Se rendant à Kenema la troisième ville de Sierra Leone pour couvrir un évènement sur la COVID-19, le journaliste d’investigation Fayia Amara Fayia était loin d’imaginer que ce serait le début de près de trois années de poursuites judiciaires pour avoir commis le crime ‘’d’exercer son métier.’’
C’était le 20 avril 2020, à une période où le coronavirus commençait à bouleverser le monde, mettant à rude épreuve certains des systèmes de santé les plus sophistiqués au monde.
Le journaliste du journal Standard Times s’était rendu à un lieu qui s’avère être en pleine construction d’un site de quarantaine, à Dama Road, pour rendre compte des activités qui s’y déroulaient. Cependant, lui et d’autres journalistes venus chercher des informations sur la création du site de quarantaine se sont vus refuser l’entrée. Il a donc décidé de prendre des photos avec son téléphone, à distance.
Il n’y avait pas de panneau d’avertissement sur l’installation pour empêcher la prise de photos, mais un homme identifié comme étant le président du conseil du district, Mohamed Sesay, lui a ordonné d’arrêter de prendre des photos et l’a invité à le rencontrer “à huis clos”.
Incertain de l’intention qui se cachait derrière cette invitation, Fayia a insisté pour que le président du conseil et lui s’entretiennent aux yeux de tous.
Cela a rendu Sesay furieux, qui aurait appelé un soldat, le Major Fofanah, pour s’occuper du journaliste. Le soldat s’est jeté sur Fayia et s’est emparé de son téléphone portable, avant d’appeler ses collègues militaires, au nombre d’environ neuf, pour frapper violemment le journaliste, à coups de poing, de crosse de fusil et de pied. Ils l’ont ensuite jeté dans une camionnette et l’ont emmené au poste de police.
Le journaliste a perdu connaissance au poste de police et a été transporté d’urgence à l’hôpital public de Kenema où il a été admis et contraint de se déplacer en chaise roulante, et ce, toujours sous surveillance de la police. À sa sortie de l’hôpital après quatre jours, Fayia a été renvoyé au poste de police et détenu pendant trois jours.
Sept jours après que Fayia se fasse agresser par des soldats, la police de Kenema l’a inculpé pour trois chefs d’accusation : agression, trouble a l’ordre public et entrave au travail des agents de sécurité. Ces chefs d’accusation sont passibles d’une peine minimale de deux ans.
Son procès devenant de plus en plus long, Fayia s’est rendu au tribunal plus d’une douzaine de fois. Son casse-tête juridique a depuis rejoint la longue liste des affaires indéfiniment ajournées.
L’incident de Fayia est un triste cas de victime devenue l’accusé.
Il fait partie des nombreux journalistes qui ont été attaqués en Sierra Leone par des agents de sécurité et par le public, dont un musicien.
Mais un nouveau vent de changement souffle sur le pays des collines verdoyantes bordées par l’océan Atlantique.
Le 2 août 2022, la salle de conférence du New Brokefields Hotel de Freetown a accueilli les parties prenantes concernées par la sécurité et la protection des journalistes – les médias, la police, la sécurité nationale, l’armée, les organisations de la société civile et même l’Agence fiscale de la Sierra Leone.
Ceci s’inscrivait dans le cadre du lancement du Cadre global de protection des journalistes, un document destiné à aborder les problèmes contemporains qui touchent les médias sierra-léonais.
Élaboré par la Fondation des Medias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) dans le cadre d’un processus conjoint impliquant les acteurs des médias, notamment le Media Reforms Coordinating Group (MCRG) et les acteurs étatiques en Sierra Leone, il s’inscrit dans le cadre des efforts visant à réduire les incidents liés aux violations des droits des médias, à accroître la réactivité des autorités face aux violations des droits des médias et à réduire les actes d’impunité pour les crimes commis contre les journalistes dans le pays.
Ce document de 22 pages répond aux préoccupations concernant le professionnalisme, l’amélioration des conditions de travail, la sécurité et la protection des journalistes.
S’exprimant sur l’importance de l’événement, le président de l’Association des journalistes de Sierra Leone (SLAJ), Ahmed Nasralla, a déclaré que les relations entre la police et les médias avaient été glaciales au cours des 50 dernières années.
Pour lui la situation actuelle est un jeu “du chat et de la souris” qui ont existé dans les régimes civils et militaires d’hier et qui perdurent encore aujourd’hui. Mais les médias ont toujours été en butte à l’impunité – agressions, invasion des bureaux et saisie du matériel.
Toutefois, les choses se sont améliorées lorsqu’en novembre dernier, l’ALSJ a décidé d’inviter les services de sécurité à l’événement marquant la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes contre les journalistes, célébrée dans le monde entier le 2 novembre de l’année dernière.
Cette initiative a donné lieu à la signature d’un protocole d’accord entre l’ALSJ et les services de sécurité afin de renforcer la coopération et la compréhension mutuelle pour promouvoir la sécurité des journalistes.
« Lors de ce programme, nous sommes parvenus à la conclusion que nous travaillons dans l’intérêt collectif de notre pays et que nous n’avons pas besoin de nous battre », a déclaré M. Nasralla.
Lorsqu’à son tour il prit la parole, le Ministre adjoint de l’information et de la communication, Solomon Jamiru, a déclaré que le gouvernement allait redoubler d’efforts pour s’assurer que les journalistes sierra-léonais travaillent dans un environnement sûr et propice.
Des décennies de campagne pour l’abrogation de la loi sur la diffamation en Sierra Leone ont porté leurs fruits en 2020, tandis que le gouvernement de Bio a été félicitée pour avoir repoussé les obstacles contre la liberté de la presse.
C’est dans ce même esprit que M. Jamiru a noté que le cadre était un autre moment privilégié pour s’assurer que “les gains que nous avons réalisés en améliorant l’environnement médiatique en Sierra Leone sont consolidés.”
Lorsque le calvaire de Fayia a été évoqué, le Ministre Adjoint a promis d’utiliser son propre cabinet juridique pour mettre un terme aux poursuites engagées contre le journaliste.
Tout en reconnaissant l’abus de pouvoir des services de sécurité, il a également exhorté les médias à faire preuve d’éthique.
Il a également appelé à un équilibre entre le droit des journalistes à exercer leur métier et la vérité que le public mérite.
Le président de la Commission indépendante des médias de Sierra Leone, Victor Massaquoi, a approuvé cette position et a déclaré que les droits allaient de pair avec les responsabilités.
Le Dr Massaquoi, a également invité le système judiciaire à faire des efforts, car les affaires juridiques impliquant des journalistes prennent beaucoup de temps à être jugés.
« Le pouvoir judiciaire sera tenu pour responsable s’il ne parvient pas à garantir un jugement rapide des journalistes dans les affaires portées devant les tribunaux », a-t-il déclaré, suscitant les applaudissements des participants.
Plus audacieux encore, il a déclaré que la commission n’accorderait plus de licence aux entreprises de médias qui ne démontrent pas qu’elles ont les moyens financiers de payer leurs journalistes.
Il a toutefois exprimé son inquiétude quant à la façon dont certains journalistes s’entendent avec leurs employeurs pour tromper la commission sur leurs faibles rémunérations – un acte qui, selon lui, sape les efforts visant à améliorer les conditions de service du personnel des médias.
« Les journalistes doivent être payés au moins au salaire minimum. Les journalistes veulent de l’emploi, alors parfois ils s’entendent avec les propriétaires des médias pour accepter des salaires réduits », a-t-il déclaré.
Selon les experts, les mauvaises rémunérations du personnel des médias en Afrique de l’Ouest contribuent à un journalisme non éthique et à un journalisme critique inadéquat dans la région.
Avant que le Dr Massaquoi ne prenne la parole, les principaux acteurs du show des agressions contre les journalistes – l’armée et la police – se sont engagés à mettre leur pierre à l’édifice en offrant un environnement plus propice aux personnels des médias.
Le responsable des relations publiques de la police de Sierra, le commissaire adjoint de police Brima Karama, a déclaré que les frictions entre les médias et la police étaient dues au fait que les journalistes cherchaient à obtenir des articles et à respecter les délais, tandis que la police était préoccupée par l’ordre public.
Cependant, à l’occasion de cette Journée de Coopération entre les deux institutions, il s’est engagé à assurer la sécurité des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions.
Des représentants de la Sécurité nationale et de l’armée ont fait des promesses similaires.
Il y a également eu des moments d’évaluation par les pairs lors de l’événement, où les participants ont exprimé leur inquiétude quant au manque de professionnalisme et au favoritisme dans les médias.
Un participant a également recommandé que le travail des médias soit intégré dans le manuel de formation des policiers et des militaires.
En Sierra Leone, tout comme dans d’autres régions d’Afrique, les journalistes sont souvent des cibles faciles pour les services de sécurité, les acteurs politiques et les voyous. Avec peu ou quasiment pas de données permettant de poursuivre les auteurs de ces actes, l’impunité règne, laissant les journalistes vulnérables a de récurrentes attaques violentes.