Le 8 septembre 2022, le sort de 53 stations de radiodiffusion au Nigeria sera décidé par la Haute Cour fédérale de Lagos, saisie d’une demande d’injonction interlocutoire contre une décision prise le 19 août par la National Broadcasting Commission (NBC). La NBC veut révoquer les licences de ces stations.
Tout comme la Nigerian Guild of Editors (NGE) et le groupe de défense des droits, le Socio-Economic Rights and Accountability Project (SERAP), qui ont déposé la motion d’injonction, de nombreux défenseurs de la liberté de la presse attendent avec impatience la date du procès.
Quand bien même, la situation du Nigeria reste infime face à celle de la Guinée-Bissau où, en avril, le paysage radiophonique a été pratiquement réduit au silence par le gouvernement après la fermeture de 79 stations.
Dans les deux cas, la justification invoquée pour les fermetures et tentatives de fermeture était le fait que les stations n’avaient pas renouvelé leurs licences.
Il y a ensuite le cas du Ghana où, en août, les chefs traditionnels ont ordonné la fermeture d’une station de radio et déclaré une autre station persona-non grata en réponse aux critiques adressées leur encontre concernant leurs actions ou manque d’initiative qui aurait contribué aux maux sociaux, économiques et environnementaux.
Les incidents survenus dans ces trois pays dressent un tableau sombre : entre avril et août 2022, la Guinée-Bissau, le Nigeria et le Ghana se sont transformés en un axe de problèmes pour la liberté de la presse ou les maisons de radiodiffusion et de télévision se sont retrouvés en butte aux assauts d’un régulateur des médias ou d’une autorité.
De nombreux groupes de défense des droits et de la liberté de la presse, dont la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), ont déjà condamné ces attaques. Dans les cas où l’octroi de licences est la raison des fermetures, ils ont exhorté les gouvernements à faire preuve de retenue et à laisser aux médias une marge de manœuvre pour réunir les fonds nécessaires au remboursement de leurs dettes.
Malheureusement, les tentatives qui ont été faites ou qui sont en train d’être faites pour mettre hors service 132 stations de radiodiffusion au Nigeria et en Guinée-Bissau, reviennent à dire que les autorités pénalisent ces stations parce qu’elles sont dans une mauvaise situation financière. En effet, il faut de l’argent pour renouveler les licences de diffusion. Cela implique que la poursuite des droits de licence de diffusion se fait au détriment du public ; à son droit à l’information.
Au nom de la Loi
Les gouvernements du Nigeria et de la Guinée-Bissau n’ont pas hésité à souligner qu’en ne renouvelant pas leurs licences, ces stations violent les lois régissant la radiodiffusion. La NBC du Nigeria s’est exprimée clairement en disant que le non-renouvellement des licences par les stations les mettait en contradiction avec la section 10(a) de la troisième annexe de la loi sur la NBC. De manière encore plus poignante, la NBC a déclaré que les 53 stations visées par la fermeture devaient au gouvernement fédéral une somme cumulée de plus de 2,6 milliards de NGN (6,1 millions de dollars US).
Mais si la demande d’injonction du SERAP et du NGE, qui est la seule chose qui empêche la NBC de procéder aux fermetures, échoue, l’interdiction affectera toute un grand nombre de médias. Il s’agit notamment de poids lourds tels que African Independent Television (AIT) et Silverbird Television (STV), ainsi que de nombreux autres médias relativement petits.
Les organes de radiodiffusion des États de Lagos, Ogun, Rivers, Katsina, Imo, Sokoto et Kaduna seront également privées d’antenne. Il n’est pas difficile de voir que cela donnera au gouvernement de Buhari un répit contre le feu constant de la redevabilité qui sévit sous ses pieds.
Dans le cas de la Guinée-Bissau, le ministère de la Communication Sociale a annoncé dans un communiqué de presse du 7 avril 2022 que le délai de 72 heures accordé par le ministre, Fernando Mendonça, à 88 stations de radio pour régulariser leur statut de licence de diffusion, s’est écoulé le 6 avril 2022. Selon le gouvernement, “sur le total de 88 stations de radio notifiées, à ce jour, seuls neuf titulaires de licence se sont présentés au ministère pour les procédures requises, une situation considérée par le ministère de la Communication sociale comme un non-respect des directives imposées par l’État de Guinée-Bissau.” En conséquence, le gouvernement a décidé de fermer les 79 autres stations.
Cela a bien sûr poussé la MFWA à agir. En collaboration avec des partenaires tels que le syndicat des journalistes de Guinée-Bissau, SINJOTECS, et l’association des radiodiffuseurs communautaires, RENARC, les partenaires de MFWA en Guinée-Bissau ont négocié un plan de paiement échelonné pour permettre aux stations de régler leurs dettes. Finalement, 77 des 79 stations ont payé et ont été réadmises à l’antenne.
Le coût de renonciation
Que ce soit l’argent ou la nécessité d’appliquer la loi qui explique les tentatives de fermeture de stations de radiodiffusion par les gouvernements du Nigeria et de la Guinée-Bissau, la question est de savoir à quel prix ces fermetures sont effectuées. Au Nigeria, le gouvernement Buhari a été largement perçu comme un gouvernement qui a flatté pour tromper. La corruption et la marginalisation de la population ont toujours été des thèmes récurrents dans les contributions du Nigeria à chaque édition de la Conférence et des Prix d’Excellence des Médias d’Afrique de l’Ouest (WAMECA) de la MFWA, un programme de récompenses et de reconnaissance du bon journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest. L’impression la plus ressentie est que ces questions continuent de tourmenter le Nigeria. Il faut que les médias publient des articles sur ces mêmes questions après que les journalistes les aient étudiées, afin qu’elles puissent être confrontées. Fermer des médias pour non-paiement des droits de licence ou pour assurer le respect de la loi revient à priver la population de son droit à l’information sur ces questions.
Ce n’est pas comme si les observateurs inquiets faisaient preuve de snobisme à l’égard des préoccupations de ces autorités – la MFWA, par exemple, a, en réponse à pratiquement toutes les tentatives de fermeture d’un média en Afrique de l’Ouest pour cause de non-renouvellement des licences de diffusion, conseillé aux médias concernés de faire des efforts pour collecter des fonds afin de renouveler leur licence. Ce conseil est généralement donné en plus d’un appel aux autorités à faire preuve de retenue afin que les stations concernées puissent avoir la possibilité de réunir les fonds nécessaires.
L’exigence de la COVID-19
En aucun cas cela serait-il la meilleur façon de résoudre le problème des stations de radiodiffusion qui ne renouvellent pas leurs licences à temps. En effet, si les autorités suppriment des ondes les stations de radio et de télévision afin d’obtenir des droits de licence, elles ne privent pas seulement le public de l’information, mais elles placent également ces stations dans une situation où même le peu d’argent qu’elles pourraient obtenir en restant en ligne ne peut être obtenu parce qu’elles sont désormais inactive.
En outre, il y a la circonstance atténuante de la pandémie de COVID-19. La fermeture des 79 stations de radiodiffusion en Guinée-Bissau et la tentative imminente de révoquer les licences des 53 stations de radiodiffusion au Nigeria se sont produites ou se produisent en 2022, une période pendant laquelle le monde entier est en convalescence après les ravages économiques engendrés par la pandémie dans le monde.
En 2020, le Nigeria est entré en récession après que son PIB s’est contracté pendant deux trimestres consécutifs. La plus grande économie d’Afrique est entrée en récession pour la première fois depuis 2016, date à laquelle elle avait connu sa première récession avant d’en sortir en 2017, un an plus tard. La reprise a cependant été très lente, compte tenu du fait que la COVID-19 a également entrainé une baisse du prix de pétrole .
« Le PIB réel du T3 2020 a réduit de -3,62 % pour le deuxième trimestre consécutif », a déclaré Yemi Kale, le statisticien en chef, ajoutant : « Le PIB cumulé pour les neuf premiers mois de 2020 s’est donc établi à -2,48 %. »
La même année, le FMI a dû approuver un financement d’urgence de 3,4 milliards de dollars pour le Nigeria, qui ne s’est toujours pas remis des effets de la pandémie.
Il est important de constater que le gouvernement fédéral après s’être plaint de l’impact négatif de la COVID-19 sur l’économie et après avoir demandé une aide financière au FMI, se permet de fermer des stations de radio et de télévision qui ne parviennent pas à réunir les fonds nécessaires pour payer les droits de diffusion en cette période de ralentissement économique mondial induit par la COVID-19. La question est la suivante : si même le gouvernement fédéral a dû demander une aide financière, la radio ou la télévision locale ne devrait-elle pas bénéficier d’un peu d’indulgence ?
Avant la pandémie de la COVID-19, l’économie de la Guinée-Bissau devait connaître une croissance de 5 % en 2020. Mais ces prévisions ont été revues à la baisse en raison de la forte chute des exportations de noix de cajou, qui a entraîné une diminution des recettes fiscales et une détérioration du déficit budgétaire du pays, passant de 3,1 % du PIB avant la pandémie en 2020 à une échelle comprise entre 4,5 à 4,8 % du PIB.
Le gouvernement de la Guinée-Bissau a également été contraint de compter sur une subvention de 9,8 millions de dollars US du Fonds Africain de Développement pour l’aider à atténuer les ravages de la COVID-19. Là encore, si le gouvernement lui-même a dû recevoir de l’aide, est-ce que 79 stations de radiodiffusion n’auraient pas pu bénéficier d’une aide sous la forme d’une longue laisse en ce qui concerne la nécessité de renouveler les licences de diffusion ?
Dans toute l’Afrique, la dévastation causée par la COVID-19 a constitué une circonstance atténuante suffisante pour que les autorités fassent preuve d’indulgence envers les stations de radio diffusion.
Le Ghana, une autre paire de manches
En ce qui concerne la fermeture de stations de radiodiffusion pour cause d’octroi de licences, le Ghana n’en est pas exempt de tout reproche. En 2017, le pays a révoqué les licences de près de 35 stations pour défaut de paiement des droits de licence. Toutefois, en 2021, presque toutes les stations ont été autorisées à reprendre l’antenne.
En août 2022, deux autorités traditionnelles ont attaqué deux stations de radio. Le 1er août, le Conseil traditionnel d’Ada, dans la région du Greater Accra, a déclaré qu’une station de radio communautaire, Radio Ada, et ses journalistes, avaient été interdits de couvrir un festival du peuple d’Ada, l’Asafotufiami. L’interdiction a été motivée par le fait que la station a servi de plate-forme à des voix critiques qui ont blâmé les chefs de la région pour les atrocités commises par une entreprise d’extraction de sel, Electrochem, à l’encontre des habitants d’Ada qui protestent contre l’attribution de contrats à l’entreprise par le gouvernement.
Dans une déclaration, le conseil traditionnel a également déclaré Radio Ada et ses journalistes persona non grata pour tout autre programme que le conseil traditionnel organisera à l’avenir, même après l’Asafotufiami. De nombreux défenseurs de la liberté de la presse, dont la MFWA, ont condamné cette violation flagrant de la liberté de la presse et leurs voix ont trouvé un écho près de la population.
Cependant, quelques semaines seulement après l’abus du conseil traditionnel d’Ada, le conseil traditionnel de Kumasi, dans la région d’Ashanti, a également ordonné la fermeture d’une station de radio basée à Kumasi, Oyerepa FM, en raison des critiques qu’une personne interviewée avait formulées à l’encontre des chefs concernant leurs passivités sur l’extraction illégale de l’or. Même si le conseil traditionnel de Kumasi n’a pas vraiment le pouvoir de fermer des stations de radio, Oyerepa FM a rapidement cessé ses activités, par crainte que les avertissements verbaux ne soient suivis de violence physique.
Il est certain que le Ghana est une autre paire de manches, la violation se présentant ici sous forme d’abus d’autorité traditionnelle qui violent de manière flagrante la liberté de la presse en dépit du gouvernement démocratiquement élu. Ce qui est triste, c’est que pendant longtemps, le Ghana a été tenu en très haute estime en Afrique comme un exemple en termes de liberté de la presse sur le continent.
Le classement du pays en matière de liberté de la presse pour 2022 va certainement prendre un coup, mais au-delà de cela, il reste un fait lamentable que la liberté des médias au Ghana peut être empiétée à tout moment par des autorités traditionnelles qui dépassent parfois des limites.
Voie à suivre
Au risque d’insister sur ce point, les médias restent essentiels à la démocratie et à la bonne gouvernance et, de par la nature de leur service, ils devraient être protégés autant que possible de toute forme d’entrave. La fermeture d’un média pour faute de licence est une entrave car elle prive d’antenne les réseaux de radiodiffusion et prive également le public d’informations. Plus inacceptable encore, la fermeture d’une station de radio ou de télévision permet aux gouvernements de ne pas avoir à rendre des comptes, ce que personne ne souhaite.
Cela étant, il est nécessaire de trouver des moyens pour assurer que les stations de radio et de télévision continuent d’émettre même, lorsqu’elles n’ont pas honoré le renouvellement de leur licence. Il faudrait créer un espace pour que les stations puissent réunir l’argent nécessaire pour payer les renouvellements, probablement, sous des rappels constants. Au moins dans la période actuelle, les exigences des suites de la pandémie de la COVID-19 justifient les aides financières.
Et dans le cas d’abus de pouvoir des autorités traditionnelles, dans des pays dits démocratiques comme le Ghana, il revient aux gouvernements de maîtriser les chefs coutumiers et de faire respecter la constitution qui prévoit la liberté de la presse