Depuis 2015, le Burkina Faso, autrefois connu comme un bastion de la paix en Afrique, est englouti dans la lutte contre le terrorisme qui a fait des centaines de morts et qui affecte sévèrement la liberté de la presse. En 2019, le pays avait enregistré environ 283 attentats terroristes faisant 524 morts. Bien que les récentes attaques soient concentrées dans les régions des Hauts-Bassins, de la Boucle du Mouhoun, du Nord, du Sahel et de l’Est, désignées comme zones rouges, des attaques terroristes ont été perpétrées dans de nombreuses autres régions du pays.
Selon le dernier rapport des Nations Unies, sur le Burkina Faso, les violences ont déclenché une crise humanitaire avec environ 486 000 déplacés internes. Le rapport indique en outre que le Burkina Faso est le théâtre « d’une crise humanitaire dont la croissance du taux de déplacé interne est le plus rapide en Afrique ».
L’augmentation du nombre d’attaques terroristes dans le pays, et les frustrations de la population a fait grincer les dents du Gouvernement. Les citoyens ont de plus en plus commencé à perdre confiance en la capacité du gouvernement à faire face à la menace et à neutraliser ces groupes maraudes. Les partis politiques de l’opposition ont à plusieurs reprises réclamé la démission du Premier ministre ainsi que du ministre de la Défense suite à leurs échecs dans la lutte contre la menace terroriste.
En 2019, le gouvernement burkinabé a adopté nombres de mesures en vue d’adresser la menace. Il s’agissait notamment de la déclaration de l’état d’urgence, de la création d’un groupe militaire spécial, et de l’adoption d’une loi qui criminalise la démoralisation des forces armées par voie de presse. Certains articles de la nouvelle loi menacent la liberté de la presse dans un contexte de crise sécuritaire. Par exemple, l’article 312-15 de la nouvelle loi criminalise la publication d’informations, d’images ou de sons” de sorte à “compromettre une opération ou une intervention” des forces de sécurité contre les actes terroristes tandis que l’article 312-16 criminalise la ” publication non autorisée, par tous moyens, d’images ou des sons d’une attaque terroriste ». Ces infractions sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans, ainsi que d’une amende maximale de 10 millions de francs CFA (environ 17 000 USD).
Le Burkina Faso dispose d’un paysage médiatique diversifié composé d’environ 87 journaux (11 quotidiens, 11 hebdomadaires, 17 bimensuels, 20 mensuels, 1 bi-trimestriel et 27 publications écrites en langues locales), 25 médias en ligne, 163 stations radio et 33 chaînes de télévision. Voici le paysage médiatique qui a été vivement félicité pour son rôle central dans l’insurrection populaire qui a mis fin au régime de longue date du président Blaise Compaoré et entraîné plusieurs réformes au plan juridiques.
Aujourd’hui, cependant, la question du terrorisme, des violences intercommunautaires ; des menaces à l’endroit des journalistes, et l‘environnement juridique difficile ont un impact négatif sur l’indépendance de l’industrie des médias dans le pays en tant qu’alliés clés dans la lutte contre le terrorisme ; et entraîne la croissance de la censure parmi les professionnels des médias.
La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest est engagée depuis un moment dans le suivi de la situation et a entrepris des discussions avec plusieurs journalistes dans le pays sur la question de l’impact du terrorisme sur le paysage médiatique.
1. Environnement législatif difficile
Suite à l’insurrection populaire de 2014, Cheriff Sy, alors président du parlement de la transition, a souligné la « nécessité de saisir l’occasion pour apporter des modifications aux législations, de véritables changements qualitatifs tels que le droit d’accès à l’information et la dépénalisation des offenses commises par voie de presse. C’est l’occasion d’adopter de nouvelles lois ». L’objectif était de créer un environnement juridique approprié permettant aux médias de s’acquitter efficacement de leur mandat et de fournir aux citoyens les plates-formes leurs permettant d’exprimer leurs points de vue. À l’époque, des lois telles que le droit d’accès à l’information avait été adoptées et des dispositions juridiques limitant le rôle des médias ont été abrogées.
Toutefois, la nouvelle loi adoptée par le parlement du pays en Juin 2019 constitue une grave atteinte à la liberté d’expression et de la presse et viole davantage le droit des citoyens à l’information. Plusieurs organisations de la société civile, dont la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest, ont dénoncé l’adoption de la loi qui limite la liberté d’expression et le droit des citoyens à l’information. Malgré le fait que le gouvernement estime que ces lois contribueraient à lutter contre le terrorisme, le crime organisé et la propagation des « Fake News », la situation a déclenché chez les journalistes une série de flashbacks douloureux du régime Compaoré qui a considérablement réprimé les médias. Selon un journaliste du Reporter, un journal local, “les médias paie un lourd tribut au nom de la lutte contre le terrorisme”.
2. Menace sécuritaire à l’endroit des professionnels des médias
Les professionnels des médias opérant dans les régions englouties dans la lutte contre le terrorisme sont de plus en plus menacés tant par l’armée que par les groupes terroristes en fonction des informations qu’ils diffusent. Un journaliste à Djibo a déjà été menacé par les forces de sécurité lors d’une émission radio interactive qu’il a été contraint d’arrêter. Un autre journaliste de Bandré, un média burkinabé, a indiqué dans une interview que “les médias font face à une double pression selon le groupe qu’ils sont perçus encourager. Lorsqu’elles reportent sur les pertes des forces armées au front de la lutte contre le terrorisme, elles sont forcées et verbalement menacées d’arrêter la diffusion. Et lors des émissions au cours desquelles les journalistes parlent négativement des terroristes, qu’ils décrivent comme des voyous, les terroristes les menacent également ». Un journaliste a etandard.bf, un média en ligne a ajouté que, face à une situation aussi complexe, “même les journalistes les plus téméraires” n’osent pas aller dans ces zones par crainte de représailles de l’armée ou des groupes terroristes.
3. Access limitées aux sources d’informations
Outre les menaces à l’endroit des journalistes, les professionnels des médias vivant dans les zones rouges des Hauts-Bassins, de la Boucle du Mouhoun, du Nord, du Sahel et de l’Est sont confrontés à de sérieux défis pour accéder aux sources d’information. Selon un journaliste de l’etandard.bf “même les citoyens, qui sont généralement les principales sources ont peur de partager des informations avec les journalistes car ils pourraient être pris par des terroristes et faire face à des conséquences”. Pour un journaliste de L’Economiste du Faso, “les journalistes ont au-dessus de leur tête une épée de Damoclès qui pourrait tomber à tout moment”.
4. Croissance de la censure parmi les professionnels des médias
Le contexte dominant du terrorisme et des affrontements ethniques ; les menaces sécuritaires à l’endroit des journalistes et l’environnement législatif difficile dans le pays a donnée place à une pratique accrue d’autocensure parmi les professionnels des médias qui doivent maintenant faire attention à l’information qu’ils partagent au public de peur d’être sévèrement traitée. Cédric Kalissani, journaliste à Mutation, un journal local a indiqué qu’il avait déjà été interpellée par certaines autorités, à la suite d’un article qu’il a écrit sur les paiements des primes de l’armée.
Plusieurs journalistes de Djibo, une province du nord du Burkina Faso particulièrement touchée par l’insurrection, ont rapporté que depuis 2016, leur station radio “La Voix du Soum” est enregistrée par des autorités pendant les heures de journal et qu’à la suite d’une série de menaces, ils ont cessé de reporter sur les questions de sécurité. Un journaliste de Lefaso.net, un média en ligne, a fait remarquer que « les journalistes des zones dites rouges ne pratiquent presque plus le journalisme ».
Les gouvernements respectifs du Mali et du Niger sont depuis un moment engagés dans la lutte contre l’hydre du terrorisme et tout le long de l’année 2019, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest n’a enregistré aucune violation ni de développement dans le paysage médiatique des deux pays dans sont moniteur trimestrielle. Cet état des lieux pourrait être due à la croissance de la censure parmi les professionnels des médias.
Face à ces défis croissants, il est crucial pour les parties prenantes de prendre des mesures clés afin de faire face à la menace croissante contre les médias et de positionner les médias comme des alliés dans la lutte contre le terrorisme et la promotion de la paix et de la démocratie. La MFWA exhorte donc à davantage de formations pour les médias sur les reportages sensibles aux conflits et le journalisme de paix. Cela positionnerait les médias comme des facilitateurs de la paix dans le pays. Nous exhortons également les médias à faire preuve de circonspection dans leur traitement des informations liées au terrorisme afin de ne pas inciter la peur aux communautés.
La MFWA exhorte également le gouvernement burkinabé à considérer l’industrie des médias comme un allié plutôt qu’une menace. Une approche pourrait être d’inclure les médias dans les stratégies de lutte contre le terrorisme. Les médias pourraient sensibiliser le public contre le fondamentalisme et l’extrémisme.