La Mairie de Kaloum, l’une des six communes de la capitale Conakry, a interdit un sit-in prévu par le Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG) pour dénoncer ce que le SPPG qualifie d’« allure liberticide de la HAC » (la Haute Autorité de la Communication). La décision de la Mairie a été communiquée le 27 septembre 2022 dans une déclaration sur la base que « les mesures administratives interdisant les manifestations notamment celles contenues dans les communiqués Nº0012/CNRD/2022 du 13 Mai 2022 et Nº0015/CNRD/2022 DU 31 Mai 2022 restent toujours en vigueur ». Les autorités ont également demandé au SPPG « d’aider à maintenir un climat de paix et de quiétude sociale pour donner plus de chance aux pourparlers entamés par les acteurs de la transition afin de permettre à notre pays de connaitre cette fois une transition réussite mais surtout apaisée ».
Ce refus s’inscrit dans le cadre d’une interdiction générale de manifester décrétée par la junte militaire. L’interdiction de manifester survient alors que le SPPG ainsi que plusieurs autres médias du pays avaient entrepris d’exprimer publiquement, le 28 septembre 2022, leur indignation face aux récents actes répressifs posés par la HAC.
Ces derniers temps, l’organe de régulation ne se laisse point freiner dans ce qui parait être un élan de musèlement de la liberté de la presse. Dans un récent coup de maitre, la HAC a suspendu trois journalistes de la radio Nostalgie Guinée et leur émission « Africa 2015 », pour une durée d’un mois. « Africa 2015 » est la principale émission politique de la radio privée.
Le 23 septembre 2022, la HAC a publié une déclaration communiquant la décision de suspendre les journalistes Mamadou Maté Bah, Minkaïlou Barry et Kalil Camara de toutes les émissions radiotélévisées du 23 septembre au 22 octobre 2022. Le régulateur leur reproche d’avoir manqué de professionnalisme et « violé l’éthique et la déontologie du journaliste, ainsi que le code de bonne conduite du journaliste guinéen » pendant l’émission.
La veille, « Africa 2015 » a accueilli Sékou Koundouno, le responsable de la stratégie et de planification du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un groupe de pression politique influent qui a été dissout par le gouvernement de transition en août dernier. Koundouno commentait sur les sanctions imposées à la Guinée par la CEDEAO et exhortait le gouvernement de transition à accélérer le processus permettant le retour à une démocratie constitutionnelle en Guinée.
La HAC estime que l’activiste du FNDC aurait tenu des propos qui incitent à la révolte populaire et proféré des injures publiques au cours de l’émission de grande écoute. Pour rappel, avant sa dissolution, le FNDC a tenu plusieurs réunions et organisé des manifestations pour exiger une transition plus courte et un calendrier pour des élections anticipées.
La décision de la HAC a surpris les journalistes qui ont rapporté qu’ils n’avaient reçu aucune notice au préalable. Kalil Camara, également directeur de publication du média en ligne kalenews.org, a confié
à la MFWA qu’ils ont appris la nouvelle de la suspension le 23 septembre aux alentours de 17 h 50 alors qu’ils se préparaient à prendre l’antenne à 18 h. La décision de suspendre les trois journalistes survient moins de deux semaines après la suspension pour 10 jours du journaliste N’Faly Guilavogui du Groupe Évasion Guinée. Encore une fois, la HAC reprochait aussi à Guilavogui d’avoir violé « l’éthique et la déontologie du journaliste et le code de bonne conduite du journaliste guinéen ». Le journaliste avait diffusé sur son média l’extrait d’une déclaration d’une association de jeunes de Konia, une communauté située à 62 km au nord de Conakry.
Ces récentes décisions de la HAC, sous prétexte de vouloir préserver l’éthique et la déontologie des médias et assurer la paix et la quiétude sociale en Guinée, mettent fortement en péril la liberté d’expression dans le pays. Elles encouragent davantage à l’autocensure et jettent les bases nécessaires à la suppression des voix critiques et dissidentes.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est profondément préoccupée par la vague de sanctions imposées par la HAC contre des journalistes sous divers prétextes. La MFWA exhorte cette dernière à revenir sur sa décision, disproportionnée par sa sévérité, à l’encontre des trois journalistes qui n’ont fait qu’offrir la possibilité aux autres citoyens de jouir de leurs droits à l’expression et à l’information.
Nous nous indignons également du refus au SPPG son droit de manifester et dénonçons la volonté de faire rétrécir l’espace civique en Guinée. Nous tenons à rappeler à la HAC la responsabilité qu’il lui incombe de défendre le droit des citoyens à l’information, et d’assurer la liberté ainsi que la protection de la presse.