Mali: Partis politiques dissous, membres de l’opposition arrêtés par les autorités

La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est extrêmement préoccupée par la dégradation alarmante de l’espace civique, du climat politique et de la liberté d’expression au Mali. Les libertés fondamentales sont aujourd’hui gravement menacées par la dissolution de facto des partis politiques, la répression des voix dissidentes et la multiplication des arrestations extrajudiciaires.

Le 13 mai 2025, le général Assimi Goïta a promulgué un décret abrogeant la loi de 2005 sur les partis politiques, qui constituait le socle du pluralisme démocratique au Mali. Cette décision, annoncée au journal télévisé de la chaine nationale ORTM, faisait suite à son adoption par le Conseil National de Transition (CNT). Elle remet en cause l’ensemble du cadre juridique garantissant l’existence et les activités des partis politiques. Cette abrogation intervient dans un contexte de répression croissante des voix critiques envers la junte malienne.

A l’issue du conseil des ministres du 30 avril 2025, des conclusions, très controversées, recommandaient la suppression de la Charte des partis politiques ainsi que la proclamation du général Goïta comme président de la République pour un mandat de cinq ans, sans passer par des élections.

Face à cette menace directe pour le droit de réunion et d’association des citoyens, les partis politiques ont décidé de donner de la voix pour protester contre la concrétisation de cette proposition.

Deux manifestations ont été organisées : la première, le 3 mai, par une coalition de partis et d’organisations de la société civile au Palais de la Culture de Bamako ; la seconde, le 4 mai, par de jeunes leaders politiques à la Maison de la presse. Une troisième manifestation initialement prévue le 9 mai, a été annulée à la suite d’un communiqué annonçant la suspension de toutes activités à caractères politiques jusqu’à nouvel ordre.

Arrestations extrajudiciaires et répression ciblée

Depuis début mai, une vague d’arrestations ciblées frappe des figures de l’opposition. Le 8 mai, Alhassane Abba, secrétaire général de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM), a été enlevé par des hommes armés masqués se présentant comme des gendarmes, selon des témoignages recueillis par la MFWA et d’autres organisation de la société civile. Le même jour, El Bachir Thiam, militant du parti YELEMA, a également été interpellé dans des conditions similaires.

Le 11 mai, Abdoul Karim Traoré (CODEM) et Abdrahamane Diarra, président du Mouvement des jeunes de l’URD, ont à leur tour été arrêtés sans procédure légale connue. Seul ce dernier a été relâché le 12 mai, sansexplication officielle.

Depuis décembre 2023, au moins cinq organisations, dont l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), et l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), ont été dissoutes pour des motifs largement contestés. Ces dissolutions sont survenues après des critiques adressées au régime concernant le non-respect du calendrier de transition.

Le 4 janvier 2024, l’imam Bandiougou Traoré, connu pour ses prêches contre la mauvaise gouvernance, a été arrêté après avoir dénoncé le détournement de fonds publics destinés à un festival à Kayes. Condamné à 18 mois de prison, il a été libéré après deux mois de détention.

Le 2 mars 2024, le colonel Alpha Yaya Sangaré a été arrêté pour avoir publié un livre sur les abus de l’armée contre les civils. Peu après le lancement de son ouvrage « Mali : Le défi du terrorisme en Afrique », il a été interpellé par des individus en civil.

L’économiste Etienne Fakaba Sissoko a également été arrêté le 25 mars 2024 pour avoir publié un livre dénonçant la propagande des autorités maliennes. Il a été inculpé pour atteinte à la réputation de l’État et placé en détention provisoire.

Le 11 mars 2024, Mohamed Youssouf Bathily, connu sous le nom de Ras Bath, a été condamné à 18 mois de prison après avoir critiqué les autorités concernant le manque de soins médicaux pour un prisonnier politique.

Calendrier de transition bafoué

Le calendrier de transition, initialement prévu pour s’achever le 26 mars 2024, n’a pas été respecté par les autorités militaires. Ce non-respect des engagements démocratiques s’est accompagné d’une série de mesures répressives visant à faire taire les critiques. Il s’agit notamment de la suspension des activités des partis politiques et des associations à caractère politique, au nom du maintien de l’ordre public. Parallèlement, la Haute Autorité de la Communication (HAC) a ordonné aux médias de cesser toute couverture des activités politiques, renforçant ainsi la censure et l’autocensure.

Ce climat répressif a instauré une peur généralisée, où toute contestation est assimilée à une trahison de la souveraineté nationale. Les médias sont muselés, les associations dissoutes, et les opposants réduits au silence.

L’appel de la MFWA

La MFWA trouve les dérives actuelles extrêmement inquiétantes. La suspension des activités des partis politiques, l’abrogation de la Charte des partis politiques et leur dissolution de facto représentent non seulement une régression grave des libertés politiques, mais également une atteinte manifeste aux droits fondamentaux garantis par la Constitution malienne.

Ces actes constituent également une violation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifiés par le Mali.

Ces mesures compromettent les acquis démocratiques durement obtenus depuis la chute du régime autoritaire de Moussa Traoré en 1991 et menacent de replonger le pays dans une ère d’unanimisme politique et de répression systématique des voix critiques. Réduire au silence les acteurs naturels du dialogue politique compromet la confiance et accentue les fractures d’une société déjà fragilisée.

Le Mali a besoin d’un espace civique ouvert, où les divergences s’expriment librement, dans le respect des lois et des droits de chacun. Il est impératif de rappeler que la liberté d’expression, la liberté d’association et le droit à la participation politique constituent les piliers d’une société inclusive, stable et résiliente.

La MFWA exhorte, par conséquent, les autorités de transition à :

  • Libérer tous les prisonniers d’opinion et membres des partis d’opposition arrêtés;
  • Lever les restrictions contre les médias et les associations ;
  • Respecter les engagements nationaux et internationaux du Mali en rétablissant les droits politiques fondamentaux des citoyens,
  • Favoriser un climat d’ouverture et de dialogue.

 

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