Considérée comme l’une des plus belles baies du monde, la Baie de Hann à Dakar reste toujours dégradée en raison des rejets de déchets industriels et domestiques. Et pourtant en 2020, un projet de dépollution de la baie visait à restaurer la qualité de ses eaux. D’ailleurs, l’Etat du Sénégal avait entamé un projet de dépollution d’un coût de 94 milliards de FCFA sur une durée de 3 ans visant à restaurer cet écosystème. En termes d’impacts attendus, le projet devrait affecter positivement la vie de 500 000 personnes qui pourront avoir accès à un assainissement adéquat en plus du raccordement de 120 industriels au réseau d’assainissement. Dans ce rapport il sera question d’aborder des défis auxquels sont confrontés les défenseurs écologistes, journalistes et société civile.
Cet article est basé sur une série d’entretiens avec des militants écologistes, journalistes et ONG au Sénégal témoignant des défis et menaces qui entravent leur lutte pour la préservation de l’environnement.
La population locale, souvent exclue des débats environnementaux
Moussa Alou Coulibaly, journaliste basé à Dakar et responsable du magazine environnemental « RFI Mandekan », partage son engagement pour traiter des sujets cruciaux tels que l’érosion côtière et la déforestation. Pour lui, il s’agit d’une question de « survie pour l’humanité ». Il s’efforce de sensibiliser les populations rurales, souvent exclues des débats environnementaux.
Sa motivation principale est de contribuer à un « sursaut collectif face aux dangers du changement climatique ». Il se concentre particulièrement sur l’information des populations rurales, qui, souvent, n’ont pas eu accès à l’information.
Concernant les défis rencontrés, il souligne que, parfois, il est difficile d’obtenir des « avis autorisés pour aborder certains sujets, notamment la surpêche et la déforestation, en particulier dans la région de Tambacounda au Sénégal. »
L’Impact sur la pêche et l’avenir incertain de jeunes
La situation est tout aussi critique pour le secteur de la pêche. D’ailleurs, c’est ce qu’explique un pêcheur résidant de la zone de Yarakh. Samba soutient qu’ « Il n’y a plus de poissons ici, parce que bon nombre d’usines déversent leurs eaux usées dans la baie, ce qui fait fuir les poissons. »
Ce manque de poissons pousse des pêcheurs, ainsi que ceux ayant des activités lucratives autour de la mer, à emprunter les pirogues pour un avenir meilleur. Et cette phrase empruntée à Dr BA, Responsable de la campagne Océan chez Greenpeace Afrique devrait suffire d’avertissement. « Si l’exode des pêcheurs se poursuit, nous risquons de nous retrouver face à une double crise ».
Pour lui, « la pêche artisanale, pilier de notre économie côtière, se retrouvera à court de main-d’œuvre qualifiée, et d’autre part, notre sécurité alimentaire est directement menacée. Sans une pêche locale dynamique, nous ne serons plus en mesure de fournir suffisamment de poisson pour nourrir notre population.
Un combat risqué avec menaces et Intimidations
Mbacké Seck, natif du littoral, évoque avec nostalgie son enfance passée sur une plage autrefois idyllique, où baignades et parties de pêche étaient monnaie courante. « Nous avons vu des eaux nauséabondes, une plage devenue infréquentable », déplore-t-il. En juin 1988, avec un groupe d’étudiants, il lance des opérations de nettoyage. Ce combat, qui a débuté à petite échelle, a contribué à réhabiliter la baie de Hann, attirant l’attention du gouvernement après trois décennies d’efforts. Il ne sera pas le seul à s’entretenir avec l’équipe de Média Fondation Ouest African. Sur les défis auxquels sont confrontés les défenseurs de l’environnement.
Être écologiste au Sénégal est un défi de taille. Mbacké Seck, engagé depuis plus de 30 ans, fait face à des pratiques dissuasives de la part des autorités. Refus de soutien matériel, sabotage de manifestations, intimidation par la police : le chemin est semé d’embûches. Après avoir tenté de bloquer le déversement de déchets dans la mer, il a été convoqué à plusieurs reprises par la gendarmerie.
« Les industries chimiques, situées à 110 km de Dakar, causent d’énormes dégâts sur les terres agricoles et la qualité de l’eau. Plus de dix personnes m’ont menacé, séquestré, puis livré aux gendarmes de Mboro. Après une audition et plusieurs interventions, j’ai finalement été relâché », raconte-t-il. Il ajoute que ce canal à ciel ouvert déverse des milliers de déchets solides en mer. « Lorsque nous avons posé une grille pour bloquer ces déchets avant de les enlever pour les diriger vers la décharge publique, j’ai été convoqué et entendu cinq fois par la gendarmerie. »
Les conséquences de l’industrialisation ne sont pas moins préoccupantes. Ces usines nuisent gravement à l’agriculture et à la qualité de l’eau. Après avoir été séquestré et menacé par des individus liés à ces industries, Mbacké a perdu son emploi en 2014 en raison de ses opinions divergentes sur la baie de Hann. Cette perte a entraîné une cascade de problèmes personnels, illustrant les risques encourus pour défendre l’environnement.
« En 2014, après 15 ans de service au gouvernement, j’ai été licencié par le ministre de l’Eau et de l’Assainissement en raison de divergences sur la question de la baie de Hann. Cette perte d’emploi a entraîné le chômage, un divorce, des difficultés scolaires pour mes enfants, et même une expulsion de mon appartement », s’est-il confié à MFWA.
Face à ces défis environnementaux sans précédent, le Sénégal a besoin d’une mobilisation collective des voix de journalistes, écologistes, organisations non gouvernementales pour éveiller les consciences et impulser des changements nécessaires. Chaque action compte pour bâtir un avenir durable.
Le journaliste Moussa Thiam, à la tête du Cadre de Réflexion et d’Action des Journalistes sur l’Eau et l’Assainissement (CRAJHEA), a formulé une série de recommandations pour la capitalisation du projet de dépollution de la Baie de Hann. Pour lui, il faut une sensibilisation continue : « Organiser des campagnes médiatiques régulières pour informer le public sur l’état de la baie avant, pendant et après les phases de dépollution. L’objectif est de sensibiliser la population à l’importance de la dépollution pour la santé publique, l’économie locale (pêche, tourisme) et la biodiversité marine. »
La transparence et l’accès à l’information doit être de mise. « C’est à demander un accès aux données environnementales, notamment les indicateurs de pollution et les progrès des travaux. Cela permettra de suivre les objectifs de dépollution et de rendre les acteurs responsables. »
Le gouvernement sénégalais, agissant en partenariat les acteurs clés (gouvernement, ONG, entreprises privées) doit créer un espace civique favorable aux activités des journalistes et écologistes visant à protéger l’environnement.
Les autorités doivent assurer que les auteurs de violence et d’intimidation à l’encontre des journalistes et activistes environnementaux rendent compte de leurs actions.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet de suivi et rapports sur la liberté d’expression liées au journalisme et l’activisme environnementaux. Le projet intitulé « Promouvoir l’agroécologie et la Durabilité Environnementale ; et Renforcer la Liberté d’Expression en Afrique de l’Ouest », est mis en œuvre avec le soutien financier de The 11th Hour Project.