Le Sénégal, autrefois présenté comme un modèle de démocratie et de respect des droits de l’homme, tels que la liberté d’expression et de la presse, sombre de plus en plus dans l’autocratie.
En l’espace de trois jours, au moins deux manifestants ont été tués, un journaliste critique, Pape Ale Niang a été de nouveau arrêté, l’internet mobile a été coupé, alors que le chef de file de l’opposition et un autre cadre de son partie ont été arrêtés et leur partie politique, Pastef, dissous.
Arrestation d’Ousmane Sonko
L’opposant au régime du Président Macky Sall, par ailleurs, leader de Pastef-Les Patriotes, Ousmane Sonko, a été inculpé, le lundi 31 juillet, et placé sous mandat de dépôt par le juge d’instruction, Maham Diallo. Il est poursuivi pour plusieurs chefs d’inculpation, ont déclaré les avocats de l’opposant : « Appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sureté de l’État, complot contre l’autorité de l’État, actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, mais également vol de téléphone portable et diffusion de fausses nouvelles ».
Le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance hors classe de Dakar, Abdou Karim Diop, avait, dès l’arrestation, vendredi 28 juillet d’Ousmane Sonko, signifié à ce dernier les sept chefs d’inculpation dont « le vol de portable ». Le huitième chef d’inculpation, « diffusion de fausses nouvelles » est ajouté à la longue liste de ce que l’on reproche au candidat à la présidentielle de 2024, lors de son face à face, ce lundi 31 juillet, avec le juge Maham Diallo.
Déjà des morts…
Des manifestations ont éclaté depuis l’annonce de l’arrestation d’Ousmane Sonko. Avec son emprisonnement prononcé ce lundi 31 juillet, les jeunes manifestants en colère commencent à tout brûler sur leur passage, à Dakar et à l’intérieur du pays. Un mort par balle est annoncé à Ziguinchor, ville dont Ousmane Sonko est le maire. Pikine (banlieue dakaroise) dénombrerait aussi un mort.
Toussaint Manga de Pastef en garde à vue
L’ancien député Toussaint Manga a été placé en garde à vue à la Division des Investigations Criminelles (DIC) après son audition, ce lundi 31 juillet 2023.
On lui reproche d’avoir lancé des « appels à l’insurrection, manœuvres et actes à compromettre la sécurité publique ». Il s’explique dans une publication que deux choses lui sont reprochées ;
« Ce qui les a le plus dérangé ces derniers jours, c’est d’avoir republié certaines images des manifestations sur ma page Facebook ». Et ajoute : « Dans plusieurs panels des réseaux sociaux de l’APR et de BENNO, j’ai été régulièrement informé que les militants faisaient des captures de mes postes Facebook et réclamaient mon arrestation soi-disant que j’étais un élément essentiel du dispositif de Pastef et qu’il fallait me mettre hors d’état de nuire ».
Pape Alé Niang arrêté à nouveau
Le journaliste Pape Alé Niang, directeur du site d’information Dakar Matin, a été arrêté le 29 juillet et placé en garde à vue pour des faits d’appel à l’insurrection. Son avocat, Me Moussa Sarr, indique que son client a été arrêté à la suite d’un live Facebook qu’il a fait après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko.
Rappelons que Pape Alé Niang n’est pas à son premier emprisonnement Il a passé des mois en détention entre novembre 2022 et janvier 2023. Il avait bénéficié d’une liberté provisoire tout en étant sous contrôle judiciaire, avec une interdiction de s’exprimer sur son dossier et de quitter le territoire.
Le Parti de Sonko dissous
Comme un malheur ne vient jamais seul, presque deux heures après son le mandat de dépôt prononcé par le juge d’instruction contre Ousmane Sonko, le ministre de l’Intérieur, Antoine Diome annonce, dans un communiqué daté du 31 juillet 2023, la dissolution du parti Pastef- Les Patriotes « Le parti politique Pastef est dissous par décret n° 2023-1407 du 31 juillet 2023 », dit-il. Et cela en raison, déclare Antoine Diome, du fait que le « Pastef, à travers ses dirigeants et ses instances, a fréquemment appelé ses partisans à des mouvements insurrectionnels ».
Le ministre de l’Intérieur parle de « graves troubles à l’ordre public enregistrés au cours de la première semaine du mois de juin 2023, après ceux du mois de mars 2021 ». Ce dernier soutient que cette dissolution fait suite à « ces évènements qui constituent un sérieux et permanent manquement aux obligations des partis politiques ». M. Antoine Diome a rappelé, pour justifier la décision du gouvernement, les « dispositions de l’article 4 de la Constitution et de l’article 4 de la loi n° 81-17 du 06 mai 1981 relative aux partis politiques, modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989 ». Par conséquent, « les biens du parti dissous seront liquidés conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur ».
MFWA est profondément préoccupé par ces événements qui se sont produits au Sénégal, un pays autrement célébré comme un exemple de réussite démocratique en Afrique. Nous déplorons la nature violente des récentes manifestations, dont la dernière a entraîné la mort d’au moins deux personnes. Nous condamnons également le recours à la force meurtrière par les agents de sécurité. Le recours inconsidéré à la force meurtrière contre les manifestants est une violation flagrante de la loi sur les droits de l’homme et les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois de l’ONU. L’Article 4 de ces principes dissuade les forces de l’ordre de faire usage, autant que possible, à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu comme dernier recours.
Nous sommes consternés par la décision du gouvernement de dissoudre le parti politique Pastef sans recourir aux tribunaux. Cette décision de l’exécutif pourrait établir un dangereux précédent dont d’autres gouvernements pourraient s’inspirer pour éliminer, par décret, les partis politiques rivaux considérés comme représentant la plus grande menace aux fortunes électorales du parti au pouvoir.
Au vu de ce qui précède, la MFWA appelle le gouvernement du Sénégal à prendre des mesures pour désamorcer les tensions dans le pays en libérant toutes les personnes détenues pour leurs opinions critiques, y compris le journaliste Pape Ale Niang, et en entamant un dialogue avec toutes les parties prenantes, y compris Pastef.