Le 19 août, de manière inattendue, le régulateur du secteur de la radiodiffusion du Nigeria, la National Broadcasting Commission (NBC), a révoqué les licences de 52 stations de télévision et de radio.
Des poids lourds comme African Independent Television et Silverbird Television ont été touchés par le coup de marteau de la NBC, d’après une déclaration rendue publique par la NBC.
Les maisons de radiodiffusion des États de Lagos, Ogun, Rivers, Katsina, Imo, Sokoto et Kaduna ont également été touchées.
La NBC a déclaré que cette décision était la conséquence de l’endettement des stations à son égard, qui s’élève à environ 2,6 milliards de NGN (6,1 millions de dollars).
L’institution de régulation a expliqué qu’au mois de Mai, par le biais d’une publication dans les journaux, il avait demandé aux stations concernées de renouveler leurs licences et de payer leurs dettes dans un délai de deux semaines, sous peine de voir leurs licences révoquées et leurs fréquences retirées.
« Trois mois après la publication, certains titulaires de licences n’ont toujours pas payé leurs dettes, en violation de la loi sur la National Broadcasting Commission CAP N11, Constitution de l’Etat Fédéral du Nigeria, 2004, en particulier la section 10(a) de la troisième annexe de la constitution », a déclaré la NBC.
« Au vu du déroulement des évènements, la poursuite des opérations des stations débitrices est illégale et constitue une menace pour la sécurité nationale », a ajouté le régulateur.
Le directeur général de la NBC, Balarabe Ilelah, a déclaré aux journalistes au siège de la commission à Abuja que toutes les stations de télévision et de radio concernées devaient cesser leurs activités dans les prochaines 24 heures.
La NBC a déclaré qu’elle collaborait avec les agences de sécurité du pays pour s’assurer que les organismes de radiodiffusion concernés respectent l’ordre de fermeture.
La décision de l’autorité de régulation a toutefois suscité une avalanche de critiques de la part des défenseurs des médias et de la liberté de la presse.
Chris Isiguzo, Président de la Nigeria Union of Journalists (NUJ), a qualifié la décision de la NBC de « précipitée, inopportune et imprudente ».
« Il convient de noter que cette révocation en bloc des licences en cette période critique d’insécurité dans le pays semble être une décision prise sans réel temps de réflexion, sans consultation ou concertation », a affirmé M. Isiguzo dans une déclaration obtenu par la Fondation de Médias pour l’Afrique de l’Ouest.
« Bien que nous regrettions l’incapacité de ces stations de radiodiffusion à remplir leurs obligations envers la NBC en raison d’un manque considérable de moyens, nous déplorons une répression aussi colossale des stations de radiodiffusion sans prendre compte des questions de sécurité et des conséquences qui en découlent. Nous ne pourrons pas supporter les conséquences néfastes d’un tel black-out médiatique en ce moment », a ajouté M. Isiguzo.
Mustapha Isah et Iyobosa Uwugiaren, respectivement président et secrétaire général de la Nigerian Guild of Editors (NGE), ont appelé à une annulation immédiate des sanctions de la NBC.
« La NGE s’inquiète car les médias, qui ont joué et continuent de jouer un rôle dans l’application et le développement de la démocratie, ne peuvent pas simplement être mis hors antenne, quelles que soient les raisons », ont déclaré Isah et Uwugiaren.
« Bien que la Guilde ne s’oppose pas à ce que les stations de radiodiffusion remplissent leurs obligations financières envers la NBC, nous constatons que la NBC n’a pas tenu compte de l’environnement opérationnel difficile actuel qui a paralysé tous les secteurs de notre pays avant d’agir. »
Un groupe de défense des droits, Socio-Economic Rights and Accountability Project (SERAP), a annoncé qu’il allait poursuivre le gouvernement du Président Muhammadu Buhari, étant l’autorité sous laquelle la NBC opère.
« Nous poursuivons le bureau de Buhari pour sa décision arbitraire de révoquer les licences de 52 stations de radiodiffusion et de priver le public de l’accès aux informations sur les évènements cruciaux qui se déroulent au Nigeria dont le public a le droit de connaître », a déclaré la SERAP.
Certains Nigérians se sont demandés pourquoi la NBC a pris cette mesure à une période où les citoyens ont besoin d’informations importantes qui définiront leurs choix lors des prochaines élections de 2023.
« Comment la NBC peut-elle révoquer les licences de diffusion de 52 stations au Nigeria en cette période électorale cruciale ???? Ceci est un mauvais timing et une violation de la liberté d’information et des droits des citoyens », a posté sur Twitter le Dr Doris Morah, experte en nouveaux médias.
La NBC a été critiquée ces derniers temps pour avoir été utilisée par le gouvernement fédéral comme un outil oppression a la liberté de la presse et les droits des médias au Nigeria.
À différentes occasions, la NBC, perçue comme pro-gouvernementale par de nombreux Nigérians, a sanctionné des médias pour avoir diffusé ou publié des articles jugés nuisibles à l’image du gouvernement.
Par exemple, le 3 août dernier, la NBC a imposé des amendes de 5 millions de NGN (11 700 USD) à BBC Africa et Trust TV pour avoir diffusé conjointement un documentaire exposant les seigneurs de guerre des enlèvements et de l’insécurité au Nigeria.
Lai Mohammed, le ministre de l’information, a qualifié la diffusion du documentaire de “non professionnelle”, affirmant que des interviews avaient été accordées à des chefs de guerre de l’insécurité et à des gangs terroristes, perpétrant ainsi la “terreur” dans le pays.
Le 26 octobre 2020, la NBC a également infligé une amende à Arise TV, African Independent Television et Channels Television pour leur couverture constante des manifestations #EndSARS.
Le régulateur de la radiodiffusion aurait affirmé que les médias avaient joué un rôle dans les manifestations contre la brutalité policière, qui se sont terminées le 20 octobre 2020, après que les forces militaires ont prétendument tiré et tué des manifestants au péage de Lekki à Lagos.
De plus, le 26 avril 2021, la NBC a infligé une amende à Channels TV pour avoir diffusé une interview de Nnamdi Kanu, le leader désormais détenu du Peuple indigène du Biafra, un groupe sécessionniste du sud-est du Nigeria. Un mois plus tard, le régulateur a également infligé une amende à une station de radio privée, Inspiration FM, pour avoir diffusé l’interview de Kanu.
Réagissant à la dernière fermeture massive de stations de radiodiffusion, le Centre international de Presse (IPC), l’organisation partenaire de MFWA au Nigeria, a déclaré que cette action confirme son opinion sur le fait que la NBC exerce ses pouvoirs de manière arbitraire sans tenir compte de l’intérêt public. Elle a qualifié d’agressif l’appel du régulateur aux agents de sécurité pour intervenir et faire respecter l’ordre de fermeture.
L’IPC a souligné les défis économiques auxquels fait face le Nigéria et leurs effets sur l’industrie des médias et a conseillée la NBC d’informer les chaines médiatiques avant de prendre une décision qui entraînerait des pertes d’emplois et la réduction de l’espace de diffusion de l’information.
La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) se joint à son organisation partenaire, l’IPC, et à d’autres parties prenantes au Nigeria pour demander la suspension de l’ordre de fermeture en faveur d’un dialogue plus approfondi. Bien que nous reconnaissions la nécessité pour les médias de s’acquitter de leurs obligations réglementaires, l’application des statuts réglementaires doit se faire de manière à ce que cela ne porte pas atteinte au droit à l’information du public tel garanti la section 39 de la constitution nigériane.