition. La ligne éditoriale d’un organe de presse au Niger dépend du parti qui finance ses opérations, et si oui ou non ce parti est de la mouvance ou de l’opposition.

« Ibrahim Yacouba, actuellement candidat à l’élection présidentielle et député de l’op4position, est le propriétaire de Niger 24. Il faisait partie du parti au pouvoir et a occupé des postes variés au sein du gouvernement, y compris celui de directeur de cabinet adjoint à la présidence. Lorsqu’il a quitté le parti au pouvoir en 2018 en raison de malentendus, la ligne éditoriale du média est automatiquement passé de l’éloge à la critique du gouvernement ” a déclaré une source anonyme.

La situation actuelle a entraîné une montée des pratiques de censure parmi les organes de presse. Des sources de la MFWA ont révélé que les rédacteurs en chef de certains médias proches d’un parti politique spécifique ont parfois demandé à leurs journalistes de ne pas publier certains articles qui pourraient négativement affecter les candidats du parti qui finance leurs activités.

Le secteur est ainsi victime du phénomène de « capture des médias » qui est une situation selon laquelle les organes de presse ne sont pas autonomes dans leurs activités et sont influencées dans leur reportage par les bailleurs ou annonceurs. Certains médias au Niger ont souvent peur de perdre leur source de financement et pourraient être victimes d’intimidation financière, car les partis qui soutiennent leurs activités pourraient menacer de retirer des financements ou des contrats publicitaires pour les empêcher de publier certains fait compromettants.

Nombres d’experts estiment que la situation est due au faible revenu des organes de presse et des journalistes. Au Niger, plusieurs journalistes travaillent sans contrat et reçoivent des salaires inférieurs au SMIG qui est de 35000 FCFA (USD64). Depuis cinq ans, les associations des professionnels de la presse, et le ministère de la Communication exhortent les promoteurs de médias à signer une convention collective garantissant le salaire minimum pour les journalistes, cependant seulement des progrès limités ont été enregistrés. Les mauvais salaires reçus par les journalistes font d’eux des cibles faciles pour les politiciens qui visent à promouvoir leurs idées ou versions des faits.

– Peur des attaques contre les journalistes

La liberté d’expression et de la presse est essentielle pour une démocratie dynamique et des élections crédibles. Une industrie des médias libres et indépendante représente la pierre angulaire d’une gouvernance démocratique. Au cours d’une année électorale, ces droits deviennent plus importants puisque les médias évaluent les politiques du gouvernement sortant. Un climat dans lequel la liberté de la presse est violée empêche les médias de jouer efficacement leur rôle de veille pour informer l’électorat de manière adéquate.

Alors que la campagne en vue des élections prend de l’ampleur et que les débats entre  les acteurs politiques sont de plus en plus tendus, les professionnels de la presse travaillant dans des médias fortement partisans craignent d’éventuelles attaques de la part des militants de certains parti politiques. Il y a une tendance selon laquelle les journalistes des maisons de presse proches de l’opposition n’osent pas assister à des meetings organisés par les partisans du pouvoir et vice-versa.

En janvier 2015, lors d’une manifestation publique organisée par l’opposition, les forces de l’ordre et certains militants du parti au pouvoir ont attaqué quatre maisons de presse qui selon des allégations sont proches de l’opposition et imposé à la Radio et Télévision Ténéré de suspendre ses diffusions.

Les souvenirs de l’événement ont refait surface au lors de la campagne en cours et la peur d’être attaqué par des militants de certains partis politiques plane sur certains médias au Niger.

Recommandations

Compte tenu des défis auxquelles font face les médias au Niger, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) formule les recommandations suivantes pour des changements à long terme :

  • Augmenter le Fonds d’Appui à la presse : Chaque année, le gouvernement du Niger soutient les médias par le biais du fonds d’appui à la presse à hauteur de 200 millions FCFA que les médias se partagent. Le fonds vise à appuyer les médias tout au long de l’année. Les professionnels des médias se sont récemment plaints de l’insuffisance du montant alloué au fonds en soulignant que certains médias reçoivent aussi peu que 700 000 CFA (USD1300) pour une année entière. L’appui financier limité du gouvernement fragilise les organes de presse et les rends vulnérables aux politiciens. Par conséquent, le gouvernement devrait augmenter le fonds d’appui aux médias afin de garantir une d’indépendance financière des organes de presse pour s’assurer d’un reportage indépendant.
  • Signer la convention collective : Depuis cinq ans, les associations des professionnels des médias et le ministère de la Communication exhortent les propriétaires de médias de signer une convention collective qui contribuera à améliorer les conditions de travail des journalistes. Les faibles revenus perçus par les journalistes favorisent la production d’articles biaisés dans le but de recevoir des faveurs financières de la part des politiciens. La MFWA appelle les propriétaires de médias à signer la convention collective pour améliorer les conditions de travail des journalistes et garantir dans une certaine mesure leur impartialité dans le reportage.
  • S’abstenir d’attaquer les médias : La population du Niger devient de plus en plus intolérante envers les médias, surtout depuis l’incident de 2015. La peur d’être attaqué persiste parmi les journalistes et limite leurs reportages. La MFWA exhortent les citoyens à être tolérants envers les médias et à se plaindre auprès des autorités compétentes des cas de violations commises avant et après les élections.