Au Libéria, huit journalistes ont été agressés, menacés ou détenus lors d’incidents distincts, dont trois liés à la COVID-19 au mois de mai 2020.
C’est ce qu’indique un rapport de Press Union of Liberia (PUL), une organisation de regroupement de la presse Libérienne, qui chapeaute les professionnels des médias dans ce pays. Le 13ème rapport trimestriel de la PUL couvre la période avril-juin 2020, mais toutes les violations ont eu lieu en mai.
Une déclaration du Procureur Général du Libéria, Cllr. Sayma Syrenius Cephus, menaçant de poursuivre, fermer les institutions médiatiques ou de saisir l’équipement des institutions médiatiques qui publient de fausses nouvelles sur la COVID-19, a donné le ton à une série de confrontations entre les journalistes et les acteurs de l’Etat.
Suite à la déclaration faite le 30 avril, l’Union de la presse du Liberia a averti que la menace du procureur était illégale, car seul le tribunal peut ordonner la fermeture des institutions médiatiques.
Le 1er mai, le ministre adjoint des affaires publiques, Eugene Fahngon, a également provoqué les médias en annonçant que les professionnels des médias travaillant au-delà des heures de couvre-feu de COVID-19 doivent porter son laissez-passer approuvé par le ministère de l’information, avertissant que quiconque bafouerait l’ordre aura affaire aux forces de l’ordre.
La première victime du tristement célèbre “Fahngon Pass” (laisser-passer Fahngon) a été Christopher Walker de FrontPageAfrica. Le journaliste rentrait chez lui après son travail le 7 mai, lorsque les agents de sécurité l’ont accosté au point de contrôle de Slip Way à Monrovia. Bien que Walker ait présenté sa carte professionnelle, la police a insisté pour obtenir la carte controversée approuvée par le ministre-adjoint, annulant un précédent laissez-passer qui exemptait les journalistes du confinement et du couvre-feu de COVID-19. Les officiers ont agressé le journaliste et l’ont arrêté.
Le 20 mai, le chef de l’Agence libérienne de lutte contre la drogue (LDEA), Jerry Blamo, a accusé le journaliste Sunny Blar d’avoir enfreint le couvre-feu de COVID-19 et l’a attaqué. Sunny Blar, qui travaille pour le Réseau de communication pour le développement (DCN) FM 91.3 à Cestos, dans le comté de River Cess, était sorti des locaux de la station de radio pour acheter de l’eau potable juste en face. L’officier a fouetté Blar malgré le fait que le journaliste ait montré sa carte de presse.
La troisième et dernière violation liée à la COVID-19 s’est produite le 23 mai, lorsque Trojan Kaizolu, un journaliste de Fabric Radio a été battu et détenu par la police pour ne pas avoir porté de cache-nez. L’Inspecteur Général Adjoint de la Police (IGP) pour les opérations, Melvin Sackor, a ordonné à ses hommes de fouetter le journaliste qui rentrait chez lui après une garde de nuit. Sur ordre de l’officier supérieur, le journaliste battu a été jeté dans un pick-up de la police et emmené à un poste de police voisin où il a été détenu.
Le député IGP Marvin Sackor s’est ensuite excusé auprès de Trojan Kiazolu après que le PUL ait négocié une médiation entre les deux parties.
Lors d’autres incidents, des policiers du dépôt n°2 de la zone rouge 9 ont agressé David K. Yango de Strong FM 98.3 / TV alors que le journaliste était en service le 7 mai 2020. Yango et d’autres reporters interrogeaient des femmes de marché dont les marchandises avaient été saisies par les policiers pour avoir prétendument été vendues dans des lieux non agréés.
Yango a donné plus de détails à la MFWA par messagerie. Il a déclaré qu’une bagarre avait éclaté entre deux femmes et que lui et son collègue Morris Cisse, avaient décidé de la couvrir. C’est pendant la couverture que les policiers les ont agressées. Yango a ajouté qu’il avait été emmené au poste de police et détenu sur ordre d’un certain Elijah Baysah, qu’il a décrit comme le commandant du détachement de la zone 9 du Red Light. “J’ai perdu mon enregistreur pendant l’agression et la police a effacé mes vidéos avant de me rendre mon téléphone saisi”, a déclaré Yango à la MFWA.
Le 9 mai, le maire de Pleebo dans le Maryland, Wellington Kyne, a attaqué et insulté David Kpanie, un journaliste de Voice of Pleebo. Le maire s’était offusqué de certaines des remarques faites par les invités du journaliste lors de son émission sur Voice of Pleebo.
Le 22 mai, la famille et la communauté locale d’une victime de viol de quinze ans ont agressé Abraham Saah, un journaliste de Foya District Kissi TV Radio (FDKTV), une plateforme médiatique en ligne. Les agresseurs étaient en colère contre le journaliste pour avoir rapporté le scandale dans lequel un homme a violé et mis enceinte sa belle-fille.
Le 7 mai, Ansu Sheikh Sonii, directeur de la station Top FM, a rapporté qu’il avait été harcelé et menacé par Ambrose Brown du détachement de police du comté de Grand Cape Mount et par un certain Papa Nynabu. L’officier de police a passé des appels téléphoniques pour menacer le journaliste après que sa station ait rapporté que l’officier avait illégalement déchargé son arme à feu dans la ville de Kinjor, dans le district de Gola Konneh, ce qui avait créé la peur parmi les habitants.
Les médias ont exprimé leur inquiétude face à ces attaques et ont notamment appelé la police à s’abstenir d’agresser les journalistes.
“Documenter les attaques et les menaces contre la presse est louable et doit être soutenu pour exprimer notre répugnance face à cette posture contre la liberté de la presse, en particulier par les forces de l’ordre. Cependant, nous devons veiller à ce que de tels actes fassent l’objet d’une enquête pour obtenir tous les détails et, le cas échéant, appliquer des sanctions. Il pourrait même être possible de voir où les journalistes se sont trompés pour avoir suscité l’angoisse des personnes impliquées dans les attaques. Quoi qu’il en soit, nous disons qu’aucune situation ne justifie la brutalité envers un journaliste”. Malcolm Josephs, directeur exécutif du Centre for Media Studies and Peacebuilding, a protesté.
Garblah Othelo, éditeur du journal New Dawn, a déclaré que les malheureux incidents enregistrés au cours du trimestre sous revue étaient évitables.
“Le rapport semble avoir saisi des incidents au cours de la période considérée qui auraient pu être évités car il ne s’agit pas, dans une large mesure, d’incidents parrainés par l’État mais plutôt par des individus ou de groupes d’individus agissant de leur propre chef” a déclaré M. Othelo à la MFWA.
Si les auteurs des violations susmentionnées sont des policiers trop zélés et des individus vindicatifs, leur action est certainement encouragée par l’atmosphère d’hostilité contre les médias que les fonctionnaires du gouvernement sont perçus comme ayant créé. Suite à une série de remarques hostiles de la part de fonctionnaires du gouvernement en 2018, le Syndicat de la presse du Liberia a été contraint de publier un communiqué de détresse. L’organisation qui chapeaute les journalistes a déclaré qu’elle “a suivi avec un total désarroi les commentaires de protestation de différentes sections de l’administration Weah à l’encontre des médias au Libéria”.
Le 12 mars, les médias ont organisé une marche à Monrovia pour protester contre une vague d’attaques contre les journalistes après que Zenu Miller, un journaliste de la station OK FM basée à Monrovia, soit mort le 15 février 2020, exactement trois semaines après avoir été agressé par les gardes de sécurité du président Weah.
Dans le cadre de la protestation, quelques journaux ont publié en noire à la une de leurs journaux et certaines stations de radio ont suspendu leur programmation normale pour consacrer la journée à discuter de la violence contre les journalistes. A la fin de la marche, le PUL a remis au gouvernement une pétition lui demandant de mettre fin aux “attaques, détentions, intimidations et brutalités contre les professionnels des médias”, qu’il a qualifié de “sans précédent”.
Les violations enregistrées par le PUL dans son dernier rapport sur la liberté de la presse indiquent donc un schéma inquiétant d’impunité face auquel le gouvernement doit prendre des mesures pour y mettre un terme. Il est regrettable que les journalistes soient maltraités en cette période critique de l’épidémie de COVID-19, alors que leur travail crucial en tant que fournisseurs d’information, d’éducation et de sensibilisation est le plus nécessaire. La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest trouve que c’est une triste contradiction le fait qu’un pays soit doté d’un cadre juridique aussi libéral et progressiste pour le secteur des médias puisse, dans la pratique, faillir à assurer la sécurité des journalistes. Nous demandons donc à toutes les parties prenantes au Liberia de travailler ensemble pour inverser la tendance afin de permettre aux médias de fonctionner de manière optimale et de jouer pleinement leur rôle dans l’effort de construction de la nation.