Dans le contexte d’aggravation de la situation sécuritaire des journalistes au Ghana, Vivian Affoah, Directrice de Programme Liberté d’Expression, a discuté avec le World Politics Review du récent assassinat du journaliste d’investigation Ahmed Hussein-Suale et des menaces constantes de violence, d’intimidation auxquelles sont confrontées les journalistes dans leur travail au Ghana.
Le premier assassinat documenté d’un journaliste de cette année a eu lieu au Ghana quand Ahmed Hussein-Suale, membre du très réputé groupe d’investigation Tiger Eye PI, a été abattu près de son domicile familial à Accra le 16 janvier. La police pense qu’il a été assassiné à cause de sa profession de journaliste. Dans une interview accordée à WPR, Vivian Affoah, Directrice de programme à la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest à Accra, aborde le cas de Saddam Hussein-Suale, les obstacles rencontrés par les journalistes ghanéens dans leur travail et l’évolution du paysage médiatique ghanéen.
World Politics Review: Pourquoi Ahmed Hussein-Suale était-il menacé et ciblé? L’enquête policière ultérieure a-t-elle révélé des indices sur l’identité de l’auteur du meurtre?
Vivian Affoah: Tiger Eye s’est fait beaucoup d’ennemis au fil des ans, en raison de son travail en exposant des offres corrompues dans les ports de mer du Ghana, le bureau des passeports et le service de délivrance des permis de conduire. Ses journalistes ont également mis à nu la complicité des agences de sécurité en matière de contrebande de cacao et d’exploitation minière illégale. Compte tenu de ces antécédents, il est à prévoir que toute personne travaillant avec Tiger Eye ou associée à son chef, Anas Aremeyaw Anas, pourrait être la cible d’attaques. C’est pourquoi tous les membres de l’équipe se font discrets.
Hussein-Suale a commencé à recevoir de nombreuses menaces lorsque Kennedy Agyapong, membre du Parlement ghanéen, a révélé son identité au public l’année dernière. Agyapong était mécontent des méthodes d’infiltration utilisées par Tiger Eye dans sa plus récente enquête, qui a révélé une corruption étendue dans le football ghanéen et cela a entraîné la dissolution de la Fédération ghanéenne de football. Agyapong a utilisé sa propre chaîne de télévision pour montrer le visage d’Hussein-Suale et même pour inciter à la violence contre lui. De nombreux voisins, amis et parents d’Hussein-Suale ne savaient pas qu’il faisait partie de l’équipe Tiger Eye, mais une fois exposé, il est devenu une cible de représailles du fait des sujets de reportage d’investigation de Tiger Eye.
L’enquête de la police est en cours et, bien qu’il y ait eu quelques arrestations préliminaires, aucun indice n’a été révélé publiquement concernant qui aurait pu être à l’origine de son assassinat.
WPR: Les journalistes ghanéens font-ils souvent face à des menaces de violence, d’intimidation ou de harcèlement? Si non, quels sont les principaux obstacles auxquels ils sont confrontés dans leur travail?
Affoah: Malgré des protections juridiques relativement robustes, les journalistes au Ghana sont parfois victimes de violences physiques, principalement de la part d’agents de sécurité trop zélés et lors de rassemblements publics tels que des manifestations politiques, d’autres manifestations et événements sportifs. Des militants de partis politiques, des représentants du gouvernement et même des partisans des clubs sportifs menacent ou attaquent des journalistes qu’ils perçoivent avoir un parti pris contre eux. Il est également arrivé que des journalistes et des médias soient agressés physiquement par des individus lors d’émissions de radio ou pour avoir publié des informations jugées gênantes et offensantes pour un groupe religieux, une ethnie ou une tribu.
Les journalistes sont confrontés à d’autres obstacles majeurs dans leur travail: formation limitée et rémunération médiocre. Le secteur des médias au Ghana a été envahi par des journalistes inexpérimentés et à moitié formés, et de nombreuses stations de radio, en particulier celles qui diffusent dans les langues locales, sont devenues un terrain fertile pour les amateurs sans souci d’éthique et de professionnalisme. La prolifération de ces organisations de médias non professionnelles a entraîné une diminution du soutien du public aux médias.
WPR: Comment décririez-vous le paysage médiatique au Ghana? Quelles mesures institutionnelles ou juridiques peuvent être prises pour créer un environnement positif pour le journalisme indépendant?
Affoah: Le journalisme indépendant est un élément clé de la culture démocratique ghanéenne. Il existe une pléthore d’organes de médias privés qui ont des lignes éditoriales indépendantes absolues, y compris des médias qui ont une orientation politique explicite. Le droit à la liberté de la presse consacré par la Constitution est largement respecté dans la pratique, et les responsables nationaux et gouvernementaux ont généralement une attitude tolérante à l’égard des opinions éditoriales divergentes et de la couverture critique de leurs activités.
Les médias ghanéens ont franchi une étape importante en 2001, lorsque le gouvernement a décriminalisé la diffamation, créant ainsi une atmosphère plus libre et plus ouverte pour les journalistes. L’adoption du projet de loi sur le droit à l’information, actuellement à l’examen au Parlement, constituerait un pas en avant supplémentaire vers l’amélioration de l’environnement de la liberté d’expression. Cela renforcerait également la capacité des organisations de médias à mener des projets d’investigation.
Dans le même temps, les attaques physiques contre des journalistes par des acteurs étatiques et non étatiques, comme celle contre Hussein-Suale, continuent de constituer une menace. Un moyen d’éviter que de telles attaques ne se reproduisent et d’assurer la sécurité des journalistes consiste à favoriser la communication entre la presse et les forces de l’ordre. À cette fin, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest travaille avec les organisations des médias et la police du Ghana en organisant des forums où les représentants des médias et les forces de l’ordre peuvent discuter des moyens d’améliorer les relations, de renforcer la sécurité des journalistes et de mettre un terme à l’impunité pour les crimes commis à leur encontre.
Il est également nécessaire de renforcer les capacités des journalistes pour qu’ils puissent effectuer un travail de qualité, en particulier dans les domaines de la lutte contre la corruption et de la réédition des comptes des services publics. Ceci est particulièrement important car la plupart des médias au Ghana ne forment pas les journalistes eux-mêmes. Le renforcement des capacités aiderait les médias à devenir financièrement viables dans un environnement commercial de plus en plus concurrentiel et difficile.