La junte au Burkina Faso a adopté, le 21 novembre 2023, une nouvelle loi habilitant le chef de l’État à nommer le président de l’organe de régulation des médias du pays. Cette loi a été largement condamnée et considérée comme une menace pour l’indépendance des médias et la sécurité des journalistes dans ce pays en proie à des conflits armés.
En contraste, la pratique antérieure prévoyait une élection par le collège des conseillers.
Portant attribution, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication (CSC), la nouvelle loi a été adoptée à l’unanimité par les 70 députés de l’Assemblée législative de transition (ALT).
Au-delà du pouvoir de nomination du président de la CSC par le chef de l’Etat, la nouvelle loi stipule, à l’article 34 que « le vice-président est nommé par décret en conseil des ministres sur proposition du président du Conseil supérieur de la communication ».
Ces nouvelles dispositions, parmi d’autres apportées à la loi sur l’organe de régulation des médias, soulèvent des préoccupations majeures quant à ses implications pour la liberté de la presse, la liberté d’expression et l’indépendance de l’organe de régulation au Burkina Faso.
« Ce 21 novembre est un jour sombre pour le monde de la presse burkinabè en ce sens qu’il consacre un grave recul » déplore Aboubacar Sanfo, Secrétaire général adjoint du Syndicat autonome des travailleurs de l’information et de la culture (SYNATIC), en se référant à l’adoption de la nouvelle loi.
Le second aspect inquiétant de cette loi repose dans le fait qu’elle élargit les compétences du CSC, permettant à l’organe de régulation de contrôler des médias sociaux, en particulier, les comptes et pages Facebook atteignant au moins 5000 abonnés.
En ce qui concerne la surveillance des réseaux sociaux, Boureima Ouédraogo, secrétaire général de la Cellule Norbert-Zongo pour le journalisme d’investigation a exprimé son inquiétude quant au fait que la loi place les professionnels des médias, les influenceurs sur les réseaux sociaux et les blogueurs dans le même cadre réglementaire.
En outre, l’article 55 de la nouvelle loi accorde au CSC le pouvoir absolu de perquisition, permettant la saisie de matériel et la fermeture de locaux, tandis qu’à l’article 63, elle lui confère le pouvoir de suspendre les activités de radiodiffusion, retirer temporairement ou définitivement les cartes de presse
Le ministre de la Communication et porte-parole de la junte, Jean-Emmanuel Ouédraogo, a involontairement confirmé qu’à travers la nouvelle loi, le gouvernement cherche à imposer un journalisme docile.
« Les journalistes n’ont pas à s’inquiéter, tant qu’ils travaillent dans le respect de la réglementation et que, bien sûr, leur travail ne porte pas atteinte à la réputation des individus qui peuvent porter atteinte à la cohésion nationale et que leur travail n’est pas porteur de germes de crise » a-t-il déclaré.
Toutefois, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) estime que les dispositions de la nouvelle loi donnent au pouvoir en place des outils puissants pour davantage influencer le paysage médiatique et restreindre la liberté d’expression au Burkina Faso. Cette loi doit être révisée pour les raisons suivantes :
- La possibilité pour le Chef de l’État de nommer directement le président du CSC donne au pouvoir en place un contrôle direct sur la direction de l’organe de régulation. Cette nomination sans processus électoral pourrait permettre au gouvernement d’installer une personne favorable à ses intérêts, compromettant ainsi l’indépendance du CSC.
- La capacité du CSC à contrôler les comptes et pages Facebook ayant un certain nombre d’abonnés offre au gouvernement un moyen de surveiller et de réguler les discussions en ligne. Cela pourrait être utilisé pour restreindre la liberté d’expression sur les plateformes numériques en ciblant des individus ou des groupes critiques envers le gouvernement.
- Le pouvoir discrétionnaire de suspendre, de fermer un organe de presse, ou de confisquer ses équipements sans recourir à une supervision judiciaire, présente le risque inhérent d’abus. Notre conviction réside dans la nécessité d’instaurer un contrôle judiciaire, même lorsque le Conseil supérieur de la communication (CSC) reconnaît qu’un média a transgressé la loi et qu’il envisage l’application de sanctions extrêmes telles que prévues par la législation. Ce mécanisme vise à prévenir d’éventuels abus ciblant les médias critiques. Il est particulièrement crucial d’étendre ce contrôle judiciaire aux équipements numériques saisis, afin de garantir la protection de la vie privée de leurs utilisateurs lors d’éventuelles investigations judiciaires.
- Le pouvoir conféré au Conseil supérieur de la communication (CSC) de retirer définitivement la carte de presse d’un journaliste est contestable, car cela revient à priver la personne concernée de son droit fondamental d’exercer la profession de journaliste.
La MFWA est profondément déçue par ces nouvelles dispositions et partage les inquiétudes des médias du Burkina Faso. Nous exhortons les autorités burkinabés à prendre en compte ces préoccupations en révisant la loi afin de garantir véritablement l’indépendance et la liberté des médias. Dans cette perspective, nous encourageons un dialogue constructif entre le gouvernement et les acteurs des médias sur cette question.