Au cours des deux derniers mois, au moins neuf manifestants ont été tués en Guinée et deux en Sierra Leone, où l’Internet a également été perturbé. Les manifestations de rue ont été interdites en Guinée et les manifestants étudiants au Liberia ont été brutalisés, transformant ainsi les manifestations en un terrible champ de mines dans les États-membres de l’union du fleuve Mano.
La Sierra Leone a été plongée dans le deuil et le chaos le 10 août 2022, lorsqu’une manifestation antigouvernementale a mal tourné, faisant des morts dans les rangs des policiers comme dans celui des civils. Les forces de sécurité ont affronté une partie des manifestants qui brûlaient des piles de pneus dans les rues et lançaient des pierres sur la police, qui a d’abord utilisé des gaz lacrymogènes avant de tirer à balles réelles. Selon les médias, trois personnes ont été tuées, dont un policier qui aurait été lynché.
Le département des relations publiques et des médias de la police a ensuite annoncé dans un communiqué de presse que « dans tout le pays, quatre policiers sont morts et quatre ont été blessés ; 113 suspects ont été arrêtés dans les régions du Nord-Ouest et du Nord-Est à ce jour ; des biens publics et privés ont été détruits ». Le communiqué, dont la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a vu une copie, ne mentionnait toutefois pas la mort de civils.
Ces manifestations meurtrières ont eu lieu à peine un mois après que la police a agressé et arrêté des dizaines de femmes lors d’une répression de leur manifestation contre la hausse du coût de la vie, le 4 juillet 2022.
Plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des femmes battues et molestées par des policiers de sexe masculin dans des postes de police. Dans l’une d’entre elles, on pouvait entendre un policier narguer une détenue en disant : « Tu vas pourrir derrière les barreaux ».
Plus tard dans la même journée, la police a arrêté le Dr Femi Claudius Cole, chef du Unity Party, accusée d’avoir incité à une manifestation illégale. Elle a été détenue pendant la nuit aux côtés du Dr Dennis Bright, président du parti National Grand Coalition, qui s’était rendu au poste de police en signe de solidarité.
L’intolérance apparente des autorités sierra-léonaises à l’égard des manifestations est malheureusement partagée par la Guinée et le Liberia, leurs voisins du fleuve Mano.
Le 13 mai 2022, la junte militaire de transition guinéenne, le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), a publié un décret interdisant toutes les manifestations et limitant tous les rassemblements des acteurs politiques et sociaux aux sièges de leurs organisations.
Les autorités militaires ont ensuite usé de force brute pour faire respecter l’interdiction. Les 18 et 19 juillet 2022, une coalition de forces d’opposition a organisé des manifestations à Conakry pour défier l’interdiction. Les forces de sécurité sont intervenues avec une force meurtrière, faisant au moins quatre morts parmi les manifestants. La répression s’est poursuivie le 28 juillet. Selon les organisateurs de la manifestation, quatre autres manifestants seraient morts, alors que des sources d’Amnesty International font état de cinq morts, parmi un grand nombre d’arrestations.
Le 6 août, la junte, qui a pris le pouvoir par un coup d’État le 5 septembre 2021, a dissous le plus grand groupe politique d’opposition du pays, le Front national pour la défense de la constitution (FNDC), et principal artisan des manifestations publiques. Cette mesure a été prise après que le groupe a froissé la junte en rejetant son calendrier de trois ans pour le retour à l’ordre constitutionnel et en organisant des manifestations de rue contre la longue période de transition, malgré l’interdiction des manifestations publiques. Le FNDC a été créé en 2019, avec pour objectif principal de coordonner les campagnes d’opposition de masse contre la candidature du président Alpha Condé à un troisième mandat. Bien que le groupe n’ait pas pu empêcher le président Condé d’user de manipulations pour arriver à une victoire controversée pour un troisième mandat, il a continué à s’opposer au gouvernement, créant l’atmosphère de mécontentement de masse qui a conduit à l’intervention militaire.
Le Liberia a achevé la descente dans l’anarchie de la région du fleuve Mano, lorsque, le 26 juillet 2022, la Coalition pour le changement démocratique au pouvoir a lâché ses militants sur des manifestants à Monrovia. Les voyous ont perturbé la marche pacifique des étudiants du parti d’unification des étudiants (Student Unification Party – SUP) de l’université du Liberia en les attaquant violemment devant l’ambassade des États-Unis. Au cours d’un incident qui est devenu l’image même des atrocités, un membre fervent du SUP, Christopher Walter Sisulu Sivili, a été torturé par une foule. L’activiste a été blessé à la tête, le visage en sang et les membres cassés. Son état critique a donc nécessité son évacuation à l’étranger pour qu’il puisse y recevoir des soins.
La MFWA est consternée par ces violations flagrantes qui appartiennent aux temps révolus de la gouvernance autocratique. Les manifestations publiques sont un moyen légitime d’exprimer des opinions, y compris des opinions dissidentes. C’est un droit garanti par les lois des trois pays concernés et par les cadres légaux internationaux auxquels ils ont adhéré. Nous exhortons donc les dirigeants de ces pays à faire preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des opinions dissidentes, y compris celles exprimées lors de manifestations de rue. Nous demandons que des enquêtes soient menées sur les troubles qui ont émaillé les récentes manifestations dans ces pays. Bien que les excès des manifestants ne puissent être excusés, il incombe aux autorités de veiller à ce que la réponse de la police à ces excès ne soit pas létale. Nous demandons instamment au gouvernement du Liberia d’enquêter sur l’agression de Christopher Walter Sisulu et de traduire en justice ses agresseurs, dont la plupart ont été filmés.
La MFWA trouve la dissolution du FNDC par les autorités guinéennes inadmissible et évocatrice de la volonté de la junte de faire taire toute opposition à son pouvoir. De même, nous déplorons l’interdiction des manifestations publiques et la répression meurtrière des manifestants par le régime militaire qui venait promettre une réconciliation nationale. Nous appelons au dialogue et à la recherche d’un consensus entre toutes les parties prenantes en Guinée afin de garantir un programme crédible de rétablissement de l’ordre constitutionnel. Plus important encore, les gouvernements devraient fournir aux forces de l’ordre des armes non létales incapacitantes à utiliser dans les situations appropriées.