La tentative de fermeture de 53 stations par le régulateur des médias déclenche une guerre constitutionnelle

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Le 8 septembre 2022, la Haute Cour Fédérale de Lagos a a prolongé une ordonnance antérieure empêchant ainsi le président Muhamadu Buhari et l’autorité de régulation des médias du Nigeria, La National Broadcasting Cooperation (NBC), de révoquer les licences de 53 stations de radiodiffusion en raison du non-renouvellement de leurs licences.

Dans une décision du Juge Daniel Emeka Osiagor, M. Buhari et la NBC ont été informés qu’ils ne pouvaient pas fermer les stations sans que soit entendue une motion de fond sur la constitutionnalité de la décision de la NBC de révoquer les licences.

Le juge Osiagor a ensuite ajourné l’affaire jusqu’au 26 octobre 2022.

L’histoire a été largement diffusée au Nigeria et est passée pour une de ces informations banales qui n’ont fait qu’une brève incursion parmi les préoccupations du gouvernement avant de s’éteindre. Cependant, cette histoire est loin d’être banale – sous le capot se cache une guerre constitutionnelle qui se prépare.

Les plaignants dans cette affaire demandent à la Cour de déclarer inconstitutionnelles certaines sections la loi organique qui établit la NBC, en particulier, celles qui lui confère le pouvoir de révoquer les licences.

La tournure inattendue des événements pour la NBC est que, pour avoir tenté de mettre des stations hors service à cause de l’octroi de licences, elle risquerait à présent de perdre ses crocs et de devenir un tigre inoffensif.

Origine

On se souviendra que la Guilde Nigériane des Rédacteurs (Nigerian Guild of Editors, NGE) et le Socio-Economic Rights and Accountability Project (SERAP) ont intenté en août une action en justice contre le président Buhari et la NBC pour leur utilisation arbitraire de la Loi organique de la NBC et du code de radiodiffusion, afin d’attaquer 53 stations radio qui n’avaient pas renouvelé leurs licences.

Le SERAP et le NGE ont intenté une action en justice contre le président Buhari et Lai Mohammed, le ministre de l’information du Nigeria | photo : fiscalposts.com

Cette décision a été prise après que la NBC ait révoqué les licences des 53 stations de radiodiffusion et menacé de mettre fin à leurs activités en espace de 24 heures en raison de dettes s’élevant à 2,6 milliards de dollars.

L’organisme de régulation avait ordonné aux stations de « payer tous les droits de licence impayés au plus tard le 23 août 2022, ou elles se verront obligée de fermer leurs portes le 24 août avant minuit.

Mais la NGE et le SERAP ont répondu par un procès (FHC/L/CS/1582/2022) devant la Haute Cour fédérale de Lagos, demandant au tribunal de « déterminer si la section 10(a) de la troisième annexe de la loi sur la radiodiffusion nationale utilisée par la NBC pour révoquer les licences des 53 stations n’est pas incompatible avec la liberté d’expression et l’accès à l’information tels mentionnés dans la constitution de 1999 ».

Dans une déclaration du secrétaire général de la NGE, Iyobosa Uwugiaren, et du directeur adjoint du SERAP, Kolawole Oluwadare, le Ministre de l’Information et de la Culture, M. Lai Mohammed, a été inclus dans procès en tant que défendeur.

Ligne de bataille entre la Constitution et la loi sur la Radio Diffusion

Les plaignants ont accusé la NBC d’agir ultra vires sur la base de la loi sur la Radio Diffusion et d’entraver, par conséquent, la liberté d’expression ouvertement garantie par la Constitution de la République fédérale.

En tentant de fermer les stations, la NBC tente également d’exercer un pouvoir judiciaire qu’elle ne détient pas, affirment les plaignants.

La NGE et le SERAP ont donc demandé à la Cour de déclarer que la section 10(a) de la loi sur la radiodiffusion, qu’elle tente d’utiliser pour fermer les stations, est en contradiction avec les dispositions de la Constitution nigériane relatives à la liberté de la presse et qu’elle est donc nulle et non avenue dans la mesure de son incohérence et de son incompatibilité.

La NGE et le SERAP ont également demandé à la Cour de déclarer que l’action arbitraire de la NBC visant à révoquer les licences et à mettre fin aux activités des stations est directement contraire aux articles 6 et 39(1) de la Constitution nigériane ainsi qu’aux traités relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Nigeria, et est donc nulle et non avenue et ultra vires.

Lois controversées

L’article 10 (a) de la loi sur la radiodiffusion octroie à la NBC le pouvoir de révoquer les licences des stations de radiodiffusion pour un certain nombre de motifs, dont le non-renouvellement de la licence.  Son premier paragraphe est ainsi libellé : « Une licence peut être révoquée par la Commission dans les cas suivants, à savoir : (a) lorsque la redevance prescrite n’a pas été payée à la date prévue ».

Cependant, comme le souligne la NGE, cette disposition est en contradiction avec l’article 39 de la Constitution du Nigeria, qui garantit le droit à la liberté d’expression et de la presse.

Les deux premières sous-sections de la l’article 39 de la Constitution sont les suivantes : « (1) Toute personne a droit à la liberté d’expression, y compris la liberté d’avoir des opinions et de recevoir et de communiquer des idées et des informations sans discrimination et recevoir et de communiquer des idées et des informations sans interférence ».

« (2) Sans préjudice de la généralité du paragraphe (1) de cette section, toute personne a le droit de posséder, d’établir et d’exploiter tout média pour la diffusion d’informations, d’idées et d’opinions. »

Les plaignants soutiennent également que la l’article 6 de la Constitution Fédérale confère tous les pouvoirs judiciaires aux autorités judiciaires et qu’en tentant de fermer les stations, la NBC s’attribuait illégitimement ces pouvoirs judiciaires.

Argumentation

Dans le procès, la NGE et le SERAP font valoir que « les dispositions de la Constitution nigériane et des traités relatifs aux droits de l’homme sur la liberté d’expression indiquent que ce droit (liberté de la presse) peut être exercé par n’importe quel moyen de communication ».

« Effectivement, ces dispositions reconnaissent que chaque individu a droit à une égalité des chances en ce qui concerne la réception, la recherche et la communication des informations par le biais de tout moyen de communication sans discrimination ».

Par conséquent, les plaignants ont déclaré que si l’utilisation de la loi sur la radio diffusion et du code de la NBC comme point d’appui pour fermer les stations en raison du non-renouvellement de licence est autorisée, elle serait l’instigatrice de la normalisation de l’utilisation arbitraire de ladite loi contre les organes de médias.

Selon les plaignants, conformément à la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, les processus d’octroi de licences sont censés promouvoir la diversité dans la radiodiffusion.

Autres réparations demandées

Les plaignants ont donc demandé à la Cour de déclarer que l’ordonnance de la NBC visant à révoquer les licences est contraire à l’intérêt public et aux principes directeurs de la liberté d’expression, et qu’elle doit donc être annulée.

Ils ont également demandé au Président d’ordonner à la NBC et au ministre de retirer les ordres de révocation conformément aux dispositions de l’article 39 de la Constitution nigériane et de l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Ils ont ensuite demandé une injonction perpétuelle empêchant le Président Buhari et la NBC de révoquer unilatéralement les licences des 53 stations de diffusion et de les fermer.

Injonction Provisoire

Cependant, le tribunal présidé par le juge Akintayo Aluko avait, le 29 août 2022, accordé une injonction provisoire empêchant le Président Buhari de révoquer les licences des stations et de mettre fin à leurs activités en attendant l’audience de la motion sur l’avis d’injonction interlocutoire.

Waterloo

Vu l’état actuel des choses, il semblerait que la décision de la NBC de fermer les 53 stations en raison du non-renouvellement de leurs licences ait eu un effet boomerang. Après avoir terrorisé les stations, la NBC risque maintenant de perdre ses crocs.

Si l’affaire de la NGE et du SERAP aboutit, alors à l’avenir la NBC cessera d’avoir le pouvoir de révoquer les licences des stations de radiodiffusion qui ne sont pas en mesure de renouveler leurs licences.