Le discours ci-dessous a été prononcé par le directeur exécutif, Sulemana Braimah, lors de son intervention au Change Speakers Forum V le 8 juillet 2023, organisé par Joy FM, basée à Accra, sur le thème : Les médias et le développement national : Prémisse, promesse, pratique. Dans son discours, il a examiné le rôle des médias depuis le retour du Ghana à la quatrième République, il y a trente ans. Il a conclu en appelant à des réformes urgentes dans les médias et a présenté des recommandations qui, selon lui, peuvent apporter les changements nécessaires.
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Après 30 ans en tant que nation démocratique, le moment n’aurait pu être mieux choisi pour évaluer le rôle des médias dans notre gouvernance et notre programme de développement.
Ce matin, je tenterai donc de faire une analyse des médias ghanéens dans le contexte de 30 ans de démocratie. Je le ferai sous trois angles.
Tout d’abord, et en guise d’introduction, j’évoquerai brièvement les prémisses ou le contexte des médias et de la gouvernance au Ghana, qui ont pu influencer les nombreuses garanties de liberté et d’indépendance des médias dans notre Constitution de 1992.
Ensuite, j’examinerai le paysage médiatique ghanéen au cours de nos 30 dernières années de démocratie et si les médias ont joué ou non le rôle que l’on attendait d’eux dans la démocratie.
Enfin, j’analyserai certains des défis qui limitent le rôle et l’efficacité des médias dans les efforts de gouvernance et de développement du Ghana.
Je conclurai en partageant quelques réflexions sur les réformes indispensables pour renforcer le rôle des médias en tant que quatrième pouvoir et leur permettre de contribuer à notre développement en tant que nation plutôt que d’y nuire.
Comme nous le savons tous, les médias ont toujours été un acteur essentiel de l’histoire politique du Ghana. Depuis l’époque du colonialisme jusqu’à nos luttes pour l’indépendance et la gouvernance post-indépendance, les médias ont souvent été des agents déterminants dans notre discours sur le développement national.
Dans le cadre de notre lutte pour l’indépendance, par exemple, Kwame Nkrumah a créé l‘Accra Evening News en 1948 pour soutenir la propagation des idées indépendantistes. À la veille de l’indépendance, le 5 mars 1957, Nkrumah a créé la Ghana News Agency et, juste après l’indépendance, il a créé le Ghanaian Times en 1958, avant de racheter le Daily Graphic qui appartenait à des propriétaires étrangers, le Mirror Group, en 1962. Ces mesures ont été prises dans le cadre d’une politique globale visant à exploiter le pouvoir d’information de l’État pour construire un État-nation viable, uni et soudé après l’indépendance.
Reconnaissant le rôle critique des médias dans la gouvernance et les affaires intérieures, tous les gouvernements depuis l’indépendance, qu’ils soient militaires ou civils, ont mis en place une politique des médias. La différence a toujours résidé dans les positions idéologiques sur le rôle des médias et sur les conditions dans lesquelles les médias doivent jouer le rôle qui leur est attribué.
Les régimes militaires ont souvent cherché à contraindre les médias à se faire les propagateurs du programme de développement du gouvernement et ont considéré toute action de surveillance de la part des médias comme des actes de sabotage, de trahison et de développement antinational qui devaient être réprimés et punis.
Dans les régimes démocratiques, cependant, il y a toujours eu un effort pour créer un paysage libéral qui permettrait aux médias de jouer leur rôle de chien de garde et de servir de quatrième pouvoir au pays.
À l’aube de la quatrième République, les auteurs de la constitution de 1992 étaient donc convaincus que la démocratie ghanéenne se développerait mieux si notre gouvernance était ancrée dans un environnement où l’information est librement diffusée, où les opinions divergentes sont partagées et débattues, et où un consensus politique est recherché et atteint.
Les auteurs de notre constitution étaient certainement aussi convaincus que ce qui était nécessaire pour parvenir à une société éclairée était un écosystème médiatique libre, indépendant et pluraliste, plutôt que l’environnement médiatique répressif qui régnait à l’époque où la constitution a été élaborée.
Il a été jugé qu’un tel paysage médiatique libre était également nécessaire à la réalisation des aspirations nationales fondamentales énoncées au chapitre 6 de la Constitution, intitulé « Principes directeurs de la politique de l’État ».
Il n’est donc pas surprenant de constater que le chapitre 12 de la Constitution de 1992 garantit expressément la liberté et l’indépendance des médias. En effet, plusieurs articles et clauses du chapitre 12 de la constitution garantissent, entre autres libertés, l’absence de censure, l’absence d’obstacles à la création de médias, l’absence de licence requise pour la création et le fonctionnement des médias, l’absence d’ingérence ou de contrôle du gouvernement dans les activités des médias, l’absence de sanctions ou de harcèlement à l’encontre des rédacteurs en chef et des éditeurs en raison de leurs opinions éditoriales.
Bien que les libertés soient limitées pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public, d’ordre moral et de respect des libertés et des droits d’autrui, comme le prévoit l’article 164 de la constitution, il ne fait aucun doute que les auteurs de notre constitution souhaitaient réellement un paysage médiatique libre et indépendant.
La Constitution n’accorde cependant pas la liberté et l’indépendance des médias pour le simple plaisir de le faire. Elle impose aux médias une obligation démocratique constitutionnelle en stipulant que les médias seront libres de défendre les principes, les dispositions et les objectifs de la Constitution, et qu’ils s’assureront que le gouvernement s’acquitte de ses responsabilités et rende des comptes au peuple ghanéen. Ainsi, lorsque les médias et les journalistes agissent pour demander des comptes aux gouvernements et aux décideurs, ils ne font que s’acquitter de leur devoir en vertu de la Constitution.
Cela m’amène au deuxième volet de mon analyse, qui porte sur le paysage médiatique après que les libertés ont été garanties, et sur la question cruciale de savoir si et comment les médias ont joué le rôle que l’on attendait d’eux tout au long de ces 30 années de démocratie.
Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution en janvier 1993, le paysage médiatique ghanéen a, sans surprise, connu des changements très importants en termes de nombre et de types de médias, de diversité en matière de possession et de répartition sur le territoire.
Les secteurs de la radiodiffusion et des médias en ligne ont connu les changements les plus radicaux. Avant 1993, par exemple, il n’existait qu’un seul réseau de radio et de télévision, appartenant à l’État et contrôlé par le gouvernement, exploité par la Ghana Broadcasting Co-operation (GBC). 30 ans plus tard, des changements considérables ont eu lieu.
Selon les dernières estimations fournies par l’Autorité nationale des communications, le nombre de stations de radio est passé d’une seule en 1993 à 513 à la fin de l’année 2022. Le nombre de stations de télévision diffusant des programmes au cours de la même période a également augmenté, passant de seulement GTV à 117 stations. Il est probable qu’à l’heure actuelle, ces chiffres aient déjà augmenté.
En ce qui concerne la presse écrite, même s’il existait un nombre considérable de journaux en dehors des journaux publics Ghanaian Times et Daily Graphic, depuis 1993, le nombre de journaux et de magazines dans le pays a également connu une augmentation significative.
L’espace médiatique en ligne s’est également développé de manière considérable. Selon les statistiques mondiales de l’Internet, le Ghana ne comptait que 30 000 utilisateurs d’Internet en 2000. Ce nombre est passé à 10,1 millions en 2017 et à 16,9 millions en juin 2022.
La pénétration et l’accès sans cesse croissants à l’internet et aux téléphones mobiles ont également favorisé la croissance des médias axés sur la technologie. Il existe actuellement des dizaines, voire des centaines de sites d’information en ligne, des centaines de blogs personnels et de chaînes de télévision en ligne, ainsi que des dizaines d’applications permettant d’optimiser et de partager des informations au-delà des frontières nationales.
Les nouvelles technologies dans le domaine des médias, en particulier les sites et applications de réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et WhatsApp, ont également élargi les possibilités de création de contenu à partir de la masse et de production indépendante d’informations par des journalistes citoyens.
La croissance et le développement du secteur des médias ont été davantage stimulés par l’abrogation des lois sur la diffamation criminelle et séditieuse en juillet 2001 et par l’adoption de la loi sur le droit à l’information en 2019.
Il n’est donc pas surprenant qu’en dépit du triste recul récent, la liberté de la presse au Ghana reste l’une des meilleures du continent africain.
Il semble donc qu’il y ait eu une relation symbiotique entre la croissance progressive de la culture démocratique du Ghana et l’expansion de l’industrie ghanéenne des médias, comme l’avaient peut-être prévu les auteurs de la Constitution de 1992.
Compte tenu de ce qui précède, l’autre question essentielle à se poser est de savoir si le développement du paysage médiatique s’est traduit par une amélioration et un renforcement du devoir imposé aux médias de sauvegarder les valeurs de la Constitution, à savoir demander aux gouvernements de rendre des comptes au peuple ghanéen. Je dirais que la réponse est à la fois oui et non.
Tout d’abord, il ne fait aucun doute que les médias ghanéens ont contribué de manière significative à l’évolution démocratique de notre gouvernance. Les médias sont restés au cœur du plaidoyer des parties prenantes en faveur de la bonne gouvernance, de l’éducation du public et de l’inclusion des voix des citoyens dans le discours public.
Au fil des ans, les journalistes d’investigation ont mis en évidence des actes répréhensibles commis par des titulaires de charges publiques dans la plupart des secteurs de notre société. Les défis en matière de développement ont été portés à l’attention des dirigeants et les citoyens ont toujours compté sur les médias pour attirer l’attention des autorités sur leurs besoins en matière de développement.
Grâce aux médias, certains crimes potentiels dans les secteurs public et privé ont été évités. On pourrait continuer à énumérer les contributions positives des médias ghanéens. Donc oui, les médias ont joué et continuent de jouer un rôle important dans notre gouvernance et notre stratégie de développement en tant que nation.
Cependant, malgré les aspects positifs, le comportement de certains journalistes et organes de presse a eu tendance à nuire plutôt qu’à contribuer à notre progrès démocratique et à notre développement national.
Encouragés par l’esprit de parti et d’autres motifs, il est devenu très courant d’entendre ou de voir des personnes insulter sans fondement d’autres personnes à la radio, à la télévision ou en ligne. Les affabulations, les mensonges purs et simples et les allégations non fondées sont perpétrés avec mépris dans certaines branches des médias. Comme je l’ai dit il y a quelques temps, certains acteurs de certains réseaux médiatiques agissent comme s’ils suggéraient que les lois du Ghana garantissent à la fois la liberté et l’insouciance des médias.
Il est prouvé que la majorité des comportements irresponsables dans les médias et par les médias sont le fait d’organisations médiatiques ouvertement partisanes et dont les propriétaires sont partisans.
De juin 2020 à mai 2021 par exemple, la MFWA a surveillé et enregistré 1754 incidents de violations de la déontologie sur 10 stations de radio en langue locale basées à Accra. Trois de ces stations, qui sont très partisanes avec des propriétaires partisans, à savoir Power FM, Oman FM et Accra FM, ont représenté 83,4 % des violations de l’éthique. Ces manquements à l’éthique et cette insouciance se poursuivent à un rythme alarmant, avec toutes les conséquences potentiellement dangereuses qui en découlent.
En outre, avant les élections de 2020, la MFWA a surveillé la fréquence des contenus indécents et en faveur de la violence sur 60 stations de radio à travers le pays. Là encore, cinq des 60 stations de radio, qui sont des stations partisanes connues, à savoir Oman FM, Wontumi Radio, Ash FM, Power FM et Accra FM, ont représenté à elles seules 74 % des cas de contenus indécents qui ont été enregistrés.
Le problème du manque de professionnalisme et de l’insouciance pure et simple est lié à celui de la prolifération de la désinformation dans l’espace médiatique, en particulier sur les réseaux sociaux et les autres médias en ligne.
D’autres problèmes liés au problème susmentionné limitent le rôle des médias dans notre démocratie et nos aspirations en matière de développement.
Il y a tout d’abord le problème des attaques, menaces et autres abus contre les journalistes : Au fil des ans, plusieurs journalistes ont été victimes d’attaques et de harcèlement, souvent perpétrés en toute impunité. Bien que ces attaques aient toujours existé, nous avons assisté à une intensification au cours des cinq dernières années.
De 2017 à 2020, par exemple, il y a eu 74 incidents de violations des droits des médias. Ces violations se sont poursuivies au-delà de 2020 et ont tendance à alimenter une culture de la peur et de l’autocensure parmi les journalistes. Dans de telles circonstances, seuls des journalistes et des organisations de médias courageux peuvent faire le genre de journalisme qui a le potentiel de pousser le gouvernement à rendre des comptes au peuple, comme l’exige la Constitution de 1992.
Le deuxième problème est l’attribution non transparente des fréquences de radiodiffusion : Au fil des ans, l’attribution des fréquences de radiodiffusion est devenue une affaire partisane. Lorsque le NDC est au pouvoir, les fréquences sont attribuées aux membres du parti et il en va de même lorsque le NPP est au pouvoir. Par conséquent, plus de 80 % des médias audiovisuels traditionnels du pays sont détenus par des partisans. Le problème est que presque tous ces médias existent, non pas pour faire du journalisme, mais pour servir les intérêts de leurs propriétaires et de leurs partis politiques. Les pratiques de ces médias sont donc guidées par l’intérêt partisan plutôt que par l’éthique journalistique et l’intérêt national.
Le dernier problème, et peut-être le plus important, est l’absence d’un mécanisme efficace de régulation des médias. Dès le début de l’élaboration de la Constitution de 1992, il est apparu clairement qu’il était nécessaire de mettre en place un cadre approprié pour aider à réglementer le type d’environnement médiatique audiovisuel que la Constitution préconisait.
Ainsi, en mars 1993, soit trois mois seulement après l’entrée en vigueur de la Constitution de 1992, feu le juge D. K. Afreh a déclaré que « le cadre institutionnel dans lequel les stations de radiodiffusion indépendantes devront opérer reste à mettre en place. Il est évident que la Commission des médias aura un rôle important à jouer dans l’établissement et le développement d’un tel cadre. Les mesures qu’elle prendra pour garantir l’établissement et le maintien des plus hauts standards journalistiques dans les médias de masse … affecteront la qualité des services fournis par les services de radiodiffusion ».
Le juge Afreh a poursuivi en affirmant qu’ « en fin de compte, il incombera au Parlement et à la Commission des médias de trouver un juste équilibre entre l’ordre et la licence, entre l’objectif constitutionnel de non-ingérence gouvernementale et la préservation des valeurs culturelles, sociales et morales de la nation ».
Malheureusement, 30 ans plus tard, le cadre juridique dans lequel les centaines de stations de radio et de télévision devraient opérer aujourd’hui au Ghana n’a toujours pas été établi. Il n’existe aucune loi réglementant les normes de diffusion de la radio et de la télévision au Ghana, alors même que le secteur ne cesse de croître et de devenir de plus en plus complexe.
Outre les lacunes juridiques dans le domaine de la radiodiffusion, il existe également un problème d’inefficacité et d’impuissance de la part de la Commission nationale des médias (NMC), qui est l’autorité de régulation des médias. Trente ans après sa création, la Commission est devenue impuissante, manque de ressources et est en plein déclin.
À l’heure actuelle, on peut affirmer que la NMC ne respecte guère son obligation de prendre “toutes les mesures appropriées pour assurer l’établissement et le maintien des plus hauts standards journalistiques dans les médias, y compris l’investigation, la médiation et le règlement des plaintes déposées contre ou par la presse ou tout autre média”, comme l’exige l’article 167(b) de la Constitution de 1992. Les décisions de la Commission (les rares fois où elle intervient) sont désormais parfois ignorées en toute impunité par les médias et les journalistes à l’encontre desquels elles sont prises.
Conclusion
Les observations que j’ai faites ce matin ne peuvent que conduire à la conclusion qu’il est urgent d’entreprendre des réformes majeures dans le secteur des médias au Ghana afin de permettre aux médias de jouer un rôle crucial dans l’évolution démocratique et le progrès national de notre pays.
Je conclurai donc en formulant les recommandations de réformes suivantes :
Il est nécessaire de procéder d’urgence à une réforme de la Commission nationale des médias :
L’objectif et la vision qui ont conduit à la création de la Commission nationale des médias (NMC) étaient nobles et progressistes. Au fil des ans, la Commission a sans doute joué un rôle essentiel en donnant corps à l’exigence constitutionnelle d’isolation et d’indépendance des médias d’État. Cependant, après 30 ans, le temps est venu de passer par un processus législatif pour transformer la NMC afin qu’elle soit apte à remplir sa mission.
- Ces réformes devraient inclure une réduction du nombre de commissaires à un maximum de 7, avec un président à temps plein et des adjoints comme au sein de la Commission européenne.
- Octroyer les pouvoirs pour imposer des sanctions applicables aux personnes récalcitrantes.
- Fournir les ressources nécessaires à la Commission.
- Nécessité d’un cadre réglementaire pour la radiodiffusion : À ce stade, le pays a désespérément besoin d’une loi sur la radiodiffusion pour réglementer et assainir le secteur de la radiodiffusion. L’absence de loi sur la radiodiffusion au fil des ans a rendu le secteur propice aux abus et à l’absence d’engagement à respecter les normes techniques et professionnelles parmi les acteurs et les professionnels de l’industrie.
- Transparence dans l’attribution des fréquences, y compris la divulgation des propriétaires des médias.
- La sécurité des journalistes : L’État doit prendre et mettre en œuvre des mesures appropriées pour garantir la sécurité et la liberté des journalistes, notamment en menant des enquêtes rapides et en poursuivant les auteurs de violences à l’encontre des journalistes.
- Renforcement des capacités des médias : Il est absolument nécessaire d’intensifier les efforts de renforcement des capacités des médias afin de les rendre plus professionnels et de renforcer leur rôle de surveillance.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de partager mes réflexions avec vous ce matin, et je tiens à remercier notre public et nos téléspectateurs de m’avoir accordé le privilège.