Les autorités nigériennes se sont déchaînées contre les voix critiques avec une vague d’arrestations et de détentions d’au moins sept citoyens au cours des trois derniers mois (janvier-mars 2023).
Toutes les affaires portent sur des publications en ligne et les victimes sont accusées en vertu de la loi sur la cybercriminalité de 2019 (n° 2019-33). Elles sont accusées de « production et diffusion de données de nature à troubler l’ordre public », avant d’être placées en détention et libérées sous caution.
La dernière traque en date a été menée contre Badja Abdou Awal, membre de l’OSC Mouvement Populaire pour une Citoyenneté Responsable (MPCR), qui a été relaxé le 31 mars 2023 après comparution devant le Tribunal de grande instance hors classe de Niamey, la Capitale du Niger. Si Awal a pu regagner sa liberté, son concitoyen, Idrissa Adamou, qui est le Coordonnateur National de l’ONG Notre Cause Commune (NCC), a uniquement bénéficié d’une liberté provisoire. Les autorités nigériennes ont libéré deux activistes le 21 mars 2023.
Awal et Adamou ont été interpellé et placé sous mandat de dépôt le 9 mars 2023 à la prison civile de Niamey pour diffusion présumée de données de nature à troubler l’ordre public. Selon Maikoul Zodi, coordonnateur national de Tournons la Page Niger un mouvement citoyen de promotion de l’alternance démocratique, les appareils deux activistes ont été saisis et fouillés afin d’identifier les preuves. Les officiers sont allés jusqu’à fouiller des groupes WhatsApp d’OSC auxquels ces activistes appartiennent. D’autres sources ont également corroboré ces propos.
Un autre activiste, Ibrahim Salissou, membre actif du MPCR, a été arrêté le 20 février 2023. Un peu avant lui, le Secrétaire adjoint à la propagande et à la mobilisation du Cadre de Concertation et de Lutte Démocratique (CCLD-Mountaka), Soumaila Mounkaila a été arrêté le 17 février 2023.
Salissou a été déféré à la maison d’arrêt de Niamey le 21 février 2023 pour avoir partagé des données qui pourraient troubler l’ordre publique. L’activiste du MPCR a confié à la MFWA qu’il a qu’il a partagé dans un groupe WhatsApp une vidéo du coup d’état de 2010 contre l’ancien Président Tandja Mahamadou afin d’attirer l’attention de certains membres du groupe proche du pouvoir actuel sur une mésinformation éventuelle par des personnes malintentionnées. Salissou dit avoir reçu la vidéo d’une de ses connaissances qui voulait savoir s’il y a eu un coup d’état contre le régime actuel. L’activiste a finalement été libéré provisoirement le 23 mars 2023.
Soumaila traduit généralement les messages audios diffusés par les membres d’un groupe WhatsApp de partage d’opinion auquel il appartient du français vers le Zarma, une des langues locales du Niger. La veille de son arrestation, Mounkaila a traduit un message audio sur un appel à manifestation qui a été envoyé dans un groupe WhatsApp. L’activiste est toujours en détention alors qu’il reçoit des soins du fait de la détérioration de son état de santé.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) se réjouit de la remise en liberté des activistes et condamne avec la plus grande fermeté leur arrestation et détention arbitraires qui n’auraient pas dû se produire en premier lieu. Nous exhortons les autorités judiciaires nigériennes à mettre un terme à ce harcèlement judiciaire et à offrir réparation aux victimes dont les droits ont été violés de manière répétitive.
L’adoption de la loi no 2019-33 du 03 juillet 2019, portant répression de la cybercriminalité au Niger a malheureusement créé les conditions propices à la répression des voix critique et dissidente dans le pays. Dans le cadre de cette loi et au vu du contexte politique actuel du pays, il est ardu d’identifier clairement ce qui peut être troubler l’ordre public ou être utile à l’information du public, mais aussi, ce qui peut susciter une réaction hostile de la part des autorités politiques. Un tel contexte, peu propice à la liberté d’expression et d’opinion, nuit davantage fortement à l’espace civique.
La MFWA invite par conséquent le gouvernement du Niger à revoir la loi no 2019-33 du 03 juillet 2019, portant répression de la cybercriminalité, tout en instaurant un cadre propice à la jouissance des droits civiques et fondamentaux.