Le mandat du gouvernement de transition au Mali devait prendre fin le 26 mars 2024. Cependant, cette date butoir cruciale pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel a été négligée, laissant le gouvernement militaire issu du coup d’État d’août 2020 toujours en place.
Non seulement le gouvernement a ignoré son calendrier de transition et ses engagements à restaurer la démocratie avant le 6 mars 2024, mais il a également adopté plusieurs mesures antidémocratiques ces derniers mois, suggérant une tentative de renforcer son emprise sur le pouvoir.
Dissolution des associations
Depuis décembre 2023, au moins quatre organisations ont été dissoutes, dont la faîtière des syndicats d’étudiants du pays, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants d’imam Mahmoud Dicko (CMAS), et l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali.
Le 20 décembre 2023, le gouvernement de transition a dissous l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, accusant le groupe de la société civile de ne pas avoir déclaré ses sources de financement aux autorités, comme l’exige la loi. De plus, le gouvernement a accusé le président du groupe de faire des déclarations susceptibles de troubler l’ordre public, notamment ses prédictions sur les chiffres de participation au référendum proposé en juin 2023.
« Le président de cette association s’adonne à des déclarations de nature à troubler l’ordre public, y compris ses pronostics sur le taux de participation au référendum de juin 2023 », le gouvernement a déclaré dans un communiqué.
En l’espace de deux semaines, le régime militaire a dissous trois autres organisations. Le 28 février, il a commencé par dissoudre l’organisation politique Kaoural Renouveau, invoquant des propos diffamatoires et subversifs à l’encontre de la junte.
Une semaine plus tard, le 6 mars, la junte a dissous la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko, une coalition d’organisations soutenant le religieux musulman charismatique Imam Dicko. Ce dernier a ébranlé les fondations du dernier gouvernement civil en mobilisant le public pour une série de manifestations qui ont abouti à la prise du pouvoir par l’armée. Récemment, il a ouvertement appelé au départ des militaires en faveur d’une administration civile, ce qui a attiré les foudres de la junte. Les autorités ont déclaré que les activités du groupe soutenant l’imam constituaient une menace pour la sécurité publique, les accusant de chercher à déstabiliser le gouvernement. Elles ont cité les « rencontres officielles » de l’imam Dicko avec des « autorités étrangères », faisant référence à son séjour en Algérie depuis janvier 2024.
Le 13 mars 2024, une semaine exactement après la dernière grève, le Conseil des ministres a dissous l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), une importante organisation d’élèves et d’étudiants. Le gouvernement a accusé l’AEEM de provoquer des perturbations de cours, des assassinats, des meurtres et des destructions de biens publics et privés par le biais de manifestations. Cette accusation fait suite à des affrontements entre différentes factions de l’organisation étudiante le 28 février, qui, selon le gouvernement, ont entraîné la mort d’un jeune étudiant et blessé plusieurs autres.
L’accusation découle des affrontements entre différentes factions de l’organisation étudiante le 28 février, ayant entraîné selon le gouvernement la mort d’un jeune étudiant et blessé plusieurs autres.
Néanmoins, une faction de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) défie la décision du gouvernement et refuse d’accepter la dissolution. Dans un communiqué du 21 mars, elle « condamne fermement toute tentative de museler la voix des élèves et étudiants en les privant de leur liberté d’association » et affirme sa détermination à défendre l’association coûte que coûte.
Parallèlement, le bureau national de l’AEEM envisage de contester cette dissolution en justice.
Un autre groupe touché par la répression est la Synergie d’Action pour le Mali. Cette coalition de partis politiques, de groupes de pression et d’organisations de la société civile proposant une nouvelle voie a eu du mal à s’établir depuis sa formation à la mi-février, lorsqu’elle a été réduite au silence. Bien qu’elle ait échappé à la vague de dissolutions, elle a été paralysée par l’interdiction de toutes ses activités dans la capitale.
« En raison du contexte sécuritaire et des risques de menaces de trouble à l’ordre public, les activités du regroupement dénommé Synergie d’action pour le Mali sont formellement interdites sur l’ensemble du territoire du district de Bamako », peut-on lire dans un arrêté du 25 mars 2024 signé par Abdoulaye Coulibaly, gouverneur de Bamako.
Techniquement, cette coalition est toujours reconnue, mais dans la pratique, elle ne peut pas fonctionner, car Bamako est son siège et le centre névralgique des activités politiques dans le pays.
Répression des voix critiques
L’année 2023 a été l’une des plus répressives au Mali, marquée par la sanction de plusieurs médias et l’arrestation d’opposants à la junte. Le dernier incident s’est produit le 19 décembre 2023, lorsque les autorités maliennes ont appréhendé Chouala Bayaya Haïdara, accusé de nuire à la réputation de l’État et à l’ordre public suite à la publication d’une vidéo critique sur les détentions prolongées de certaines personnalités publiques.
Les autorités ont poursuivi leur répression en 2023 en ciblant massivement les groupes d’opposition et les voix critiques. Le 4 janvier 2024, l’imam Bandiougou Traoré a été arrêté à Bamako. Connu pour ses prêches contre la mauvaise gouvernance et les coupures d’électricité, il a été incarcéré après avoir dénoncé le détournement présumé de fonds destinés à un festival à Kayes (ville de l’ouest du Mali). Il avait également souligné la détérioration des routes dans la région. L’imam est devenu célèbre sur les réseaux sociaux pour ses prêches contre la mauvaise gouvernance et surtout les coupures d’électricité. Condamné le 11 mars à 18 mois de prison, dont 16 avec sursis, et à une amende de 500 000 FCFA, il a été libéré le même jour après deux mois de détention.
Le 2 mars 2024, le colonel Alpha Yaya Sangaré, officier de l’armée, a été arrêté pour avoir écrit un livre dénonçant les abus de l’armée contre les civils dans sa lutte anti-insurrectionnelle. Son ouvrage de 400, publié fin 2023 et intitulé « Mali : Le défi du terrorisme en Afrique », documente les présumés abus de l’armée lors des opérations antiterroristes. Après le lancement officiel du livre le 24 février 2024, les autorités ont rejeté les accusations le 1er mars, et le lendemain, des individus en civil ont emmené Sangaré de son domicile à Bamako vers une destination inconnue.
Une publication critique similaire a causé des ennuis à l’économiste Etienne Fakaba Sissoko. Le 25 mars 2024, il a été arrêté à son domicile par la police en raison de son récent livre, dans lequel il dénonce ce qu’il appelle la propagande et les mensonges des autorités maliennes de transition. Le 27 mars, il a été inculpé d’atteinte à la réputation de l’État, d’injures, de propos mensongers de nature à troubler l’ordre public, puis placé en détention provisoire. C’est la deuxième fois en deux ans que l’économiste et chercheur est harcelé pour son opinion. En 2022, il a été emprisonné pour avoir analysé, dans plusieurs interviews accordées aux médias, l’impact possible sur le Mali des sanctions économiques imposées par le bloc régional de la CEDEAO, à la suite du coup d’État.
Le 11 mars 2024, Mohamed Youssouf Bathily, plus connu sous le nom de Ras Bath, a été condamné à 18 mois de prison, dont neuf avec sursis. Il a été arrêté en mars 2023, après avoir fait des commentaires sur la mort de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, accusant les autorités d’avoir refusé au prisonnier politique des soins médicaux dont il avait grandement besoin.
Interdiction des activités des partis politiques et censure des médias :
Les autorités militaires du Mali ont interdit les activités des partis politiques et toute activité à caractère politique dans le pays, alors que la junte poursuit sa restriction de l’espace civique.
Le ministre d’État et porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, a annoncé la décision prise par le conseil de gouvernement de suspendre toutes les activités des partis politiques et des associations de citoyens au Mali. Il a expliqué que la décision, intitulée Décret no. 0230 du 10 avril 2024, était une mesure visant à garantir l’ordre public et un climat de sérénité à l’approche du dialogue inter-malien pour la paix et la réconciliation nationale.
Un jour après l’interdiction des activités politiques, la Haute Autorité de la Communication (HAC) a ajouté à la restriction en émettant un ordre de silence aux médias concernant la couverture des activités des partis politiques.
Dans le décret publié le 11 avril 2024, la HAC a invité « tous les médias (radio, télés, journaux écrits et en ligne) à arrêter toute diffusion et publication des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations ».
Rejet, indignation et condamnation
La demande de l’autorité de régulation des médias a été rejetée par les acteurs des médias au Mali. Dans un communiqué daté du 11 avril 2024, la Maison de la Presse, organe faîtier des organisations de médias et des journalistes du Mali, a appelé « l’ensemble de la presse malienne à ne pas se soumettre aux injonctions de la HAC », exhortant ses membres « à rester fermes, unis et mobilisés pour défendre le droit à l’information des citoyens ». La déclaration de la Maison de la presse fait suite à une réunion de tous ses membres à son siège de Bamako.
Autre rare manifestation de désaccord, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a osé exprimer sa désapprobation.
« Au lieu d’apaiser le climat social, ces restrictions aux droits et libertés fondamentaux constituent des facteurs potentiels de troubles et de tension dont le pays n’a pas besoin », a déclaré Aguibou Bouare, président de la CNDH. M. Bouare a précisé que sa formation a pour mission, en vertu de l’article 5 de la loi n°2016-036 du 7 juillet 2016 relative à la CNDH, « d’émettre des avis ou de formuler des recommandations à l’attention du gouvernement ou de toute autorité compétente sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme ».
L’appel de la MFWA
La Fondation pour les Médias en Afrique de l’Ouest (MFWA) trouve les développements ci-dessus au Mali très inquiétants. Nous reconnaissons que le pays est confronté à une situation d’urgence en matière de sécurité qui nécessite des décisions difficiles de la part du gouvernement. Cependant, ces décisions doivent être légitimes et proportionnées, ce qui n’est pas le cas dans les instances susmentionnées.
L’accusation de subversion et d’atteinte à l’ordre public portée contre des groupes politiques et des critiques n’est que l’opinion du régime, qui n’est pas étayée par des preuves ni confirmée par un tribunal. Par conséquent, cela revient à ce que le gouvernement utilise son opinion pour criminaliser l’opinion de ses détracteurs.
La répression risque d’aggraver les hostilités et la méfiance entre le gouvernement et la société civile, le peuple malien et les acteurs politiques qui sont essentiels à la mise en place d’un gouvernement reflétant la volonté du peuple. Il est contradictoire qu’un gouvernement qui s’est engagé dans un dialogue national pour construire la paix, l’unité, la stabilité politique et le développement durable, fasse la chasse aux sorcières à ses interlocuteurs naturels. Le gouvernement de transition ne peut réussir qu’en s’engageant avec la société civile et les groupes politiques, en particulier ceux qui sont perçus comme ayant des opinions divergentes quant à la voie à suivre. L’attaque actuelle contre ces groupes risque de polariser, plutôt que d’unir le pays qui a désespérément besoin de forger un front uni à partir de ses diverses diversités pour surmonter le défi du conflit armé, de l’instabilité politique et du sous-développement.
À cet égard, nous exhortons les autorités maliennes à libérer tous les prisonniers d’opinion détenus, à lever l’interdiction des activités politiques, à revenir sur la décision de dissoudre les organisations politiques et civiles perçues comme anti-gouvernementales et à respecter la liberté de la presse ainsi que le droit des citoyens d’accéder à l’information et d’exprimer leurs opinions sur les questions d’intérêt public.
La MFWA appelle également la junte à lancer un vaste processus politique conduisant à l’adoption d’une feuille de route crédible pour un retour à l’ordre constitutionnel. Nous conseillons aux autorités de s’engager dans cette initiative avec la facilitation internationale et régionale, étant donné les enjeux de la communauté internationale pour la paix, la stabilité et le progrès du Mali.