Les autorités guinéennes ont annoncé la dissolution officielle du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), le groupe de pression le plus influent du pays qui est également une coalition de partis politiques, de syndicats et d’organisations de la société civile.
« Le groupement de fait dit Front National pour la Défense de la Constitution est dissous, » a arrêté Mory Condé, Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, dans un communiqué qu’il a signé le 6 août 2022.
Selon ledit communiqué, le FNDC ne figure pas parmi les organisations non gouvernementales enregistrées en Guinée, et serait, de surcroit, un groupe qui incite à la violence.
« Considérant que depuis sa création le 14 octobre 2019 pour dit-il, protester contre l’éventuelle modification de la Constitution de 2010, le mouvement de fait dit Front National pour la Défense de la Constitution s’est toujours illustré par la voie de violence sur les personnes, la dégradation et la destruction des biens publics et privés, des actes d’incitation à la haine ou à la discrimination contre les personnes en raison de leur origine ou leur idéologie ».
« Que mieux, ce groupement de fait, à travers ses activités provoque des manifestations armées sur les voies et lieux publics, ayant les agissements d’un groupement de combat ou de milices privés. Qu’en outre, ce groupement utilise les réseaux sociaux comme vitrine de ses idées et agissements ».
La dissolution a été annoncée une semaine après que le FNDC ait déposé une plainte contre les autorités militaires en Guinée pour atteinte aux droits de l’homme. Dans la note adressée à la CPI le 1er aout, 2022, le FNDC demandait notamment que le président, le colonel Mamadi Doumbouya, cinq ministres et les responsables de la sécurité et de la défense nationale, soient tenus responsables de la répression sanglante et des violations des droits de l’homme qui ont lieu en Guinée.
Le FNDC a été créé en avril 2019 principalement pour coordonner une campagne d’opposition massive à un troisième mandat du président Alpha Condé. Comme son nom l’indique, le groupe se targue d’être un défenseur de la constitution guinéenne. Ils se sont farouchement opposés à la récente annonce du gouvernement militaire selon laquelle l’ordre constitutionnel ne sera rétabli qu’après trois ans. Le groupe de pression politique, qui avait initialement accueilli la nouvelle junte, a tenu un certain nombre de réunions et organisé des manifestations pour exiger une transition plus courte et un calendrier pour des élections anticipées. Ces actions auraient signalé la fin de la période de lune de miel entre la junte et le FNDC.
En effet, depuis le début du mois de juillet, la Guinée connait une montée de sa température politique caractérisée par le harcèlement et l’arrestation tous azimuts de voix critiques et dissidentes, des interdictions ainsi qu’une répression violente des manifestations et rassemblements populaires.
A titre illustratif, du 18 au 19 juillet 2022, au moins quatre personnes ont perdu la vie lors d’une répression meurtrière de manifestants par les forces de l’ordre guinéennes à Conakry, la capitale de la Guinée. Similairement, du 27 au 30 juillet 2022, la capitale a de nouveau été le théâtre de manifestations entachées d’une série de violences, d’arrestations et de détentions par les forces de l’ordre. Ces dernières auraient utilisé du gaz lacrymogène et tiré à balles réelles sur les manifestants qui se sont munis de pierres. Les affrontements auraient causé au moins quatre morts et plusieurs blessés par balle dans le rang des civils. Les forces de l’ordre ont quant à elles rapporté une douzaine de blessés dans leurs rangs et l’arrestation de plus de 80 civils.
Le 30 juillet 2022, soit aux lendemains des manifestations récentes, les autorités ont procédé à l’arrestation certaines figures de proue du FNDC. Il s’agissait d’une part, d’Oumar SYLLA, alias Foniké Menguè, coordinateur du FNDC ainsi que coordinateur adjoint de la coalition Tournons La Page Guinée (TLP-Guinée), et d’Ibrahima DIALLO, coordinateur de TLP-Guinée et responsable des opérations du FNDC. Les autorités ont également arrêté Saïkou Yaya Barry, actuel Secrétaire Exécutif du parti politique l’Union des forces républicaines (UFR).
Des poursuites judiciaires ont été initiées la veille à l’encontre des deux responsables du FNDC et de Saikou Yaya Barry, pour « participation délictueuse à un attroupement interdit, troubles à l’ordre public, destruction de biens publics et privés, incendies volontaires, pillages et coups et blessures ».
Certains de ces activistes interpelés ne sont pas à leur premier démêlé avec les autorités au cours du mois de juillet. Le 5 juillet 2022 au cours d’une conférence de presse au siège du FNDC sur l’actualité socio-politique de la Guinée, la Brigade de répression du banditisme (BRB) a brutalement arrêté Oumar Sylla du FNDC, Billo Bah, responsable du pôle jeunes de TLP-Guinée et Djanii Alpha, artiste et responsable de la promotion de la citoyenneté active du FNDC. Les officiers de la BRB, qui n’y sont pas allés de main morte, ont agressé, traîné de force et rudoyé leurs victimes avant de les jeter dans la benne de leur véhicule.
Les trois activistes ont été interpellés et détenus sans mandat, ni convocation préalable. Oumar Sylla et Billo Bah auraient appris plus tard que le Procureur général Charles Wright aurait engagé une poursuite contre eux le 4 juillet 2022 pour avoir injurié les membres du Conseil national de la transition sur les réseaux sociaux. Ils ont été libérés le 8 juillet 2022.
La chasse aux sorcières et la répression violente des manifestations menées par les forces de l’ordre semble être basées sur une interdiction formelle de manifester communiquée par les autorités.
« Le CNRD invite l’ensemble des acteurs politiques et sociaux à circonscrire aux sièges de leurs formations, toute forme de manifestation ou regroupement à caractère politique. Toutes manifestations sur la voie publique, de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme, sont interdites pour l’instant jusqu’aux périodes de campagnes électorales », a déclaré le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) le 13 mai 2022.
S’en sont suivies plusieurs initiatives infructueuses de plaidoyer de la part de la communauté internationale. La junte au pouvoir est restée campée sur sa décision, rejetant notamment, l’appel des Nations unies à lever l’interdiction des manifestations politiques.
Cette décision d’interdire les manifestations intervient deux jours après l’adoption controversée d’une période de transition de 36 mois contrairement aux 39 mois initialement proposés par la junte militaire. Malgré, la réduction de trois mois, plusieurs voix critiques et organisations aussi bien nationales qu’internationales ont dénoncée période de transition adoptée en raison de sa longueur.
« En tant que soldats, nous tenons beaucoup à la parole donnée. Nous avons fait l’état des lieux de toutes les expériences qui n’ont pas marché dans notre pays et nous ne voulons vraiment pas faire les erreurs du passé. C’est pourquoi, nous sommes déterminés là-dessus, à ce que les choses soient inclusives », a déclaré le président de la transition, Mamadi Doumbouya, au cours d’un entretien exclusif publié le 15 novembre 2021 sur France 24 et RFI.
Toutefois, en contradiction totale avec les garanties susmentionnées, le gouvernement du Colonel Doumbouya s’est engagé sur la même voie de l’intolérance, du cynisme et de la répression. Ironiquement, il proscrit le FNDC que le président déchu Condé tolérait, malgré l’affirmation selon laquelle l’organisation n’était pas enregistrée. En admettant que cette affirmation soit vraie, il est curieux que le FNDC soit la seule organisation à avoir été sanctionnée après l’audit.
« La situation actuelle de la Guinée est une trahison des assurances données par la junte militaire. En effet, cette dernière, après son accession au pouvoir, avait multiplié les gestes d’apaisement envers les populations. Elle a même annoncé la mise en place d’un numéro vert (le 100) opérationnel auprès de tous les opérateurs de téléphonie mobile pour permettre aux les populations de dénoncer les abus commis par les forces de défense et de sécurité. Les derniers agissements peu démocratiques de la junte est une grande déception a l’égards de l’espoir de la population, » déplorait Muheeb Saeed, responsable du programme de la Liberté d’Expression à la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA).
La MFWA est profondément attristée par le fait que la junte au pouvoir s’écarte des premières promesses et actions qui étaient acclamées et accueillies de tous. Par conséquent, plusieurs questions se posent quant aux engagements de la junte au pouvoir en matière de refondation de la république de la Guinée.
Nous exhortons la junte au pouvoir à garantir le respect des droits et libertés fondamentales des citoyens. Dans cette optique, les autorités devraient libérer tous les activistes arrêtés pour une quelconque implication dans les protestations politiques. De plus, nous recommandons fortement la mise en place d’un cadre de dialogue inclusif qui contribuera à une transition participative, pacifique et démocratique. Cette démarche laissera davantage transparaitre la volonté du gouvernement de restaurer la démocratie, l’ordre constitutionnel et le retour rapide à un régime civil.