La Fondation des Médias Pour l’Afrique de l’Ouest se dit extrêmement préoccupée par la coupure d’internet mobile au Burkina Faso pendant quatre jours et exhorte les autorités du Faso à mettre un terme aux pratiques qui violent liberté d’expression en ligne, le droit d’accès à l’information, et les droits numériques.
« Habituellement, lorsqu’il y a ce genre de situation, les services de communication des opérateurs de téléphonie prennent la parole pour donner par exemple la nature de la panne s’il y en a et s’excuser auprès des clients ». Malheureusement, « cette fois-ci il n’y a pas eu de communication officielle », explique un correspondant de BBC Afrique à Ouagadougou après que l’Etat Burkinabè a ordonné de manière péremptoire la fermeture de l’internet sur les appareils mobiles.
Le Samedi 20 novembre 2021, aux environs de 22h, une soudaine et inopinée interruption des services internet mobiles vient perturber le quotidien des citoyens burkinabés sans aucun préavis de la part du gouvernement, des trois grandes compagnies de téléphonie mobile du pays, ni même de l’ARCEP (l’autorité de régulation des communications électroniques et des Postes). Ainsi, l’Internet mobile devient inaccessible dans le pays pendant 96 heures réparties sur 5 jours. Les citoyens ainsi que les organes de presse, malgré leurs efforts pour comprendre la situation, se trouvent tous confrontés à un lourd mur de silence donnant lieu à de vives réactions.
Deux jours plus tard, l’Etat, pour faire la lumière sur la situation, publie un communiqué succinct déclarant qu’en « application des dispositions des articles 44 à 46 de la loi N°061-2008/AN du 28 novembre 2008 […] relatifs à la qualité et à la sécurité des réseaux et services et au respect des obligations de défense nationale et de sécurité publique, sur réquisition […], le gouvernement a procédé à une suspension de l’Internet mobile pour une durée de quatre-vingt-seize (96) heures […] L’internet fixe n’est pas concerné ».
La référence à la défense nationale et à la sécurité publique vient consolider les positions de plusieurs médias du pays qui soutiennent que la suspension de l’Internet mobile est délibérée et liée aux manifestations de Kaya (100 km au nord de la capitale burkinabée).
Les manifestants s’opposent à la présence militaire française dans le Sahel, dans le cadre de la lutte contre les rebelles islamistes dans la région, et réclament leur départ du territoire national. Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, estime qu’il y a des « manipulateurs » qui attisent le sentiment anti-français dans le pays.
NetBlocks, une organisation qui suit la connectivité internet dans le monde, a confirmé la panne continue et a déclaré que ce type de d’interruption de service internet mobile « ne peut pas être contourné avec l’utilisation de logiciels de contournement ou de VPN ». L’organisation de suivi d’internet dans le monde a ajouté que la perturbation nuit au flux d’informations et empêche la couverture médiatique d’événements critiques dans le pays.
Toutefois, cette interruption, quelques soient les raisons qui la sous-tendent, a affecté les médias dans le pays. « Beaucoup de médias notamment en ligne, dès les premiers instants (Samedi nuit et dimanche) ont eu du mal à mettre à jour leurs plateformes », affirme M. Noufou Kindo de la rédaction B24.
« Pour les médias, il est très difficile d’être réactif. Nous avons l’habitude de rendre compte des évènements instantanément. Cela n’est plus possible. Beaucoup de nos lecteurs n’ont plus accès à nos publications » affirme Dimitri un journaliste d’investigation.
Marcus KOUAMAN, Directeur de publication du media en ligne www.latribunedufaso.net déclare que « cette coupure affecte le travail des médias en ligne qui utilise beaucoup l’internet mobile pour les alertes afin d’informer nos lecteurs sur tel ou tel situation sur le terrain. Actuellement nous avons du mal à faire remonter l’information au niveau de nos correspondants qui sont dans des localité qui n’ont que l’Internet mobile. L’on peut se demander si le jeu du gouvernement en vaut la chandelle ? Quel résultat le gouvernement vise en faisant cela ? Il n’y avait-il pas une autre solution que celle-là ? N’est-ce pas un recule démocratique ? »
« En tant que média en ligne, cela joue beaucoup sur notre productivité. Nos reporters déployés sur le terrain pour couvrir par exemple des procès comme celui des meurtriers présumés de Thomas Sankara ont d’énormes difficultés à assurer le live pour faire vivre le procès aux internautes. La mise en ligne est ralentie. Cela représente aussi plus de temps passé au bureau où il y a la garanti d’avoir une connexion. Peu de mobilité donc », déclare, Dr Cyriaque Pare, directeur de publication des Editions LeFaso.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) condamne cette interruption soudaine et brusque des services d’internet mobile au Burkina Faso, ce qui constitue une violation grave de la liberté d’expression, du droit d’accès à l’information, et des droits numériques. Les manifestations sont un moyen légitime pour les citoyens d’exprimer leurs opinions sur les questions d’ordre nationales et un mécanisme de retour d’information qui doit être accueilli favorablement par un gouvernement démocratique. Chercher à étouffer les voix des manifestants et à dissimuler l’étendue du mécontentement public avec l’état des affaires en bloquant l’internet est antidémocratique et ne répond pas aux besoins.
La MFWA exhorte donc le gouvernement burkinabé à renoncer à de telles actions non progressistes et anti-démocratiques.