Par Vivian Affoah, Chargée Séniore de Programme
Le 26 Juin 2018, le Président du Comité du Sénat Nigérian sur les TIC et la Cybercriminalité, Abdul Fatai Buhari, avait annoncé que le gouvernement Nigérian a présenté devant le Sénat un projet de lois pour réguler les réseaux sociaux ″du fait que de nombreux Nigérians en fait un usage abusif.″
L’annonce a été faite lors de son discours à la Conférence sur le Cyber sécurité à Abuja, oùil a dit que si les réseaux sociaux sont laissés sans régulations, les activités des nigérians sur les forums sociaux″pourraient enflammer le pays″du fait que le pays se dirige vers les élections nationales.
Le Ministre des Communications, Adebayo Shittu, a aussi confirmé plus tard la résolution du gouvernement à contrôler les activités cybernétiques des citoyens. Il a dit que son ministère était en train de travailler avec l’Office of National Security Adviser (ONSA) et l’Assemblée Nationale (NASS) pour mettre en place les règles qui imposeront des sanctions à ceux qui compromettent les intérêts du pays et la sécurité globale dans les espaces cybers″.
Ces annonces ont à juste titre alarmé de nombreux Nigérians qui se demandent ; que reste-t-il à réguler encore après l’adoption de la Loi de Cyber crime (Interdiction, Prévention etc.) qui a été votée sous le mandat de l’ancien Président Goodluck Jonathan en Mai 2015. La Loi, entre autre choses, portait sur les menaces dans les espaces cyberes y compris l’usage de l’internet et la sécurité en lien à la prévention, l’interdiction et la lutte contre la cybercriminalité.
Aussi, ceci n’est pas la première foi que le Nigeria essaie de réguler les réseaux sociaux malgré l’existence de la Loi sur la Cybercriminalité. Quelques mois après le vote de la Loi sur le Cybercriminalité (Interdiction, Prévention etc.), le Nigeria a essayé de faire voter une loi controversée en introduisant un Projet de Loi d’Interdictions de Pétitions Frivoles. Les dispositions du projet ont été perçues comme répressives et destinées à violer les droits des personnes en ligne.
Les médias et les organisations de la liberté de la presse, en particulier les organisations des droits numériques, y compris la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), avaient mis en garde sur le fait que si le Projet de Lois d’Interdictions de Pétitions Frivoles est voté, cela pourrait mettre en cause les acquis du Nigeria dans le domaine de la liberté d’expression et les droits de l’homme.
Le Projet de Lois de quatre sections, entre autre choses, visait à restreindre les droits numériques avec des dispositions telles que:
″ Sera coupable d’une infraction et passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans ou d’une amende de 2 000 000 Naira (environ 5 500 USD) ou d’une telle amende et d’une peine d’emprisonnement toute personne qui, par le biais de SMS, de tweets, de WhatsApp ou de tout média social, publie une déclaration abusive en sachant qu’elle est fausse dans le but d’opposer une personne et / ou un groupe de personnes, une institution gouvernementale ou tout autre organisme établi par la loi.»
Heureusement, le Projet a été retiré en Mai 2016 suite à un plaidoyer et aux protestations des citoyens.
Le dernier Projet de loi annoncé par le Président du Comité du Sénat sur les TIC et la Cybercrimalité, Abdul Fatai Buhari, est par conséquent, une mesure de trop contre la liberté des droits numériques au Nigeria. En effet, si ce projet est approuvé, cela ne va pas seulement réprimer les droits numériques mais aussi va s’ajouter à une longue liste de législations hostiles à la liberté d’expression.
Par exemple, les sections 373, 375 et 376 du Code Criminel du Nigeria aussi bien que la Loi sur les Publications Diffamatoires et Abusifs criminalisent tous la diffamation. Aussi, la section 418 du Code Pénal stipule comme suit:
″Sera punie d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans ou d’une amende ou des deux circule, toute personne qui publie ou reproduit une déclaration, une rumeur ou un rapport qu’il sait ou a des raisons de croire être faux dans l’intention de causer ou susceptible de susciter la crainte ou l’inquiétude du public qu’une personne puisse être amenée à commettre une infraction contre la paix publique,″.
De plus, les deux sections 59(1) et (2) du Code Criminel et la section 418 du Code Pénal sont utilisées pour juger les offenses de fausses publications.
En effet, en mai 2016, lorsque le Sénat a retiré le projet de loi sur les pétitions frivoles et suspendu toutes les considérations, c’est parce que son Comité sur la justice, les droits de l’homme et les questions juridiques avait noté à juste titre que le vote du Projet de loi pourrait compromettre les efforts faits par le gouvernement dans la lutte contre la corruption. Que s’est-il passé ?
Deux ans plus tard, qu’est-ce qui a changé pour renverser l’argument solide ci-dessus? Quelle étude a été faite sur la manière dont le Nigéria a mis en œuvre la pléthore de lois sur la diffamation, la sécurité nationale et la cybercriminalité et sur internet et quel en a été l’effet? Ce sont quelques-unes des questions cruciales auxquelles doit répondre toute personne qui veut des lois supplémentaires pour réglementer les médias sociaux.
Au regard de tous les problèmes auxquels le Nigeria est exposé, on pourrait penser que la dernière chose à laquelle l’Etat penserait serait une législation pour réguler les réseaux sociaux. Par exemple, l’extrémisme fondamentaliste reste un défi dans le pays avec des incidents de meurtres récemment signalés dans l’État du Plateau. L’impunité pour les crimes contre les journalistes reste également un défi avec les assassinats non résolus d’au moins quatre journalistes tués l’année dernière. Outre de nombreux journalistes qui ont été agressés physiquement, etc.
Il est donc difficile de comprendre ce que le Sénat et le gouvernement nigérian cherchent à accomplir avec une nouvelle loi sur les médias sociaux.
Je trouve particulièrement intéressant que quelques mois après que le très progressiste projet de loi sur les droits numériques et la liberté ait été adopté en attendant l’approbation du président, l’État a déjà pris des mesures pour retirer les droits mêmes qu’il voulait protéger avec les Droits Numériques et le Projet de Lois de la Liberté.
Il est important que les autorités nigérianes prennent des mesures pour promouvoir et protéger la liberté d’expression et les droits numériques et pour supprimer tout obstacle à la jouissance de ces droits.
En particulier, le Sénat doit envisager d’abroger les lois répressives telles que les articles 373, 375 et 376 du Code Pénal du Nigéria ainsi que la Loi sur les Publications Diffamatoires et Offensantes qui criminalisent tous la diffamation et dans une large mesure ont le potentiel de limiter la jouissance de la liberté d’expression hors ligne et en ligne, ainsi que l’accès à l’information.
Je me joins également aux appels lancés par les acteurs de la société civile du Nigéria au Président Mahummadu Buhari pour qu’il approuve le Projet de Lois sur les Droits et Libertés Numériques.