Depuis novembre 2023, les organismes publics sénégalais transfèrent les données en leur possession vers un centre de stockage national spécialement conçu pour la conservation des données publiques. Ce transfert s’inscrit dans le cadre d’une politique visant à rassembler les données des citoyens dans un espace sûr, fiable et facilement accessible pour la planification du développement national.
Cette politique est entrée en vigueur en 2021 lorsque le gouvernement a construit un centre de données à Diamniado, une ville située à 32 kilomètres de la capitale nationale, Dakar. Toutefois, les organismes publics ne se conformaient pas au transfert des données vers le centre jusqu’à ce qu’une journaliste mette en lumière leur non-respect dans un article primé.
Il s’agit de Fana Cissé, journaliste à PressAfrik, basé au Sénégal. Son article qui a fait réagir les organismes d’État, s’intitule : « Souveraineté numérique du Sénégal : le vrai, le faux, le flou du Datacenter de Diamniadio (Enquête) ». Il s’agit d’un des six articles que Fana avait rédigés dans le cadre d’une bourse de trois mois sur les infrastructures publiques numériques (IPN), organisée par la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), avec le financement de Co-Develop.
Un article primé
Elle a permis de mettre en lumière le manque de conformité des organismes publics tenus de transférer les données en leur possession vers le centre de données de Diamniado, pourtant mis en place par le gouvernement sénégalais pour renforcer l’intégrité des données du pays plutôt que de les laisser à la disposition d’entités étrangères.
Ce manque de conformité des organismes publics n’a pas seulement fait du centre de données de Damniado un éléphant blanc, mais a également exposé les données à un risque de fuite ou de vol, car les institutions publiques qui les conservaient ne disposaient pas d’installations de stockage de données suffisamment fiables.
L’article a depuis fait pression sur les organismes publics pour qu’ils se conforment à la loi, si bien que le ministère de la santé aurait transféré plus de 80 % des données en sa possession vers le centre en janvier 2024. La Société nationale de Gestion du Patrimoine du Train express Régional (SENTER) est une autre institution qui s’est montrée remarquablement respectueuse de la loi.
Le 16 décembre 2023, l’article a été récompensé lors de la sixième édition des Prix E-jicom de Journalisme 2023, plus précisément dans la catégorie Numériques, liberté d’expression et espace civique, parrainée par l’organisation de la société civile Article 19.
Un article qui change la vie
Depuis, l’article a également permis à Fana d’être invitée par les autorités sénégalaises à participer à un débat sur la souveraineté numérique.
Elle a également eu l’occasion de travailler avec l’organisation de la société civile Jonction, qui se concentre sur la vie numérique, pour concevoir et proposer des solutions numériques dans le cadre d’une tournée africaine du Forum sur l’Information et la Démocratie autour de l’Intelligence Artificielle. Fana est aussi fréquemment invitée à des ateliers organisés par des organisations de la société civile pour défendre les questions numériques.
Récemment, elle a été sélectionnée pour faire partie des analystes qui ont contribués à la production du rapport ONNI (Observatoire ouvert des Interférences sur les réseaux), une communauté mondiale qui mesure la censure d’Internet en mettant l’accent sur les restrictions d’accès aux réseaux sociaux et les perturbations de réseaux internet en temp de troubles politiques.
Bourse de Journalisme sur les infrastructures publiques numériques (IPN)
L’exploit louable de Fana est le résultat de sa participation à la première édition de la bourse de la MFWA sur les IPNs. Organisée à Accra, au Ghana, de septembre 2023 à décembre 2023 (les activités postérieures à la bourse qui s’étant terminées en mars 2024), la bourse avait pour but d’inculquer une culture de journalisme critique et approfondi sur la mise en place des IPNs en tant que moyen de prestation de services publics par les gouvernements africains. Se concentrer sur les IPNs est devenu nécessaire parce qu’au fur et à mesure que les gouvernements les adoptent et les déploient pour la prestation de services publics, il y a des inquiétudes quant au fait que les personnes les plus marginalisées de la société courent le risque considérable de ne pas en bénéficier.
Bien que la MFWA organise régulièrement des bourses pour les journalistes dans le cadre de son programme de Bourse pour la Nouvelle Génération de Journalistes d’Investigation, la bourse sur les IPNs était la première bourse de ce type.
La MFWA a publié un appel à candidatures pour les journalistes de dix pays d’Afrique de l’Ouest afin de leur permettre d’acquérir des compétences approfondies en matière de reportage sur les IPNs. Trois cents candidatures ont été reçues, et Fana a été l’une des candidat(e)s qui ont suivi le processus et s’est retrouvé parmi les 20 candidats qui ont été sélectionnés pour la bourse.
Les boursiers ont ensuite bénéficié d’une formation et d’un encadrement intensifs en matière de reportage sur les questions liées aux IPNs. Dans le cadre du projet, chaque boursier devait rédiger six articles de fond sur les IPN dans leur pays respectif à l’issue de la bourse. L’article primé sur le centre de données de Diaminiado est l’un des six articles rédigés par Fana.
Autres articles sur les IPNs rédigés par Fana
La journaliste a également publié d’autres articles percutants, notamment « Sénégal: l’apport décisif des nouvelles technologies de séquençage dans la gestion de la santé publique » , qui examine la manière dont les technologies de séquençage ont permis de répondre aux crises de santé publique à partir d’une meilleure position de connaissance ; « Sénégal : de la nécessité d’une infrastructure publique numérique à une inclusion financière sécurisée », qui aborde comment l’adoption de systèmes et de plateformes financières numériques a été innovante sans être réellement bénéfique pour les populations; et « Données ouvertes au Sénégal : produire de la valeur en termes de bonne gouvernance et renforcer la confiance publique » qui préconise l’utilisation de données publiques ouvertes au Sénégal pour promouvoir la transparence.