En l’espace d’un mois, six journalistes de la presse privée ivoirienne ont fait objet de diverses violations par les autorités, avec la police comme les pires violateurs. Deux journalistes ont été arrêtés, détenus et séquestrés par la Police de la Côte d’Ivoire. Un autre a été convoqué à la police scientifique pour publication de photo, tandis que trois autres ont été condamnés à payer 6 millions Francs CFA (10 944 USD).
Le 3 Novembre 2020, Alex Hallan Yao, journaliste à la chaine de Télévision Pdci24 a été arrêté au domicile d’Henri Konan Bedie, leader du Parti Démocratique de la Côte d’Ivoire (PDCI) alors qu’il s’y était rendu pour couvrir une conférence de presse animé par ce dernier. Après avoir été gardé en détention pendant trois jours, Alex Hallan Yao, sera, envoyé à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), où il sera emprisonné du 6 au 10 novembre. En tout, il a été détenu pendant 7jours.
Un sort similaire sera réservé à Stéphane Beti, correspondant de l’Agence de presse panafricaine (App) qui a été interpellé, le 9 Novembre 2020, par un homme en civil, fusil de kalachnikov au point, à l’entrée du village Yopougon Kouté, devant le portail du cimetière dudit village.
« J’ai été menotté avec l’une des personnes gravement blessées lors de mon transfert à la préfecture de police », indique-t-il. Beti a été détenu pendant plusieurs heures au commissariat du 16ème arrondissement d’Abidjan sans motif avant d’être relâché. Les policiers ont aussi confisqué son téléphone, l’empêchant ainsi de communiquer avec sa rédaction.
« Je peux dire que mon arrestation ressemblait à un enlèvement », déclare-t-il à la presse.
Il a dû sa libération à un confrère journaliste qui l’a reconnu et a alerté les organisations de défense de la presse.
Le 25 novembre 2020, un troisième journaliste indépendant, Kouamenan Gonan Laurent, connu sous la plume, Pierre Lemauvais, a été convoqué par la police suite à la plainte de l’étudiante, Marie Isabelle Malan pour “illustration d’un article de presse avec la photo d’une tierce”. L’article incriminé avait été publié par l’agrégateur Operanews sous le titre : les microbes font un mort à Kpass (Dabou). Laurent sera ensuite présenté le même jour au procureur. Cependant il a été libéré grâce à la mobilisation des confrères journalistes.
« Je suis sorti libre de la Police Scientifique depuis 10h. Grâce à votre mobilisation, la procédure s’est finalement arrêtée là ».
Le 30 Novembre, Ibrahima Doumbia et Eugène Tanoh, deux journalistes de la presse privée Abidjan24, ainsi que leur rédacteur en chef, Patrice Pohe ont été convoqués à la Brigade de recherche de la gendarmerie du Plateau, une commune d’Abidjan. Il leur est reproché d’avoir co-signé des articles « La présidentielle 2020 livre ses secrets (Acte1) ». L’article incriminé analyse le taux de participation à l’élection présidentielle et interroge sur des détournements présumés de 450 millions ($ US 817,351). Les trois journalistes ont été condamné à 6 000 000 francs CFA (10, 943 USD) pour diffamation.
Pour Pohe : ‘’ cette décision de justice n’a aucun sens, et ressort de l’arbitraire, une autre tentative de museler notre presse qui s’est tout simplement interrogé sur les faits’’, a dit Pohe au téléphone à la MFWA.
Mars 2020 à Novembre 2020, les autorités ivoiriennes ont affiché une intolérance vis-à-vis des articles critiques sur le gouvernement. Plusieurs poursuites en justice avec de lourdes amendes ont visé des journalistes et leurs organes. L’imposition de lourdes amendes est devenue la parade des critiques et mesures d’intimidation à dessein de museler la presse défavorable aux autorités. Ceci est tout autant inquiétant pour la liberté de la presse et d’expression dans un pays démocratique.
La condamnation des trois journalistes d’Abidjan24 portent à neuf, la liste de journalistes ivoiriens, qui ont été condamnés à de très lourdes amendes complètement injustifiées, à l’issue d’audiences expéditives depuis mars 2020.
Le 31 mars 2020, Vamara Coulibaly, directeur de publication du journal indépendant Soir Info et Paul Koffi, directeur de publication du Nouveau Réveil, journal proche de l’opposition, avaient été condamnés, à payer une amende de 2,5 millions de francs CFA (4560 USD) chacun pour ‘’diffusion de fausses nouvelles’’.
Le 25 mars déjà, deux journalistes Cissé Sindou et Marc Dossa, du quotidien Générations Nouvelles consideré proche de l’opposant Guillaume Soro, ont été condamnés à 5 millions de francs CFA d’amende (9120 USD) chacun pour “diffusion de fausses nouvelles”. Ils étaient poursuivis pour avoir révélé dans une enquête deux cas de coronavirus à la prison d’Abidjan qui avaient ensuite été démentis par les autorités.
Trois semaines plus tôt, le 3 mars 2020, le procureur de la République de Côte d’Ivoire avait condamné Yaouba Gbande, directeur et rédacteur en chef du journal Le Temps, ainsi que Barthelemy Tehin à 5millions de francs CFA (environ 8 600 USD) pour un article critique sur le gouvernement.
Tout en condamnant ces séries d’attaques et d’intimidation sur les journalistes ainsi que les recours à des amendes excessives pour intimider et museler la presse critique, la MFWA demande aux autorités de faire preuve de tolérance vis-à-vis des critiques des médias, indispensable dans un état démocratique.
L’organisation demande aux autorités d’arrêter de manipuler et d’interpréter les textes de lois à dessein pour réprimer la liberté d’expression et de la presse.
Face à des médias déjà fragiles, et dont la pandémie de COVID-19 a rendu davantage vulnérables, l’imposition d’amendes excessives peut être considérées comme une volonté délibérée de détruire les organes de médias, déjà vacillantes.
La MFWA demande également à la presse de faire preuve de respect d’éthique et de professionnalisme pour éviter des poursuites non-justifiées en justice.