La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est choquée par la condamnation des journalistes d’investigation Moussa Aksar et Samira Sabou par les autorités du Niger et demande l’annulation des peines avec sursis.
Aksar, directeur de publication du média “levenementniger.com” et également président de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), a été condamné le 3 janvier 2022 à deux mois de prison avec sursis pour une publication sur le trafic de drogue et la corruption au Niger. Sabou, blogueur et responsable du site d’information Mides-Niger.com, a également été condamnée à un mois de prison avec sursis et à une amende de 50 000 CFA pour la même publication.
Aksar a été accusé de diffamation et d’atteinte à l’ordre public tandis que Sabou a été reconnu coupable de diffamation. Les deux journalistes n’avaient fait que relayer les conclusions des experts de l’Initiative mondiale sur le trafic de drogue au Niger.
Le 11 mai 2021, une enquête de la Global Initiative Against Transnational Organised Crime (GI-TOC) (GI-TOC), basée à Genève, a identifié le Niger comme un “centre nerveux” du trafic de haschisch dans la région et a dénoncé les liens étroits des trafiquants avec certaines élites politiques et militaires du pays. Selon le rapport et de multiples sources, 17 tonnes de résine de cannabis ont été saisies par les autorités nigériennes en mars 2021, avant que la contrebande ne retourne dans les mains des trafiquants.
Les deux journalistes ont eu des ennuis uniquement pour avoir republié ce rapport international en ligne. Le 9 juin 2021, l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS) a déposé une plainte contre Global Initiative auprès du Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Niamey, suite à ses publications sur la saisie de 17 tonnes de cannabis à Niamey. Les autorités ont ensuite porté plainte pour diffamation contre lesdit journalistes le 9 septembre 2021 en vertu de la loi nigérienne sur la cybercriminalité qui prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans pour diffamation.
Bien que l’OCRTIS, le Procureur de la République du Niger et le GI-TOC soient parvenus à un accord le 15 décembre 2021 en vue de retirer la plainte contre le GI-TOC, ce que les plaignants ont dûment annoncé le 27 décembre 2021, le ministère public n’a pas abandonné les charges et a poursuivi les poursuites contre les journalistes.
Les condamnations ont été prononcées sur la base de la loi n° 2019-33 du 3 juillet 2019 portant répression de la cybercriminalité au Niger qui incrimine la “diffamation par communication électronique” et la “diffusion de données de nature à porter atteinte à l’ordre public.”
La MFWA trouve cette décision régressive, étant donné que la loi nigérienne 2010-035 du 4 juin 2010 sur la liberté de la presse interdit toute poursuite pénale des journalistes pour des délits de presse. Nous sommes profondément préoccupés par la décision de poursuivre les journalistes malgré le retrait de toutes les charges et plaintes contre eux par l’agence de lutte contre le trafic de drogue.
Il convient également de noter que c’est la deuxième fois que Moussa Aksar est poursuivi en justice en moins d’un an et qu’il a reçu au total dix convocations en justice au cours des deux dernières années. Il a été condamné à une amende équivalente à 1 830 euros en juin 2021 pour avoir participé à une enquête journalistique internationale qui a révélé des détournements présumés d’argent public dans le cadre d’achats d’armes. Le journaliste a toutefois fait appel de cette condamnation.
Bien que nous soyons satisfaits que les journalistes n’aient pas eu à passer du temps en prison, nous condamnons fermement et sans équivoque ces condamnations, qui discréditent les autorités politiques et judiciaires du Niger, et ont le potentiel de réduire au silence les journalistes et les voix critiques qui osent exposer les cas de corruption dans le pays. Nous appelons les autorités politiques et judiciaires du Niger à abandonner sans condition toutes les charges et à prendre des mesures pour sauvegarder la liberté de la presse, qui est un droit fondamental et démocratique.