La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) exprime sa vive préoccupation face à une décision rendue récemment par la Cour des droits de l’homme n°2 à Accra. Celle-ci a émis une injonction provisoire interdisant au journaliste d’investigation Innocent Samuel Appiah de publier un reportage… qui n’a même pas encore été produit. Ce document porterait sur des pratiques présumées contraires à l’éthique et de potentiels conflits d’intérêts impliquant Cynthia Adjei, PDG du groupe Lysaro.
Cette décision est survenue après qu’Appiah a entrepris une démarche classique de journalisme d’investigation : l’envoi d’un questionnaire détaillé à Mme Adjei, lui offrant la possibilité de répondre à des allégations concernant notamment sur les acquisitions foncières du groupe, l’attribution de contrats et le respect des obligations fiscales. Plutôt que de fournir des réponses, Mme Adjei a saisi la justice et obtenu une injonction interdisant la publication d’un reportage qui, à ce stade, n’existe que sous forme de projet.
Le 5 juin, le juge Nana Brew a fait droit à la demande de Mme Adjei, estimant que la publication du reportage pourrait porter atteinte à ses droits fondamentaux et tenant compte de sa crainte exprimée quant à cette publication. Selon le juge, d’éventuels dommages-intérêts ne suffiraient pas à compenser les torts en cas de diffamation. Il a également déclaré que la prépondérance des inconvénients penchait en faveur de la plaignante.
La décision a suscité une vague de critiques de la part de juristes et de défenseurs de la liberté de la presse, qui y voient un précédent alarmant qui porte atteinte au rôle de chiens de garde des médias.
Mme Adjei affirme être une citoyenne privée et non une fonctionnaire. Toutefois, l’enquête visait à éclairer les liens d’intérêt entre son entreprise et certaines institutions étatiques dans lesquelles son époux a occupé des postes influents. Il a notamment été le directeur général par intérim de GOIL Ghana Plc — une entreprise publique de distribution de produits pétroliers — et président du conseil d’administration du Fonds de prêts aux étudiants. Autant d’éléments qui, selon les défenseurs de la liberté de la presse, font d’elle une personne politiquement exposée.
La MFWA condamne fermement cette décision, qu’elle considère comme une atteinte grave à la liberté de la presse et au droit du public à l’information, garanti par la Constitution ghanéenne. En empêchant préventivement un journaliste de publier, sur la base d’un préjudice encore hypothétique, la justice remet en cause le rôle essentiel du journalisme d’investigation dans la promotion de la transparence et de la responsabilité.