Coup de pouce pour la liberté de la presse : Le tribunal ordonne au chef de la police et au procureur général de présenter des excuses à un journaliste victime d’abus

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De gauche à droite : George Akuffo Dampare, inspecteur général de la police ; Godfred Odame, procureur général ; Edward Asomani, coordinateur de la sécurité nationale.

Le vendredi 13 janvier 2023 la liberté de la presse au Ghana a vu une grande avancée, lorsqu’un tribunal a ordonné aux responsables de trois grandes institutions publiques de présenter des excuses à un journaliste dont les droits ont été violés.

La Cour 2 de la Division des droits de l’homme à Accra a ordonné au coordinateur de la sécurité nationale du Ghana, à l’inspecteur général de la police et au procureur général de présenter des excuses à Emmanuel Ajarfor Abugri, rédacteur en chef du journal en ligne ModernGhanaonline.com, pour la violation de ses droits.

Le tribunal a également ordonné aux responsables des institutions publiques de verser des indemnités et de payer les frais au journaliste. Les défendeurs doivent également payer pour les gadgets du journaliste, notamment un ordinateur portable, deux téléphones mobiles et une tablette, qui ont été saisis par les agents de la sécurité nationale.

L’avocat principal de M. Ajarfor Abugri, Samson Lardy Anyenini, a confirmé le jugement à la Fondation des Media pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) lors d’une conversation téléphonique. Il explique que le tribunal, présidé par le juge Nicholas Abodakpi, a adopté les termes de l’accord que les parties avaient déposé.

« Ce sont les termes de l’accord que nous avons conclu avec eux (les défendeurs) après qu’ils ont délibérément retardé le procès  en présentant des allégations sans fondement », a déclaré l’avocat Anyenini.

La décision concerne la violation des droits de l’homme du journaliste qui, en 2019, a été enlevé et torturé par des agents de la sécurité nationale en raison de deux articles que sa plateforme avait publiés sur le ministre de la Sécurité nationale, Albert Kan Dapaah. Les agents de sécurité lourdement armés ont pris d’assaut les bureaux du journal en ligne le 27 juin 2019 et ont arrêté Emmanuel Ajarfor Abugri et Emmanuel Britwum, un reporter du même journal.

Emmanuel Emmanuel Ajafor Abugri a été enlevé et torturé par des agents de la sécurité nationale en raison de deux articles que sa plateforme avait publiés sur le ministre ghanéen de la sécurité nationale /Source : The Ghanaian Times

Sans dire ce qui leur était reproché ni présenter de mandat, les agents les ont fait monter dans une camionnette noire, ont recouvert leurs têtes dans des sacs en polyéthylène noirs et sont partis en trombe.

Après le quasi-enlèvement des journalistes, l’Association des journalistes ghanéens et la MFWA ont publié des déclarations condamnant cette action et exigeant la libération des journalistes. La MFWA a ensuite menacé d’intenter une action en justice.

Emmanuel Ajarfor Abugri a déclaré aux médias qu’il avait été soumis à la torture, notamment à des décharges électriques, pendant sa détention. Le Secrétariat à la sécurité nationale a nié les allégations du journaliste, affirmant que les deux hommes avaient été arrêtés pour s’être livrés à la cybercriminalité.

Le 5 juillet 2019, les Procureurs de l’État ont déposé des accusations de cybercriminalité contre Emmanuel Ajarfor Abugri, Emmanuel Britwum et un rédacteur en chef d’une autre station de radio locale, Peace FM, Obeng Manu, alléguant un accès illégal à un compte de messagerie appartenant à Peace FM.

L’avocat Anyenini a déclaré à la MFWA que les accusations de cybercriminalité faisaient partie des manigances auxquelles l’État avait eu recours pour se sauver la face.

« Comment pouvez-vous poursuivre le rédacteur en chef de Peace FM pour cybercriminalité, en affirmant que lui et les deux journalistes de ModernGhana ont accédé illégalement aux e-mails de Peace FM pour publier un article ? ». L’avocat Anyenini a posé une question rhétorique.

L’État a été contraint par la Haute Cour d’Accra d’abandonner les poursuites le premier jour où les journalistes ont comparu devant le tribunal, après que la juge, Afia Asare Botwe, a relevé des erreurs flagrantes dans leurs affirmations.

Ajarfor poursuit en justice

Pendant ce temps, M. Ajarfor a engagé le 11 juillet 2019 une action en justice contre le coordinateur de la sécurité nationale, l’inspecteur général de la police et le procureur général pour les tortures qu’il a subies aux mains des agents de la sécurité nationale.

Le journaliste a demandé à la division des droits de l’homme de la Haute Cour d’ordonner au procureur général de trouver, d’interpeller et de soumettre le coordinateur de la sécurité nationale et les fonctionnaires qui ont été impliqués dans la violation de ses droits humains à des poursuites ou à des sanctions pénales. En outre, M. Ajarfor Abugri a demandé à la Cour d’ordonner la libération et la remise immédiate et inconditionnelle de tous les objets saisis.

La demande de mise en œuvre des droits fondamentaux de M. Ajarfor a été déposée en son nom par Samson Lardy Anyenini qui travaillait avec une équipe juridique comprenant le Dr Justice Srem Sai et Nii Kpakpo Samoa Addo.

Le 8 Octobre 2021, la MFWA a conduit un groupe de journalistes qui avaient été maltraités, dont Emmanuel Ajarfor, pour engager un dialogue avec le ministre de la Sécurité nationale, l’honorable Albert Kan-Dapaah, sur une tendance croissante d’attaques de journalistes par des agents de sécurité.

La réunion a été convoquée par le ministre après que la MFWA a mobilisé 642 journalistes et partisans de la liberté de la presse pour demander au ministre et au Parlement de prendre des mesures pour mettre fin à la vague d’attaques contre les journalistes dans le pays. Le ministre a exprimé ses regrets pour ces incidents et a affirmé son engagement à protéger la sécurité des journalistes.

Une décision saluée avec prudence

Le jugement intervient à un moment très sombre pour la presse au Ghana – il coïncide avec le 4e anniversaire du meurtre macabre du journaliste d’investigation Ahmed Hussein Suale, abattu par des inconnus le 16 janvier 2019.

Elle devrait donc remonter le moral de la confrérie des médias au Ghana, qui a récemment fait l’objet d’attaques intenses, notamment de la part d’acteurs étatiques.

Cependant, l’avocat Lardy Anyenini a déclaré qu’il avait peu de raisons de se réjouir. « Si vous regardez la façon dont l’affaire s’est déroulée, les auteurs, qui sont des institutions étatiques, n’ont pas voulu reconnaître leurs fautes. Ils ont utilisé toutes sortes de tactiques dilatoires, y compris le dépôt de ces accusations de cybercriminalité sans fondement. Cela ne permet pas d’espérer que ces institutions se montreront à l’avenir protectrices des journalistes. »

L’avocat Anyenini a déclaré que sa consolation réside dans le fait que l’on peut compter sur les tribunaux pour rendre justice dans les cas de violation de la liberté de la presse.

Le jugement a été accueilli avec enthousiasme par les médias et les défenseurs de la liberté de la presse au Ghana.

« La MFWA salue la décision du tribunal qui est considérée comme une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité. Ceci est particulièrement significatif car les auteurs sont des institutions qui sont censées jouer un rôle de premier plan dans la protection des journalistes contre les attaques, mais qui ont malheureusement abdiqué cette responsabilité. Nous espérons que cette décision fera réagir ces institutions », a déclaré Muheeb Saeed, responsable du Programme de Liberté d’Expression à la MFWA.