Un rapport publié le 27 juin par la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE) indique que des défaillances institutionnelles qui persistent depuis de nombreuses années et l’impunité encouragée par l’inertie de la part de la police ont déclenché la suppression de la liberté des médias lors des élections générales du 25 février et du 18 mars au Nigéria.
Selon ce rapport de 92 pages, les observateurs de la MOE de l’UE ont confirmé 10 cas d’attaques contre des médias couvrant les élections du 25 février – date des élections présidentielles et législatives fédérales – et 21 cas le 18 mars, date des élections des gouverneurs et des assemblées législatives des États.
“Plusieurs attaques ont eu lieu au vu et au su de la police, et dans certains cas, la police a arrêté le journaliste qui avait documenté les irrégularités, mais pas son agresseur”, indique le rapport. “De tels incidents démontrent clairement l’absence de protection réelle des professionnels des médias. La police a seulement ouvert une enquête contre l’agresseur dans l’un de ces cas”.
Dans l’ensemble, “l’impunité encouragée par la négligence policière a été préjudiciable à la liberté d’expression, notamment parce que des médias indépendants et crédibles ont été pris pour cible, ce qui n’est pas conforme aux engagements régionaux et internationaux du Nigeria en matière de protection des médias et de la liberté d’expression dans son ensemble”, indique le rapport.
Pour éviter que la liberté de la presse ne soit entravée à l’avenir pendant les élections, la MOE de l’UE a demandé au gouvernement nigérian d’assurer une protection adéquate de la liberté d’expression en élaborant un cadre opérationnel global étayé par les compétences et les moyens nécessaires pour garantir des enquêtes et des poursuites rapides pour tous les types d’attaques contre les professionnels de la presse.
Attaques contre les journalistes impunies
Le rapport note que les élections de 2023 ont fait l’objet d’une couverture dynamique de la campagne qui a toutefois été marquée par une rhétorique de division, tandis que les attaques contre les journalistes sont restées impunies.
Bien que confrontés à des difficultés économiques, à la violence et à des pressions institutionnelles, les médias, selon la MOE de l’UE, ont offert une couverture large des élections, ont promu des campagnes d’information des électeurs et se sont engagés dans la vérification des faits.
« L’incapacité des forces de l’ordre à poursuivre les personnes qui ont attaqué, intimidé, harcelé ou fait obstacle aux journalistes avant, pendant et après les deux jours d’élection, a pesé lourdement sur l’environnement global de la couverture médiatique », indique le rapport.
Il mentionne Lagos et Kano parmi les États où des agressions physiques contre des professionnels des médias ont été enregistrées, ajoutant que la police, les jours d’élection, a arrêté des journalistes sur la base de fausses accusations, tandis que le harcèlement en ligne de reporters, d’autres travailleurs des médias et de vérificateurs de faits est resté impuni.
Le régulateur de l’audiovisuel manque d’indépendance
Le rapport de la MOE de l’UE a noté que la Commission nationale de l’audiovisuel (NBC), le régulateur des médias audiovisuels, manque d’indépendance et de transparence et n’a pas la confiance des parties prenantes, ce qui explique pourquoi la commission a pris plusieurs décisions pendant la campagne et après les deux jours d’élection qui ont entravé la liberté des médias.
Par exemple, juste avant le début de la campagne, en août 2022, l’autorité de régulation a révoqué les licences de 53 stations pour des motifs vagues.
« Dans tous les cas, la NBC n’a pas permis une procédure régulière car les radiodiffuseurs n’ont pas eu la possibilité de s’expliquer », indique le rapport.
Outre l’autorité de régulation, plusieurs interlocuteurs de la MOE ont noté que certains gouverneurs d’État et agences étatiques utilisaient fréquemment diverses règles en matière de logement, d’hygiène ou d’environnement pour exercer une pression sur les propriétaires de médias.
« Les observateurs de la MOE ont rapporté que les journalistes s’abstenaient de faire des reportages critiques, craignant des représailles de la part du gouverneur dans au moins 20 Etats. Dans l’ensemble, l’autocensure au niveau de l’État a sensiblement réduit la diversité des informations disponibles pour les électeurs et a permis au gouverneur de garder la main sur l’environnement de l’information dans l’État concerné », indique le rapport.
L’observation de l’équipe d’observateurs de l’Union européenne se conforme au rapport de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) sur les diverses agressions subies par les médias pendant les élections générales au Nigeria, mais nous avons enregistré davantage de violations. Les incidents décrits dans notre rapport vont d’attaques physiques contre des journalistes et des stations de radiodiffusion à des sanctions/menaces du gouvernement contre des entreprises de presse.
Le gouvernement nigérian a cependant rejeté le rapport de la MOE de l’UE, affirmant qu’il ne reflétait pas la réalité de ce qui s’est passé pendant les élections.
« Nous rejetons fermement, dans son intégralité, toute notion et idée émanant d’une organisation, d’un groupe ou d’un individu suggérant de près ou de loin que les élections de 2023 ont été frauduleuses », peut-on lire dans une déclaration signée par Dele Alake, conseiller spécial du président Bola Ahmed Tinubu pour les tâches spéciales, la communication et la stratégie, datée du 2 juillet.
La déclaration n’a toutefois pas répondu aux préoccupations spécifiques soulevées par le rapport de la MOE UE concernant les attaques en série contre les médias pendant les élections.
La correspondante de la MFWA a envoyé un courriel à la Présidence pour réagir directement aux allégations de suppression de la liberté de la presse pendant les élections, mais n’a pas reçu de réponse.
Les appels et les messages adressés au porte-parole de la présidence, Dele Alake, ainsi que les demandes de renseignements par courrier électronique adressées à la présidence sont restés sans réponse.
Le nouveau gouvernement a hérité d’un triste bilan en matière de liberté de la presse du gouvernement précédent issu du même parti politique, le All Peoples Congress. La MFWA a récemment publié un catalogue des répressions de l’ère Buhari pour attirer l’attention du nouveau gouvernement et l’inciter à agir.
Nous réitérons notre appel au président Tinubu pour qu’il examine et répare les principales violations de la liberté de la presse qui ont eu lieu sous la présidence de son prédécesseur, y compris celles qui se sont produites au cours des dernières élections. En effet, le nouveau gouvernement devrait s’attaquer aux cas emblématiques d’impunité tels que l’assassinat de Maxwell Nashan, un journaliste de la Federal Radio Corporation of Nigeria (FRCN), dans l’État d’Adamawa. Nashan a été enlevé à son domicile et retrouvé ligoté et muselé dans un buisson le 15 janvier 2020, son corps ayant été tailladé à plusieurs endroits.
Un autre cas d’impunité que nous recommandons à l’attention du président est l’assassinat par des agents de sécurité de Pelumi Onifade, un étudiant journaliste de la chaîne en ligne Gboah TV. Onifade a été attaqué par des agents de sécurité et emporté alors qu’il couvrait les manifestations #EndSars le 24 octobre 2020. Environ une semaine plus tard, son corps a été retrouvé dans une morgue à Ikorodu Lagos. Depuis, aucun compte n’a été rendu sur la mort du journaliste stagiaire.