Le Parlement guinéen a approuvé, le 6 Juillet 2019, une loi qui donne essentiellement aux gendarmes du pays le pouvoir discrétionnaire de tirer à vue sans craindre des poursuites, une mesure dénoncée par les défenseurs des droits de l’homme comme étant vouée à l’impunité. Quelques 133 députés, toute mouvance confondue, se sont abstenus d’approuver cette loi qualifié de « dangereuse» par les critiques.
«Cette loi est dangereuse dans le sens où, même avant son adoption, nous avions enregistré des morts lors de manifestations. Je pense que nous avons versé suffisamment de sang en Guinée », a protesté Hamidou Barry, secrétaire général du groupe de défense des droits de l’homme, Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH).
La Guinée est connue pour ses violentes mesures de sécurité visant les manifestations dont le massacre du 28 septembre 2009 avec le meurtre de plus de 150 manifestants et le viol de 100 femmes par les forces de sécurité lors d’une manifestation pacifique constituent les pires dans l’histoire du pays.
Pour l’opposition, la nouvelle loi vise à renforcer la gendarmerie pour intensifier la répression déjà sanglante des manifestations en cours contre la proposition du président Alpha Condé de modifier la Constitution guinéenne afin de briguer un troisième mandat.
Les opposants à cette ambition présidentielle déclarée paient déjà un lourd tribut ; au moins deux manifestants ont été tués et plusieurs autres ont été battus ou arrêtés et détenus dans le cadre d’une orgie de violence contre les dissidents.
Après des mois de spéculations, le parti au pouvoir lors de sa réunion hebdomadaire tenue le 11 Mai 2019, a officiellement déclaré qu’une proposition de modification de la constitution était en vue. Le 27 juin, le Président a confirmé son soutien à la très redoutée proposition de révision de la Constitution.
Mais même avant la confirmation, la tension avait monté dans tout le pays, avec parfois une escalade vers la violence. Le 30 Avril 2019, dans la ville de Kankan, des voyous soupçonnés d’être des partisans de la coalition au pouvoir en Guinée ont attaqué un groupe qui protestait contre le projet de troisième mandat. Selon des informations relayées dans la presse, les gendarmes, qui avaient été déployés pour maintenir l’ordre, n’ont réagi qu’après les manifestants aient été bel et bien tabassés. Les forces de sécurité ont emmené les victimes blessées à la gendarmerie et les ont ensuite relâchées avec «conseils» de ne pas risquer leur vie.
Les journalistes Malick Diakité de Horizon FM et Alhassane Diallo de Guineealerte.com, qui couvraient la manifestation, ont également été battus. Les journalistes ont eu leurs vêtements déchirés et leur équipement de travail, y compris des téléphones confisqués par les voyous.
L’un des manifestants brutalisés, Mory Kourouma, a succombé à ses blessures le 19 Juin alors qu’il était soigné à l’hôpital.
Le 4 Mai 2019, la police a arrêté sept membres d’un groupe de pression de l’opposition pour avoir organisé une manifestation contre le président Alpha Condé. Les manifestants étaient accusés d’avoir harcelé le président, qui présidait une cérémonie au stade Fodé Fissa de Kindia. Ils ont été dépouillés de leur chemise portant l’inscription «Touche pas à ma constitution», le slogan du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), un groupe qui prétend défendre la constitution de la Guinée.
Trois jours après leur arrestation (le 7 mai), les dissidents ont été condamnés à trois mois de prison et à une amende de 500 000 francs guinéens chacun (54 USD). Ils ont toutefois été libérés par une cour d’appel le 13 Mai. Le tribunal a également ordonné que les t-shirts des accusés saisis leur soient restitués.
Face à la tension et aux abus croissants, les principales organisations de défense des droits de l’homme du pays ont averti que les changements constitutionnels proposés pourraient s’avérer perturbateurs.
Le parti au pouvoir a toutefois répondu aux préoccupations de la société civile en imputant la montée de la tension à ses opposants. Dans une déclaration très ferme publiée le 1er Juin, la coalition au pouvoir RPG Arc-en Ciel a décrit les opposants aux changements constitutionnels proposés comme des “ennemis de la République” et a averti que “l’Etat sera là, présent pour assurer sans faiblir ou trembler la sécurité des biens et des personnes”
Le parti au pouvoir n’a pas tardé à traduire en acte concret ses propos durs lorsque, le 7 Juin 2019, les autorités de la préfecture de Maferinya ont violemment réprimé une manifestation d’une coalition de groupes opposés au troisième mandat, dont la FNDC. Alpha Paina Camara, le coordinateur local de la FNDC, figurait parmi les dirigeants de la manifestation arrêtés lors de la rafle. Il a toutefois été relâché trois jours plus tard pour des raisons de santé et emmené à l’hôpital.
Le 16 Juin 2019, la police a pris d’assaut la Maison des associations, un édifice hébergeant des organisations de la société civile située à Matoto, une banlieue de Conakry, et dispersant violemment les membres d’un groupe de pression opposé au programme du troisième mandat du Président Condé. Des membres du mouvement, qui a pour nom A’Moulanfé (Cela ne se produira pas), ont été arrêtés.
Trois jours avant l’incident susmentionné (le 13 juin 2019), il y avait une répression sanglante des forces de l’ordre, couplée des attaques de partisans du parti au pouvoir, faisant un mort et 22 manifestants de la FNDC blessés dans la ville de N’Zérékoré au sud du pays. Plusieurs manifestants ont été arrêtés et un couvre-feu nocturne a ensuite été imposé à la ville.
À la suite de cet affrontement sanglant, le préfet de N’Zérékoré, Elhadj Sory Sanoh, a annoncé l’interdiction des activités de la FNDC sur l’ensemble du territoire. Le préfet a également chargé la police d’arrêter et de poursuivre en justice quiconque se présente comme membre du mouvement.
L’interdiction des manifestations à N’Zérékoré n’est pas une décision isolée. Au contraire, le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana avait donné le ton en Juin 2018 lorsqu’il avait déclaré: “aucun ministre, aucun chef de service de l’administration centrale ne sera désormais autorisé à parrainer une quelconque manifestation politique ou sociale en dehors des périodes définies pour les campagnes électorales”.
En conséquence, les autorités municipales, de district et préfectorales ont refusé l’autorisation de manifester, tandis que les forces de sécurité et, parfois, les milices du parti au pouvoir, ont fait respecter l’interdiction par la terreur et la violence contre les manifestants de l’opposition.
Compte tenu des brutalités en cours et de la répression meurtrière des manifestations dans le comté, la MFWA estime que la nouvelle loi autorisant le tir à vue est irresponsable et injustifiée.
La MFWA considère l’interdiction permanente des manifestations de protestations en Guinée comme une violation flagrante du droit des citoyens à exprimer leur désaccord à travers les manifestations, d’ailleurs une valeur démocratique reconnue et garantie par l’article 10 de la constitution du pays et régie par la loi sur l’ordre public n ° 2015/009 / AN du 4 juin 2015.
Nous exhortons par conséquent le président à condamner la répression et à demander aux dirigeants de son parti, aux miliciens, aux responsables de l’État, aux forces de sécurité et à ses partisans de mettre fin à la répression, et ce, pour démontrer son horreur personnelle du fanatisme violent et son respect des opinions divergentes.
Nous appelons le président Condé à lever l’interdiction des manifestations et à veiller à ce que les personnes exprimant leur désaccord lors de manifestations et de marches soient protégées et à l’abri de toute intervention violente. Nous appelons également le Président à veiller à ce que les différents actes de violence à l’encontre de manifestants fassent l’objet d’une enquête et que leurs auteurs soient punis. La MFWA demande en outre aux autorités guinéennes de revoir la loi nouvelle loi sur le tir à vue qui ne fait que mener droit à l’anarchie et l’impunité.