Insurrection, bouleversements politiques exploités pour réprimer la liberté de presse au Mali et au Niger

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President of Niger, Mahamadou Issoufou

Outre les menaces terroristes, les pays du Sahel (Burkina Faso, Mauritanie, Mali et Niger) font face à d’énormes défis de préservation et de renforcement de l’Etat de droit et de la démocratie. Parmi ces défis, figure en bonne place, celui de l’ancrage des libertés individuelles et collectives. Considérée comme l’un des baromètres de l’Etat de droit, la liberté d’expression et de la presse est aujourd’hui confrontée à une tendance de remise en cause tant par les acteurs politiques que par des groupes de pression. Dans le contexte des Etats du Sahel déjà en proie au terrorisme qui en lui-même constitue un facteur limitant la liberté de presse et d’expression, cette tendance se traduit, entre autres, par l’adoption de textes de lois restrictives des libertés, des harcèlements judiciaires ou des actes de violences contre les professionnels des médias et des activistes des réseaux sociaux.

Dans le cadre de son programme de promotion de la liberté de la presse au Sahel, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), a entrepris de documenter ces cas de violations de la liberté d’expression et de la presse dans les 4 pays en vue d’un plaidoyer pour l’amélioration du cadre légal d’exercice de la liberté des acteurs des médias et des réseaux sociaux. La présente note synthétise et analyse des cas signalés entre septembre et octobre au Mali et au cours de l’année 2020 au Niger. Elle se structure en trois parties : les formes et les manifestations des violations de la liberté d’expression et de la presse ; les points communs entre l’intolérance et l’abus d’autorité ; et un appel à briser le cycle de répression.

Les formes et manifestations des violations d’expression et de la liberté de la presse

Au Mali et au Niger, des professionnels des médias et des activistes des réseaux sociaux font régulièrement l’objet de violence et de poursuites judiciaires consécutives à des publications dans les médias conventionnels et sur les réseaux sociaux. Ces violences sont, le plus souvent, orchestrées par des personnalités politiques ou leurs proches, abusant de leurs positions de pouvoir pour étouffer la liberté d’expression et de presse ou des citoyens organisés ou non, qui veulent imposer leur mode de pensée à tous.

Ces violences prennent plusieurs formes. D’abord, l’on peut retenir les violences physiques contre les journalistes et les activistes des réseaux sociaux. Dans ce registre on peut retenir la brutalisation de journalistes par des militaires (membres de la junte au pouvoir au Mali entre le 18 août et le 25 septembre 2020) qui les ont empêchés de faire des photos lors des obsèques de l’ancien Président Moussa Traoré. Ce fait, apparemment anodin, illustre la faible prise en compte des médias et la nécessité de leur accorder une certaine liberté de mouvement lors des cérémonies officielles dans ce pays. La primauté des mesures sécuritaire dans un contexte de menace terroriste ne laisse pas assez de place aux médias, les empêche de faire correctement leur travail.

Ensuite, on peut également noter les arrestations arbitraires de journalistes et d’activistes sans procédure judiciaire ou avant d’engager lesdites procédures. Ces formes de violences sont signalées aussi bien au Mali qu’au Niger. Au Mali, le putsch semble avoir ouvert la voie à une répression quasi systématique de la liberté d’expression et de presse. Deux journalistes (Ibrahim Adiawiakoye, Directeur de publication du journal en ligne Mali Scoop et Abdourahmane Doucouré, journaliste du bi-hebdomadaire La Sirène) ont été interpellés par la police sur simple plainte pour diffamation.

Ainsi donc, les violations de la liberté d’expression peuvent prendre la forme de harcèlements judiciaires contre des activistes et des journalistes. Ces harcèlements consistent en des arrestations et emprisonnements pour des délits parfois inventés de toutes pièces mais dont l’objectif réel et inavoué est d’imposer le silence sur leurs malversations en empêchant les journalistes et les activistes de dénoncer des scandales de corruption. C’est ce qui est arrivé à la journaliste nigérienne et activiste des réseaux sociaux, Samira Sabou. Elle a passé 47 jours (du 10 juin au 27 juillet) en détention pour avoir dénoncé des pratiques présumées de corruption dans des commandes publiques de matériels militaires. Elle a été poursuivie sur la base de la loi contre la cybercriminalité au Niger qui semble désormais être un véritable instrument de restriction et de répression de la liberté d’expression dans ce pays notamment sur les réseaux sociaux.

On peut y ajouter le cas du journaliste Ali Soumana qui a été interpellé puis libéré sous caution pour avoir publié des informations sur le même scandale en juillet 2020.

Ces harcèlements judiciaires touchent aussi les défenseurs des droits humains et des syndicalistes. Trois d’entre eux ont été interpellés et détenus au Niger pour avoir organisé « une manifestation non autorisée ».

Enfin on peut relever les entraves à l’accès à l’information. Ici on peut noter l’expulsion du journaliste malien Sory Ibra Maiga de la radio Sud FM et Sahelien.com du Centre International de Conférence de Bamako (CICB) lors des débats sur la transition au Mali du 10 au 12 Septembre 2020.

Toujours au Mali, le présentateur de radio, Mohamed Youssouf Bathily a fait l’objet d’un barrage de menaces soupçonnées d’avoir été lancées par des manifestants ou des sympathisants de l’Imam Dicko, une figure religieuse puissante dont l’appel à la désobéissance civile a conduit au coup d’État.

Des traits communs : entre intolérance de la pluralité des opinions, abus d’autorité et instrumentalisation de la justice

Toutes ces formes et manifestations de la violence ont des traits communs dans les deux pays, tant au niveau des auteurs présumés que des motivations. En effet, ces violences sont le plus souvent le fait d’autorités politiques ou militaires (putschistes et anciens ministres au Mali, des haut-gradés de l’armée au Niger), des groupes de pression (partisans de l’Imam Dicko au Mali).

Elles traduisent d’une part des abus d’autorité et une instrumentalisation de la justice pour museler la presse ; et d’autre part, l’intolérance de la diversité des opinions chez certains citoyens ou groupes de citoyens ou la junte militaire.

Dans le premier cas, les abus se manifestent de plusieurs manières. On opère parfois des interpellations en dehors de procédures judiciaires et sur simple plainte d’une personnalité politique ou à l’initiative de la justice et des officiers de police judiciaire. Ensuite, on essaie de d’engager des procédures en confiant les dossiers au pouvoir judiciaire. La plupart des cas d’arrestations et d’interpellation de journalistes ou d’activistes au Mali et au Niger s’inscrivent dans cette logique de violations flagrantes des droits des personnes interpellées mais aussi des procédures.

Dans le second cas, c’est le refus de l’expression du pluralisme des opinions. L’intention des auteurs est surtout d’imposer la pensée unique ou le silence. C’est le cas de l’expulsion d’un journaliste du Forum des forces vives du Mali sur la transition et des menaces contre un chroniqueur radio et des menaces contre Mohamed Bathily.

Sur les motivations de ces violences, le message est donc double : empêcher les victimes de poursuivre leurs dénonciations ; dissuader d’éventuels soutiens, d’autres médias ou activistes d’amplifier les faits.

La récurrence des recours à la violence contre les journalistes et les activistes des réseaux sociaux cachent mal la volonté réelle de leurs auteurs d’empêcher la libre expression des opinions et des professionnels des médias. Elle fragilise le processus démocratique en privant les citoyens de leurs droits constitutionnels à l’information et contribue discréditer les institutions judiciaires. Ces pratiques les transforment en instrument de règlement de comptes personnels et surtout de musèlement des voix qui dénoncent la mal gouvernance.

Les recours abusifs à la loi portant cybercriminalité au Niger pour réprimer la liberté de presse et d’expression sur les réseaux sociaux indiquent clairement les intentions des auteurs et de la justice qui préfèrent mettre sous boisseau, les lois spécifiques sur la presse. C’est un net recul de la démocratie et de l’Etat de droit.

De l’impératif de rompre avec tendance d’assaut contre l’Etat de droit 

Après les avancées législatives en matière de liberté de la presse au cours de la décennie 2000, l’on peut constater avec beaucoup d’inquiétudes que certains pays sont en train d’adopter de nouvelles lois que l’on invoque de plus en plus pour restreindre les libertés individuelles et collectives. Sont de celles-là, la loi sur la cybercriminalité au Niger, devenue un prétexte pour espérer un contrôle à priori des contenus médiatiques.

Il apparaît donc impératif de rompre avec cette tendance à la remise en cause de l’Etat de droit et de ses principaux instruments. Cela passera nécessairement par une forte mobilisation des organisations professionnelles des médias, des organisations de défense des droits humains, des partenaires techniques et financiers ainsi des formations politiques autour de l’urgence de sauver la démocratie, Les contextes de dégradation de la situation sécuritaire ne peuvent pas justifier une telle remise en cause des acquis démocratiques.

La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) veut par ce rapport inciter les réseaux nationaux pour lancer une réflexion en vue de parvenir à des actions structurées de préservation et de défense de la liberté de presse dans les pays sahéliens.

A cet effet, nous appelons aux médias et aux journalistes de resserrer les rangs, de faire montre de plus de persévérance et du respect à l’éthique et la déontologie.

Nous appelons aussi à la justice dans les pays concernés de se porter garante des libertés, y compris la liberté d’expression et de refuser d’être instrumentalisée pour régler des comptes personnels. La MFWA appelle également aux forces de l’ordre de se faire valoir comme une force républicaine et protectrice des valeurs démocratiques y compris la liberté de la presse et de l’expression.