Lors d’un procès qui représente une victoire majeure pour la liberté de la presse en Guinée, un tribunal a débouté un haut fonctionnaire de sa plainte pour diffamation en vertu de la loi sur la cybersécurité du pays. Le tribunal a insisté sur le fait que son statu de journaliste étant établi, l’affaire du prévenu Habib Marouane Camara relève du code de la presse.
L’arrêt du 13 juillet 2023 fait suite à une action en justice pour diffamation du fait d’une publication de l’accusé, chroniqueur régulier de l’émission politique « On refait le monde » diffusée sur Djoma Médias. Le défendeur est également le fondateur du site d’information Le Révélateur.com. Dans ladite publication, qu’il a également publié sur son mur Facebook, le journaliste accusait le plaignant, Youssouf Boundou Camara, d’avoir menti sur son Curriculum Vitae.
Le plaignant est également le secrétaire général du ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Il a été nommé à ce poste en 2021 par la junte sur la base dudit Curriculum Vitae (CV) qui indique qu’il est titulaire d’un doctorat en environnement, ce que le journaliste a contesté dans la publication en question.
Le fonctionnaire, s’estimant diffamé, a engagé une poursuite au pénal pour diffamation et publication mensongère contre le journaliste. Le conseil du journaliste a souligné que les investigations de son client sur le CV de Youssouf Boundou ont été approfondies et que le plaignant n’a pas fourni au procureur de la République d’éléments de preuve contredisant les affirmations du journaliste.
La Cour a fini par rejeter l’affaire en insistant sur le fait que, la qualité de journaliste du défendeur n’étant pas contestée, une action en diffamation contre lui aurait dû être intentée en vertu du code de la presse et non de la loi sur la cybersécurité.
La décision de la Cour a été largement saluée par la fraternité des médias en Guinée, où les délits de presse sont dépénalisés. Toutefois, il existe une tendance inquiétante selon laquelle des individus mécontents, en particulier des fonctionnaires, ont recours à la loi sur la cybersécurité (L/2016/037/AN) pour engager des poursuites pénales contre des journalistes pour des publications en ligne critiques.
Les médias guinéens avaient âprement décrié ce phénomène en 2019. Le 29 août 2019, les radios privées du pays ont tenu simultanément pendant deux heures une émission pour dénoncer les intimidations et les abus commis par la police et la justice à l’encontre des journalistes, en violation du code de la presse.
Des directeurs de médias, des journalistes et un avocat ont constitué le panel de l’émission qui a été diffusée en direct par toutes les stations de radio et les sites d’information du pays, avec de nombreux tweets de professionnels des médias et d’activistes de la liberté de la presse en Guinée.
Soit dit en passant, une plainte pénale pour diffamation contre le même Habib Marouane Camara, alors à Nostalgie FM, a été l’un des éléments déclencheurs de la protestation. Le 10 juillet 2019, le directeur de la Direction générale des impôts de Guinée, Aboubacar Makissa Camara, a traîné le journaliste devant un tribunal pour diffamation à la suite de certaines publications critiques sur Facebook.
Un autre incident déclencheur a été la mise sous contrôle judiciaire de Boubacar Algassimou Diallo, animateur radio à Lynx FM, pour « complicité de diffamation et atteinte à la sécurité nationale ».
Un troisième incident concernait Lansana Camara, rédacteur en chef du site d’information conakrylive.info, qui a été placé en détention le 26 mars 2023 pour diffamation, sur ordre du ministre des Affaires étrangères.
Compte tenu de ces antécédents, la décision rendue par la Cour le 13 juillet 2023 est un grand soulagement, car elle constitue un précédent judiciaire qui interdit expressément les poursuites pénales contre les journalistes pour diffamation et publication mensongère.
« Heureusement, il y a encore des magistrats qui disent le droit. Cette décision nous prouve que la justice guinéenne peut encore faire mieux. Nous nous sommes toujours battus pour que quand les journalistes sont poursuivis dans l’exercice de leur métier, que cela se passe sur la basse de la L002 », s’est réjoui Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG).
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) se réjouit de la décision de la cour et exhorte les autorités guinéennes à s’en inspirer.