Les autorités mauritaniennes ont arrêté un journaliste, un homme politique de l’opposition et un certain nombre de citoyens dans le cadre d’une récente répression de la liberté d’expression en ligne qui comprend l’adoption d’une nouvelle loi sur la publication de fausses informations.
Le 24 juin 2020, l’Assemblée nationale a approuvé une nouvelle loi sur la publication de fausses informations sur les médias sociaux, ce qui a suscité les critiques de certains parlementaires de l’opposition et de militants des droits de l’homme qui ont relevé plusieurs “ambiguïtés” et “inexactitudes”.
Lorsqu’elle entrera en vigueur après sa publication au Journal officiel, la loi sanctionnera les infractions par une peine de prison allant de trois mois à cinq ans. Elle prévoit également des amendes allant de 50 000 Mru (150 USD) à 200 000 Mru (600 USD).
Selon les critiques, la nouvelle loi revient à ajouter une difficulté supplémentaire à la diffusion de l’information dans un pays qui a déjà une réputation de secret institutionnel. Le gouvernement insiste cependant sur le fait que son objectif est de lutter contre la manipulation de l’information, en particulier pendant les crises sanitaires et les périodes électorales.
Cette loi intervient également huit jours seulement après la résolution HRC44 du 16 juillet 2020 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression qui, entre autres recommandations, demande instamment aux États de veiller à ce que leurs réponses au phénomène de la fausse publication et des fausses nouvelles soient “fondées sur le droit international des droits de l’homme, y compris les principes de légalité, de légitimité, de nécessité et de proportionnalité”.
Compte tenu de la récente vague d’arrestations concernant des publications sur les médias sociaux, la nouvelle loi sur les fausses publications est censée signaler une nouvelle volonté de museler la liberté d’expression, en particulier en ligne.
Dans la nuit du 8 juillet 2020, par exemple, les agents de la sécurité de l’État mauritanien ont arrêté Moustapha Ould Ahmed El Meki, ancien maire de la ville d’Akjoujt, accusé d’avoir insulté le président Mohamed Ould cheikh Ghazouani dans une vidéo sur Facebook.
Dans la vidéo, El Meki, un fervent partisan de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, a critiqué l’enquête en cours sur la corruption contre l’ancien président et a fustigé le président actuel, Mohamed Ould cheikh Ghazouani.
Le 14 juillet, El Meki a été présenté au procureur général qui l’a accusé d’avoir insulté et incité à la haine contre le président de la République. Il a ensuite été libéré par le magistrat instructeur mais soumis à un contrôle judiciaire.
Le 2 juin, la police a arrêté Salma Mint Tolba, l’auteur présumé d’une série d’enregistrements audio mettant en cause certains aspects de la réponse du gouvernement au COVID-19. Elle a notamment accusé les autorités d’avoir gonflé le nombre d’infections.
Deux autres personnes, Mohamed Ould Semmane et Sidi Mohamed Ould Beyah, qui étaient soupçonnées d’avoir participé à la diffusion de l’enregistrement audio, ont également été arrêtées.
Le 3 juin, la police a arrêté Eby ould Zeidane sur un post Facebook dans lequel il contestait les dates auxquelles les Mauritaniens observent le jeûne annuel du mois islamique du Ramadan. Il a condamné le fanatisme religieux en Mauritanie et a déclaré que ses compatriotes s’étaient beaucoup éloignés de la voie du prophète Mahomet.
Zeidane a été traduit devant un juge d’instruction pour blasphème le 8 juin. Il est également accusé de “publication de tracts qui sapent les valeurs de l’Islam” en vertu de l’article 21 de la loi sur la cybercriminalité.
Le cas de Zeidane évoque des souvenirs effrayants du calvaire de Mohamed Ould Mkheitir qui a été condamné à mort pour blasphème en janvier 2014 pour une publication similaire sur Facebook. Le blogueur a passé cinq ans en prison alors que sa condamnation à mort avait été commuée en deux ans de prison en appel, alors qu’il avait déjà passé près de trois ans en détention.
Pour apaiser les fanatiques religieux qui protestaient contre la décision de la Cour d’appel, le gouvernement a modifié, le 17 novembre 2017, l’article 306 du Code pénal en vertu duquel le blogueur avait gagné son appel en plaidant le repentir. La loi révisée a rejeté le repentir comme circonstance atténuante dans les affaires de blasphème. La Mauritanie est un pays très conservateur où les questions religieuses sont très délicates, les autorités exploitant souvent la religion pour apaiser les mécontentements des radicaux.
Outre l’article 306 révisé du code pénal, l’article 21 de la loi n° 2016-007 sur la cybercriminalité, dont Zeidane est accusé, punit de quatre ans de prison et de 3.000.000 d’ouguiyas (l’équivalent de 9000 USD) toute publication assistée par ordinateur qui porte atteinte aux valeurs de l’Islam.
Ces incidents s’ajoutent aux précédents incidents d’arrestations et de détentions de journalistes, de blogueurs et de militants prodémocratie pour des publications critiques en ligne depuis janvier 2020, ce qui a suscité la consternation dans les milieux des droits de l’homme et de la liberté d’expression.
Le mouvement antiesclavagiste ; Initiative pour la Résurgence Abolitioniste (IRA) a déclaré que “la vague d’arrestations démontre une attitude autoritaire au sommet de l’exécutif.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest MFWA est également préoccupée par cette évolution. Les arrestations et les poursuites engagées contre des individus pour leurs commentaires critiques sur les médias sociaux démontrent un niveau d’intolérance inacceptable dans une démocratie.
Nous appelons donc les autorités mauritaniennes à abandonner toutes les charges retenues contre Zeidane et El Meki et à mettre fin à la répression en cours contre la dissidence. Nous appelons également le Président Ghazouani à prendre en compte les différentes critiques concernant la nouvelle loi sur les fausses publications avant de l’approuver. Surtout, nous demandons au Président de mettre un point d’honneur à assurer une amélioration de l’environnement de la liberté de la presse et de la liberté d’expression en Mauritanie qui ne cesse de se détériorer de jour en jour.