La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est très préoccupée par la prise d’un décret le 18 décembre 2020 par les autorités militaires du Mali et qui portent atteinte à la liberté d’expression et des médias. L’organisation en appelle au gouvernement de transition de revoir le décret par conformité aux traités régionaux et internationaux sur les droits civils et politiques ainsi que de la liberté de la presse et d’expression dont le Mali est signataire.
Prétextant de la persistance de l’insécurité et l’expansion exceptionnelle de la maladie à coronavirus dans plusieurs zones urbaines du Mali, le Conseil des ministres du 18 décembre 2020 a déclaré l’état d’urgence pour compter du samedi 19 décembre 2020 à zéro heure sur toute l’étendue du territoire national.
Le projet de décret adopté permettra ainsi aux autorités administratives compétentes : de réglementer ou d’interdire la circulation des personnes, des véhicules ou des biens dans certains lieux et à certaines heures ; d’instituer des zones de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ou interdit ; d’interdire le séjour dans tout ou partie d’une ou de plusieurs circonscriptions administratives, à toute personne cherchant à entraver de quelle que manière que ce soit l’action des pouvoirs publics et d’interdire, à titre général ou particulier, tous cortèges, défilés, rassemblements et manifestations sur la voie publique. Les autorités militaires cherchent à justifier cette mesure draconienne au terme de l’article 13 de la loi N° 2017- 055 du 06 novembre 2017 relative à l’état de siège et à l‘état d’urgence.
Après les propos martiaux et maladroits du colonel-major Bah N’Daw niant le droit constitutionnel de grève sous la transition, c’est le lieutenant-colonel Abdoulaye Maiga ci-devant ministre de l’administration territoriale qui a osé prendre une instruction relative à l’application de l’état d’urgence qui cible clairement la presse, la liberté de la presse et l’inviolabilité du domicile.
Ainsi, par instruction ministérielle, il rappelle aux gouverneurs, préfets et sous-préfets qu’ils sont « habilités à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le contrôle des médias y compris les réseaux sociaux.
En effet, selon ce décret « les autorités administratives compétentes « sont habilitées à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature, des réseaux sociaux, ainsi que celui des émissions radiophoniques ou télévisées, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales. ».
Cette disposition liberticide, qui a pour conséquence de museler la presse et de taire toute critique à l’encontre des militaires de la junte de Kati, immédiatement provoqué une levée de boucliers, non seulement au niveau des professionnels de la presse et des activistes mais aussi de tous les démocrates.
En formulant ainsi ses instructions, le ministre laisse croire que les atteintes aux libertés découlent de la loi. Or la loi n’utilise nulle part la forme impérative et ne dit nulle part que les autorités administratives sont autorisées… L’article 13 cité est ainsi libellé « Le décret instituant l’état d’urgence peut par une disposition expresse :
1- conférer au ministre chargé de l’Administration territoriale, aux représentants de l’État dans la Région, dans le District, dans le Cercle et dans l’Arrondissement ainsi qu’aux autorités judiciaires compétentes le pouvoir d’ordonner en tous lieux des perquisitions de jour et de nuit ;
2- habiliter l’autorité administrative compétente à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature, des réseaux sociaux, ainsi que celui des émissions radiophoniques ou télévisées, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales. »
En clair donc, les mesures instruites par le ministre ne constituent nullement la règle mais sont au contraire une exception qui doit ressortir d’une disposition expresse du décret. Alors de deux choses l’une : ou le gouvernement en entier doit répondre à la question posée par le président de l’URTEL à savoir « en quoi la lutte contre la maladie à coronavirus peut donner droit au contrôle des contenus médiatiques, au contrôle des communications téléphoniques ? »
Dans ce cas c’est la responsabilité collective du gouvernement qui serait engagée dans cette tentative maladroite d’attenter aux libertés démocratiques car les perquisitions et de jour et de nuit sont soumis aux mêmes règles. Soit le ministre fait preuve de zèle et d’incompétence. D’initiative ou sur instructions ?
Pour cela, les faîtières de la presse nationale (Maison de la presse, Association des éditeurs de presse privée, Union des radios et télévisions libres du Mali, Groupement patronal de la presse écrite, Union nationale des journalistes du Mali, l’association des Professionnels de la Presse en Ligne au Mali sont sur le pied de guerre. Elles sont vent debout contre le communiqué du ministre de l’Administration territoriale annonçant la « restriction de la liberté de presse » pendant l’Etat d’urgence instauré pour 10 jours à compter du vendredi 18 décembre 2020 à 00H.
Pour Bandiougou Danté, président de l’URTEL : « Nous entendons des choses qui nous inquiètent. Il y a des valeurs au Mali, personne n’acceptera leur violation et leur remise en cause. Au nom de la lutte contre la maladie à coronavirus, nous n’allons jamais accepter la mise en cause de la liberté de presse. Le contexte est tellement sérieux que le communiqué qui sort d’un ministère doit être sérieux.»
« La loi n’est pas mauvaise en soi. On ne peut utiliser les mesures du contexte sécuritaire pour les appliquer au contexte sanitaire. Ça porte atteinte à la liberté d’expression, à la liberté de la presse. Ça peut donner lieu à un musèlement de la presse parce que ça veut dire que tout article allant dans le sens contraire du gouvernement va être censuré. Il n’y aura plus la liberté de ton ni la liberté d’opinion parce que ça va agresser certains. Nous voulons rappeler aux autorités que nous sommes responsables, conscients des difficultés du pays, mais nous ne sommes pas du tout disposés à laisser qui que ce soit marcher sur nos libertés. » fulmine le journaliste Dramane Alou Koné, président de la Maison de la presse.
Pour le Président de la CNDH (Commission nationale des droits de l’Homme du Mali) M. Aguibou Bouaré, « c’est surtout en période d’exception que la tentation est grande de prendre des mesures liberticides. Donc nous redoublons de vigilance quoique la situation sanitaire soit préoccupante ».
La MFWA demande aux autorités de la transition du Mali à privilégier la contribution de toutes les voix à la transition démocratique, en particulier, en ce moment où le rôle d’information de la presse est plus que crucial tant pour la lutte contre la pandémie de COVID-19 que pour la gouvernance participative de la transition au Mali. Par conséquent, la MFWA exhorte les autorités à utiliser plutôt les médias pour lutter contre la pandémie au lieu de recourir aux mesures répressives des libertés d’expression et d’indépendance de la presse.