Le projet Simandou doit préserver l’environnement et les droits des populations hôtes

Avant-propos

La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) met en œuvre un projet visant à mettre en lumière les défis auxquels sont confrontés les écologistes et les journalistes spécialisés dans les questions environnementales. Ce projet comprend le suivi et la production de rapports sur la liberté d’expression (en ligne et hors ligne), l’activisme environnemental (en ligne et hors ligne), ainsi que sur le développement des médias en Guinée. L’accent est mis sur les difficultés rencontrées par les journalistes, les activistes et les communautés engagées dans la protection de l’environnement.

Le suivi et les rapports sur la liberté d’expression s’inscrivent dans le cadre du projet de la MFWA intitulé « Promouvoir l’agroécologie et la Durabilité Environnementale ; et Renforcer la Liberté d’Expression en Afrique de l’Ouest », qui est mis en œuvre avec le soutien financier de The 11th Hour Project de la Schmidt Family Foundation.

Le projet se concentre également sur les questions de dégradation de l’environnement, d’agroécologie et de moyens de subsistance durables. Il vise, entre autres, à mettre en évidence les pratiques environnementales et agricoles non durables et malsaines qui compromettent l’intégrité de l’environnement et la durabilité des moyens de subsistance.

Cet article traite de l’exploitation du gisement de fer a Simandou, Guinée, et de son impact sur l’environnement, sur les communautés et leur moyen de subsistance. Il traite également des défis auxquels font face les activistes qui militent pour les droits des personnes et groupes affectés.

Introduction

En Guinée, le Projet Simandou est en plein essor, représentant le plus grand gisement de fer inexploité au monde. Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, qui a renversé l’ancien président Alpha Condé, le projet est dirigé par Djiba Diakité, Ministre Directeur de Cabinet de la Présidence, qui occupe également les fonctions de Président du comité stratégique de Simandou et de l’accord cadre sino-guinéen. En tant qu’homme fort du régime, il joue un rôle clé dans la réalisation de ce méga projet minier.

Les autorités militaires attachent une importance cruciale à ce projet, qu’elles considèrent comme essentiel à leur vision pour le pays. Situé dans le sud-est de la Guinée, le Simandou est un projet d’exploitation de minerai de fer de classe mondiale, élaboré en partenariat avec Rio Tinto, les autorités guinéennes, Chalco et l’International Finance Corporation (IFC), membre du groupe de la Banque mondiale.

Le Simandou se compose d’une chaîne de collines s’étendant sur 110 km et culminant à 1 658 mètres, dans les régions de N’Zérekoré et de Kankan, au cœur des zones montagneuses et boisées de la Guinée. Pour faciliter le transport du minerai de fer, un chemin de fer sera construit, traversant 12 préfectures et débouchant sur le port minéralier situé sur la côte, dans la préfecture de Forécariah.

Toutefois, le projet Simandou présente des dangers d’une part pour les communautés voisines en termes d’accès à leurs terres et à l’eau, et d’autres part, à l’environnement du fait de grandes quantités de carbone qui seront émises dans l’atmosphère et de ses répercussions sur la faune.

Témoignages amers des populations, activistes  

La réalisation d’un tel projet a forcément des impacts environnementaux dans les régions traversées. Ainsi, depuis le début de la prospection, celle des tracées topographiques pour les poses des rails du futur train minéralier, des communautés sont impactées. Des champs sont dévastés, des cours d’eaux pollués, des habitations inondées, des citoyens infectés par des maladies qu’ils ne connaissaient pas. Les bonnes mœurs sont aussi affectées par le débarquement le long des sites d’exploitations de belles de nuits qu’on accuse de propager des maladies.

Amara Camara, le coordinateur du comité de suivi citoyen des impactés du projet Simandou de Kindia, préfecture située à environ une centaine de kilomètres de la capitale Conakry, est un de fervent opposant du projet Simandou et de son impact sur les communautés et les zones traversées par le mégaprojet.

« J’ai fait l’objet d’une arrestation le 27 octobre 2023 et d’une autre les mois qui ont suivi. Les autorités locales m’ont placé en garde à vue à deux reprises simplement parce que j’ai présenté aux communautés, lors d’une séance de démonstration, les résultats d’un rapport que j’ai documenté sur l’impact de Simandou sur l’environnement à Madina Oula, une sous-préfecture traversée par le projet. Avant mon interpellation et ma détention, j’ai reçu des attaques verbales d’une rare intensité des autorités locales qui m’ont traité de traitre qui ne souhaite pas que le projet Simandou soit une réalité. A chacun de mes rapports qui étaient pourtant rendus, avec une copie aux autorités, je fais l’objet de menaces et d’attaques » a expliqué Amara Camara.

Il explique qu’il est sorti indemne de ces deux détentions à la gendarmerie frontalière de Madina Oula parce qu’il enquête sur ce projet au compte d’une organisation non gouvernementale locale appelée Action Mines Guinée (AMINES).

« C’est une organisation influente et connue dans toutes les grandes rencontres minières. Ce sont les pressions de cette organisation qui m’ont aidé à m’en sortir » a révélé Amara Camara,

Mamadou Diouldé Sow, coordinateur d’AMINES dans la sous-préfecture Ourekaba et de Soya, des agglomérations situées en provinces à un peu plus de 200 km de Conakry, est aussi un des pionniers de la résistance contre les effets néfastes de Simandou sur la biodiversité. Lui aussi a régulièrement reçu des menaces, des intimidations et des convocations perpétrées par les autorités locales.

« Les sociétés sous-traitantes du projet ne respectent pas les clauses des contrats. Souvent lorsque c’est le cas, je n’hésite pas à me tenir du coté des communautés impactées et cela n’est pas sans conséquences pour moi. J’ai à maintes reprises été convoqué et entendu. Parfois, j’essuie des blâmes de la part des autorités communales. Mais, je n’ai jamais faibli. Je me dis que si je dois payer le prix de ma vie pour protéger les intérêts de ma communauté, je n’hésiterai guerre à me sacrifier » a-t-il précisé.

Ces deux activistes pour la sauvegarde du patrimoine environnemental, disent avoir documenté de nombreux impacts de ce projet sur l’environnement et les communautés. Ces impacts, disent-ils, sont les suivants.

Les travaux sur les tracées du chemin de fer impactent des zones agricoles du fait des remblais, des ponts, et des tunnels, dont les réalisations nécessitent une forte dépense d’Energie et de l’eau. L’opération déclenche des torrents de poussière et d’eaux boueuses de couleur rouge qui se déverse dans les basfonds rizicoles. Des champs, des plantations, des sources d’eau sont impactés.

Le processus de dynamitage des montagnes et des collines joue sur la faune. Effrayées par les bruits, des espèces rares et protégés de Chimpanzés, de singes et d’autres oiseaux ont déserté ces forets pour des destinations inconnues.

Sur le plan humain, les deux observateurs de la nature disent que les habitants de leurs villages respectifs commencent à développer des pathologies jusque-là inconnues des communautés telles que le gonflement des membres inférieurs, des infections sexuellement transmissibles dues à l’affluences de personnes attirées par les travaux et l’argent.

Selon des rapports documentés, les riverains et les autochtones ont perdu plusieurs espaces cultivables. Et le mécanisme de compensation n’est pas uniforme. Chaque entreprise du projet viendrait avec ses propres grilles contractuelles. Il n’y a aucune référence dans laquelle les droits des communautés sont respectés parce qu’il n’y a aucun référentiel national élaboré par le gouvernement à l’attention des entreprises contractantes, explique des membres de communautés qui requièrent l’anonymat pour des raisons évidentes de sécurité.

Ils disent aussi qu’il y a des débordements dans les mensurations.

« Lorsqu’ils viennent, ils ne respectent pas les mesures. Si c’est 20 mètres de surface qui sont requis, ils annexent environ 40 mètres, et c’est ce qui fait qu’ils débordent et déversent des terres rouges après les décapages. Les champs et des arbres sont ensevelis à une grande échelle. Parfois, lorsque des villageois impactés se plaignent, les entreprises réparent les torts, mais parfois, rien n’y fait, ils passent outre. Des impactés de ces cas sont légion. Tous les basfonds sont pollués dans le District de Bantamaya où il y a eu des ouvertures de caniveaux qui polluent les zones agricoles. Même scénario dans le district de Ourekaba. La boue a détruit au secteur Hafia les domaines de Fatou Mara, une brave dame qui avait réussi dans l’agriculture. Le constat est alarmant à Madina, Bantamaya. Vers Farintah, sous-préfecture de Soya, il y a des cas de fissures de maisons liées aux vibrations des machines. Les compensations sont minimes. Les montants sont largement bas » a témoigné un habitant de Madina Oula.

AMINES compte parmi ses membres des personnes qui ont documenté tous les cas consignés dans les rapports trimestriels. Ibrahima Sory Kourouma, un de ses membres, a expliqué que cette organisation accompagne les communautés riveraines des projets miniers dans la défense de leurs droits. Elle les aide à assurer le suivi citoyen des engagements des entreprises et de l’État à leur égard. L’ONG les assiste également dans le développement d’un plaidoyer autour du projet Simandou, grâce aux efforts des comités de suivi qui œuvrent à Forécariah, Kindia, Mamou et Kérouané, les préfectures touchées par le projet.

« Nous aidons les communautés en matière de mobilisation, de communication et de documentation. Nous les soutenons dans leurs démarches auprès des juges et tribunaux pour porter les impacts environnementaux devant la justice », a déclaré un responsable d’AMINES.

Les pêcheurs se plaignent également des destructions de leurs filets et de leurs pirogues au large de Forécariah, la préfecture qui abrite le port minéralier.

Dans la préfecture de Béla se trouve la sous-préfecture de Gnossomoridou, point de départ du projet Simandou. C’est dans ce village que sont prévues la construction d’un port sec et d’une gare d’embarquement pour le minerai de fer à destination du port de Forécariah, en basse côte.

À Gnossomoridou, située à 25 km de Beyla, se trouvent des contreforts abritant 18 sources. Selon Lancinet Donzo, point focal d’AMINES dans cette localité, deux des fleuves vitaux pour les communautés ont été pollués par les travaux de décapage.

« Avant, les citoyens lavaient les habits, puisaient l’eau à boire et l’eau pour le ménage global dans les rivières Mia et Farako. Ce sont deux rivières qui desservent des villages entiers. Mais, de nos jours, ses eaux ont été polluées et sont inutilisables par les travaux de ménages. Les collectivités en souffrent sérieusement » a déclaré Lancinet Donzo.

Depuis 2016, Donzo, activiste pour la cause de la faune et la flore dans la région du Sud de la Guinée se bat pour la préservation de la biodiversité sur le mont Simandou. Il a eu maille à partir avec les autorités locales qui, au début, le traitaient de saboteur, d’apatride. Les communautés étaient remontées contre lui parce qu’on l’a présenté comme quelqu’un qui ne souhaite pas le développement de la Préfecture de Beyla.

« Les autorités locales avaient fini de ternir mon image dans la communauté à travers des campagnes de sabotages et de discrédits à mon égard. J’ai été présenté comme un enfant indigne du village. Je fais une assise avec la communauté pour faire comprendre aux parents que ce projet est viable et souhaité pour nos enfants, pour la région. Mais, je leur ai dit qu’il ne faut cependant pas qu’on n’oublie les conséquences pour l’environnement que nous allons léguer à nos enfants.  Nous voulons certes que nos enfants travaillent dans ce projet, qu’ils soient salariés, mais cela ne doit pas nous faire oublier leur avenir aussi. Voilà ce que j’ai dit aux communautés. J’ai fait des photos des lieux où l’ont voit carrément l’effet de l’impact sur l’environnement. C’est ainsi qu’ils m’ont compris et se sont mis de mon coté », a confié Donzo qui est en pleine enquêtes pour la rédaction d’un rapport qu’il projette de rendre public le 10 octobre prochain.

Recommandations

Au regard de ce qui précède, les activistes qui défendent les droits des populations touchées par les travaux sur le Simandou formulent les recommandations suivantes :

  • La réparation des dommages causés: De nombreuses personnes sont sevrées de leurs domaines cultivables qui servaient de moyens de subsistance et leur permettait de générer un revenu. Il faut concevoir des mesures compensations fiables et efficaces.
  • La restauration de la flore et de la faune : De nombreuses forêts communautaires ont été détruits alors qu’elles de servaient de zone d’équilibre environnemental. Il est donc recommandé que le couvert forestier des communautés le long du corridor du train minéralier du Simandou soit restauré. Alors qu’elle vise à restaurer le couvert végétal détruit, cette mesure favorisera la régénération du couvert végétal et la conservation des ressources fauniques.
  • Protection des activistes : Les activistes qui luttent contre ces destructions de l’environnement dus aux travaux sont vus de mauvais œil par les autorités et les sociétés sous-traitantes. Ils sont démunis et isolés. Ils méritent une assistante légale, sécuritaire et logistique. Ils ont besoin d’être couverts par des avocats et des organisations humanitaires ou caritatives pour leur permettre de continuer la lutte.
  • Protection des communautés : Il est nécessaire de concevoir des mécanismes juridiques pour contraindre les auteurs de violations des droits des communautés à répondre de leurs actes.

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