L’autorité de régulation des médias du Bénin, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), a suspendu les activités du groupe de presse panafricain La Gazette du Golfe, ainsi que tous ses canaux médiatiques (numériques et analogiques), y compris les stations vedettes Golfe TV et Golfe Radio.
La HAAC précise que la suspension, qui a pris effet le 8 août 2023, est en vigueur « jusqu’à nouvel ordre ».
Cette suspension fait suite à des accusations selon lesquelles l’organe de presse aurait fait l’apologie du coup d’État au Niger. La HAAC estime que la couverture de la situation au Niger par le groupe de presse constitue une apologie du coup d’Etat du 26 juillet 2023 dans le pays et une violation de la loi de la HAAC, du Code de l’information et de la communication ainsi que du Code de déontologie de la presse.
La suspension du groupe de presse fait suite à un avertissement préalable formulé dans un communiqué de presse daté du 3 août 2023. Dans ledit communiqué, la HAAC invitait les professionnels des médias à « faire preuve de plus de professionnalisme et au respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et légales dans le traitement de l’information relative à l’apologie des coups d’Etat en Afrique et dans la sous-région ».
La décision du régulateur porte atteinte à la liberté de la presse
La décision de suspendre La Gazette du Golfe a suscité l’indignation dans le pays. Le groupe de presse et ses juristes ont porté à la connaissance de la cour constitutionnelle que cette décision rendue par la HAAC est contraire à la constitution béninoise, Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) du 10 Décembre 1948 ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples.
Dans leur recours à la cour constitutionnelle, le groupe de presses et les juristes Angelo L. Adelakoun, Fréjus Atindoglo, Romaric Zinsou, Conaïde Akouedenoudje et Miguel Houeto ont déclaré qu’à la lecture des dispositions de ces différents instruments « l’on se demande en quoi est-ce qu’un media qui fait des analyses et chroniques fait de l’apologie des coups d’État ».
L’Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB) s’est dite inquiète de la décision de la HAAC. L’UPMB estime que faire taire les médias du groupe n’est pas la solution.
« Les médias, qu’on ne l’oublie pas, ont pour mission d’informer le public, de faire des analyses, des réflexions et susciter le débat public, éduquer et divertir. De ce fait, le sujet d’actualité aussi important que la situation qui prévaut au Niger ne peut être passé sous silence dans les médias en l’occurrence dans un média d’envergure comme Golfe télévision », a déclaré Zakiath Latoundji, présidente de l’UPMB.
L’Observatoire de Déontologie et de l’Ethique dans les médias (ODEM) a quant à lui condamné cette décision, qu’il qualifie de « mesure conservatoire qui paraît disproportionnée à la faute commise ».
« Elle viole le préambule et les articles 07 et 142 de la constitution béninoise qui rappellent l’attachement du Bénin aux valeurs démocratiques, au droit et l’accès du public à l’information, et la protection de la presse que la HAAC elle-même devrait garantir. En fermant une maison de presse, il est évident que le droit à l’information du citoyen est bafoué, et la démocratie béninoise en berne. Mieux, cette décision met au chômage technique, l’ensemble du personnel de ce grand et ancien groupe de presse » a indiqué L’ODEM dans un communiqué le 13 août 2023.
Le coup d’État au Niger est le sixième en Afrique de l’Ouest en un peu plus de trois ans. En 2021, la Guinée a connu une prise de pouvoir militaire, suivie du Mali (2020, 2021) et du Burkina Faso (2021, 2022), avec deux interventions militaires chacun. La CEDEAO a voté l’envoi de troupes au Niger pour restaurer le régime civil déchu, une décision qui a divisé l’opinion publique en Afrique de l’Ouest, y compris les gouvernements des États membres. Le Bénin fait partie des pays qui ont voté en faveur de l’invasion du Niger et s’est engagé à fournir des troupes pour l’opération.
Le 10 août 2023, Radio Oméga, basée à Ouagadougou, a été fermée pour une durée indéterminée par les autorités burkinabé, qui soutiennent la junte nigérienne, car elle a interviewé un activiste considéré comme favorable au rétablissement par la force du président civil déchu du Niger.
La Fondation pour les Médias en Afrique de l’Ouest (MFWA) condamne fermement la suspension du groupe de presse La Gazette du Golfe, et demande à la HAAC de revenir sur sa décision. Bien que nous condamnions la vague de coups d’État dans la région, y compris le dernier en date au Niger, nous n’approuvons aucune mesure visant à empêcher les médias et la société civile d’exprimer leurs opinions sur le phénomène. La MFWA a observé que certains gouvernements campent sur leurs positions et se montrent trop sensibles aux commentaires qui contredisent leur position sur le coup d’état au Niger et ses conséquences. Nous souhaitons donc rappeler à la HAAC qu’il est de son devoir et de sa mission, en vertu de l’article 142 de la Constitution du Bénin, de protéger les médias contre toute ingérence injustifiée. Par conséquent, nous invitons la HAAC à annuler cette décision très discutable.