Par Vivian Affoah, Principale Chargée de Programmes à MFWA pour IFEX
Il y a une année aujourd’hui, les Gambiens sont allés aux urnes avec l’espoir de voter contre une dictature et d’instaurer un gouvernement qui rétablirait la démocratie et une nouvelle ère d’espoir. Ce fut un voyage long et difficile, caractérisé par 22 ans de meurtres, d’arrestations et de détentions arbitraires, de disparitions forcées, d’incendies criminels, d’interdictions de rassemblements, ainsi que de blocages des services d’Internet et des télécommunications.
Avant les élections, le candidat de l’époque, Adama Barrow, a promis au peuple gambien que les droits humains seraient respectés. Il a également exprimé son engagement en faveur de la liberté des médias et de la liberté d’expression. Après son élection, il a réaffirmé cet engagement lors de sa première conférence de presse tenue en tant que président et a promis de rouvrir les médias qui ont été interdits pendant le régime de Jammeh et de garantir leur indépendance éditoriale.
Il a également donné des assurances que le gouvernement mènerait une politique d’ouverture à l’égard des médias et qu’aucun journaliste ne serait persécuté en raison de son travail journalistique. En outre, il a garanti que son gouvernement réformerait les lois répressives et veillerait à ce que les Gambiens aient le droit légal d’accéder à l’information.
Des mots forts. Des mots pleins d’espoir. Cela fait 10 mois que l’administration de Barrow a pris la tête des affaires. Est-ce que le gouvernement tient-il ses promesses?
A propos de la promesse de rouvrir les médias interdits, déjà le Daily News, un organe de presse fermé en septembre 2012, a repris sa parution et l’on espère que d’autres suivront. Concernant la réforme du paysage médiatique, le gouvernement, à travers les Ministères de l’Information et de la Justice, travaille avec des parties prenantes comme l’Union de la Presse Gambienne et des partenaires internationaux comme Media Foundation for West Africa (MFWA), le bureau en Afrique de l’ouest d’Article 19 et d’autres sur divers projets visant à promouvoir et à protéger la liberté de la presse et la liberté d’expression. Toutefois, les lois anti-médias, telles que les lois sur la diffamation et l’incitation à la rébellion contre l’autorité établie, les lois sur les fausses publications, les fausses informations et communications adoptées par l’ancienne administration, restent en vigueur, même si leur application a été supprimée.
En ce qui concerne les relations gouvernement-médias, le gouvernement, à travers ses différents ministères et agences, organise maintenant des conférences de presse régulières pour informer les médias sur les développements politiques et les engager sur des questions pertinentes. Par exemple, le directeur de la presse et des relations publiques de la State House (Présidence de la république) organise des conférences de presse toutes les deux semaines. Le président lui-même s’est engagé à tenir une conférence de presse semestrielle et des entretiens individuels avec les médias. La première conférence de presse de ce genre a déjà eu lieu le 27 juillet 2017.
Les journalistes ne sont pas les seuls bénéficiaires de ce nouvel environnement ouvert. Les Gambiens ont également saisi cette relative liberté pour s’exprimer. Maintenant, dans les rues, sur les marchés, à bord des véhicules, les gens parlent librement du gouvernement, des questions nationales et des actes commis ou des omissions des hauts fonctionnaires, sans regarder avec inquiétude autour d’eux, mais avec la tranquillité d’esprit que personne n’écoute prêt de les dénoncer à la redoutable Agence nationale de renseignement (NIA). L’ancienne « maison de la terreur » elle-même a reçu un nouveau mandat et a été rebaptisée « Services de renseignement de l’Etat ».
Au cours des 10 mois que cette administration est au pouvoir, il y a eu très peu d’atteintes à la liberté d’expression. Il y a eu trois incidents majeurs. Dans deux cas distincts, des partisans de l’un des partis politiques de la coalition gouvernementale ont agressé un journaliste lors d’un rassemblement. Dans l’autre incident, un soldat sénégalais membre de la force de l’ECOMIG a malmené un journaliste lors d’une session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Dans ces cas, les ministres de l’Intérieur et celui de l’Information ont, respectivement, présenté des excuses aux journalistes. Dans le troisième cas, une femme, qui a été arrêtée pour avoir insulté le président, a été libérée plus tard, et les accusations ont été abandonnées lorsqu’il est devenu évident que le président n’était pas intéressé par l’affaire. Ces scénarios se seraient déroulés très différemment sous l’administration Jammeh.
Le gouvernement a déclaré qu’il mettait en place des mesures pour s’assurer que les restrictions juridiques excessives à la liberté d’expression soient levées. Récemment, le ministère de la Justice, dans une démarche historique, a reconnu que les articles du Code pénal sur l’incitation à la rébellion contre l’autorité, la diffamation criminelle et la fausse nouvelle sur Internet en vertu de la loi sur l’information et les communications sont inutiles. Ces dispositions constitutionnelles étaient contestées par le GPU à la Cour suprême de Gambie. Toutefois, le ministère conteste les attaques contre l’article 181 (A) du Code pénal sur la publication de fausses nouvelles. C’est une grande préoccupation pour de nombreuses personnes, en particulier les journalistes qui ont été jugés en vertu de cette loi et qui restent vulnérables si elle n’est pas abrogée dans le cadre des réformes juridiques plus larges.
Ainsi, il semble n’y avoir aucune discrimination spécifique fondée sur le genre à l’agenda du gouvernement. Il n’y a pas d’incidents rapportés d’abus en ligne perpétrés par l’État ou d’attaques sur la base du genre ou de la sexualité. Ce gouvernement peut avoir une position plus souple sur la diversité sexuelle. Le président Barrow a récemment été interrogé sur sa position sur l’homosexualité et il a indiqué que ce n’était «pas un problème en Gambie». Alors que beaucoup pensent que sa réponse signifiait que ce n’était pas une pratique courante dans le pays, et ainsi il éludait la question, d’autres l’ont accueilli comme une réponse plus mesurée. Cela contraste fortement avec les commentaires de l’administration Jammeh qui suggéraient que les membres de la communauté LGBTQI + devraient être punis de mort.
Un autre développement heureux est le changement considérable dans la façon dont le gouvernement traite avec la société civile. La collaboration et le partenariat avec les ONG, pratiquement inexistants dans l’administration passée, sont maintenant étroits et cordiaux. Le niveau de relations de travail entre le GPU, par exemple, est louable. En plus du comité mixte sur les réformes des médias co-présidé par le GPU et le ministère de l’Information, le syndicat de la presse a été invité à faire partie de la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations. Il semble également qu’il sera invité à faire partie de la Commission de révision constitutionnelle proposée. Le gouvernement a invité des représentants d’autres organisations de la société civile à participer à divers comités sur les aspects de la transition et des réformes. Notamment, cela inclut des groupes de la société civile critiques vis-à-vis du gouvernement.
Les organisations de la société civile fonctionnent maintenant plus librement, partagent leurs opinions et contribuent aux débats sur les questions de gouvernance, rappelant le gouvernement à l’ordre lorsque cela est nécessaire. Ce n’était pas le cas dans le passé, lorsque même les organisations de la société civile internationale ne pouvaient pas implanter des projets en Gambie. Dans certains cas, le gouvernement a ordonné aux organisations de la société civile de stopper des initiatives spécifiques visant à promouvoir la liberté d’expression et d’autres droits humains. Aujourd’hui, MFWA dispose d’un personnel détaché en Gambie qui travaille avec le GPU et le ministère de l’Information sur les réformes des médias. Tel est l’environnement. Les représentants du gouvernement sont maintenant facilement accessibles et participent aux événements auxquels les organisations de la société civile les convient.
Impunité et responsabilité
En ce qui concerne l’impunité, l’administration de Barrow a fait preuve de beaucoup d’engagements à ce que les auteurs des abus sous l’ancien régime rendent des comptes. Au début du mandat du gouvernement, plusieurs anciens fonctionnaires de la NIA ont été arrêtés pour leurs rôles dans des violations des droits humains commises par le passé. Ces affaires sont devant les tribunaux alors que l’État continue de réunir des preuves pour les poursuivre efficacement. Bien que le gouvernement n’a encore tenu personne pour responsable des meurtres de Deyda Hydara, Musa Saidykhan, Ebrima Manneh et d’autres, il a fait preuve d’une forte volonté d’indemniser les victimes / familles. En effet, lors d’un récent forum pour marquer la Journée internationale contre l’impunité des crimes contre les journalistes, les représentants des ministères de la Justice et de l’Information se sont explicitement engagés à respecter les jugements de la cour de la CEDEAO pour indemniser ces trois journalistes. Le gouvernement a continué à rencontrer ces victimes pour discuter des modalités de paiement.
Regard vers l’année 2018
Bien que le tableau général de la liberté des médias en Gambie semble prometteur, je souhaiterais voir plus de progrès dans trois domaines principaux en 2018.
Des progrès dans la lutte contre l’impunité, avec la mise en accusation des auteurs des violations commises contre les journalistes. Si possible, le gouvernement devrait accélérer le processus d’enquêtes. Je m’attends à ce que certains cas emblématiques soient examinés lors de la Commission Vérité et Réconciliation et j’espère que, à ce stade, il y aura une opportunité pour que les auteurs soient déférés en justice. Beaucoup de victimes et leurs familles ont attendu de nombreuses années pour que justice soit faite et que les dossiers soient clôturés, et elles ne peuvent pas continuer à attendre indéfiniment.
Un processus accéléré pour abroger les lois répressives sur les médias. Bien que tout indique que le gouvernement est prêt à le faire, le processus a été un peu lent. Bien que ces lois ne soient plus appliquées, elles restent dans la législation. C’est une préoccupation majeure pour de nombreux journalistes en Gambie, qui ont suggéré que si le processus s’avérait trop long, le président devrait envisager de passer un décret pour suspendre toutes les lois sur les médias identifiées comme répressives, en attendant leur abrogation finale ou la promulgation de nouvelles lois progressistes sur la liberté d’expression autour du droit à l’information et des droits numériques.
Le règlement de la question urgente des taxes prohibitives appliquées aux médias. Le Daily Observer, qui était jusqu’à un passé récent le journal le plus lu en Gambie, a été fermé pendant plus de quatre mois pour non-paiement de ses taxes. Bien que son cas soit particulier parce que le journal – soupçonné d’appartenir à l’ex-président Yahya Jammeh – a négligé de remplir ses obligations fiscales pendant plus d’une décennie en raison de sa relation avec Jammeh, il y a plusieurs organisations de médias qui font face à des coûts opérationnels excessivement élevés à cause du régime fiscal. L’Union de la presse de Gambie a annoncé qu’elle impliquerait les ministères de l’Information et des Finances ainsi que l’Autorité fiscale de la Gambie pour plaider en faveur de la réduction des taxes sur les matériaux tels que le papier journal.
Selon toutes les indications, 2017 a été jusqu’ici une année encourageante pour les Gambiens. Après de nombreuses années de répression, leurs droits ont été restaurés et il y a un nouveau sentiment de liberté. L’année 2018 promet d’être pleine de potentiel pour le peuple gambien, dans la perspective de la croissance économique, politique et sociale. J’ai personnellement bon espoir que le secteur des médias sera revigoré lorsque le gouvernement et les principaux acteurs, tels que le GPU, entreprendront leur programme complet de réforme du secteur des médias.