Un collage de quelques journalistes qui ont été tués au cours des cinq dernières années dans l’exercice de leurs fonctions.
Alors que le monde célèbre aujourd’hui la Journée internationale de la fin de l’impunité des crimes contre les journalistes, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) en appelle aux gouvernements et autorités étatiques compétentes de toute l’Afrique de l’Ouest à prendre des mesures en vue de la protéger les droits et les libertés des journalistes et garantir la réparation des violations commises à l’encontre des professionnels des médias.
L’environnement idéal pour une démocratie florissante est celui dans lequel les journalistes évoluent et sentent non seulement que leurs libertés sont garanties et leur sécurité assurée, mais où ils sont également habilités à remplir efficacement leur rôle de gardien de la société.
Nous avons noté avec une grande inquiétude la peur et le danger croissants qui entourent le travail des journalistes de par le continent. De nombreux journalistes déclarent aujourd’hui qu’ils ne se sentent pas en sécurité à la suite d’attaques et de menaces contre leur vie.
En effet, au cours des cinq dernières années, des centaines de journalistes ont été victimes d’un large éventail de violations, dont des agressions physiques, des arrestations et détentions, des emprisonnements, des menaces et même des meurtres. Un rapport récent produit conjointement par la MFWA et la Nigeria Union of Journalists (NUJ) a révélé que plus de 300 violations de la liberté de la presse ont été enregistrées au Nigeria au cours des six dernières années. Parmi ces violations figurent les meurtres non élucidés de sept journalistes. Un autre journaliste a été assassiné par la suite.
Le Ghana, qui a longtemps été présenté comme un pays ayant une culture de respect de la liberté de la presse et des opinions divergentes, a, au cours de la même période, pris un mauvais tournant. Le 16 janvier 2019, un journaliste d’investigation, Ahmed Suale, a été assassiné de sang-froid et les auteurs n’ont toujours pas été retrouvés. Le 23 août 2021, un journaliste britannique, Syed Taalay Ahmed, a été tué par des voleurs armés dans le nord du Ghana, où l’homme de 31 ans tournait un documentaire pour la télévision musulmane Ahmadiyya International (MTA), basée à Londres. Bien que Taalay Ahmed n’ait pas été visé en raison de son travail, il est évident, quoique triste, qu’il a été tué alors qu’il exerçait ses fonctions de journaliste.
Cette année en Afrique de l’Ouest, quatre journalistes ont été tués dont deux ressortissants étrangers attaqués par des rebelles au Burkina Faso. Un troisième ressortissant étranger a été tué dans l’exercice de ses fonctions par des voleurs armés au Ghana, tandis que des inconnus ont abattu un journaliste au Nigeria.
Selon l’UNESCO, au cours de la dernière décennie, un journaliste est assassiné tous les quatre jours, neuf auteurs sur dix s’en tirant à bon compte. En 2020, 62 journalistes ont été tués dans le monde. L’absence quasi absolue de réparations ou de prise de responsabilité pour ces violations et bien d’autres telles que les détentions arbitraires, les agressions physiques et la torture, les menaces et le harcèlement judiciaire équivaut à un échec quasi total des efforts nationaux et mondiaux pour lutter contre l’impunité des crimes contre les journalistes.
La régression démocratique et son impact sur les médias
Le recul de la liberté de la presse observés au Nigeria et au Ghana reflète une tendance générale à la détérioration de l’environnement de la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest, à l’image de la chute des normes démocratiques dans la sous-région. L’Afrique de l’Ouest s’est effectivement débarrassée de la domination des hommes forts après la chute des deux derniers dictateurs les plus obstinés, Blaise Compaoré (Burkina Faso) et Yahyah Jammeh (Gambie).
Cependant, après s’être ensuite attiré les applaudissements de la communauté internationale pour son respect de la limitation des mandats présidentiels et sa tradition d’alternance pacifique des régimes par le biais d’élections, l’Afrique de l’Ouest compte désormais deux pays sous régime militaire : le Mali et la Guinée. Les crises politiques en Guinée et les résultats électoraux contestés en Guinée-Bissau ont créé un environnement toxique pour les médias dans ces deux pays. Le nord du Nigéria, le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont en proie à des insurrections armées qui ont créé un environnement extrêmement dangereux pour les journalistes dans les zones sahéliennes.
Un groupe armé a récemment tué deux journalistes étrangers au Burkina Faso. Toure, rédacteur en chef de journal, a disparu au Mali en 2016 et on craint qu’il ne soit mort. Au Niger, un certain nombre de journalistes ont été mis en prison en vertu d’une loi sur la cybercriminalité qui a été promulguée apparemment pour empêcher les publications en ligne qui pourraient nuire aux opérations antiterroristes de l’armée. Le Burkina Faso dispose d’une loi similaire qui a effectivement étouffé tout reportage critique sur le terrorisme.
L’arrestation et l’emprisonnement du journaliste béninois Ignace Sossou illustrent l’utilisation abusive des lois contre les fausses informations par les autorités ouest-africaines pour étouffer le journalisme critique en ligne. Sossou a été emprisonné pendant un an après que le procureur général du Bénin l’a accusé d’avoir publié de fausses informations sur Twitter. Bien qu’il ait présenté des preuves audios montrant que les journalistes avaient fidèlement cité une partie du discours de conférence du Procureur, le tribunal l’a condamné à 18 mois de prison.
Avancées positives
Dans toute la région de l’Afrique de l’Ouest, un certain nombre de mesures ont été prises ces dernières années pour faire en sorte que les journalistes aient accès aux informations essentielles, travaillent dans un environnement sûr et soient moins brutalisés pour leurs publications. Ainsi, la Sierra Leone a décriminalisé la loi sur la diffamation, qui était une arme mortelle contre les journalistes, tandis que la Gambie et le Ghana ont adopté des lois sur le droit d’accès à l’information qui ont donné aux journalistes et aux autres parties intéressées un accès sans précédent aux informations publiques.
En tant qu’organisation de développement des médias, la MFWA a organisé et continue d’organiser un certain nombre d’ateliers et de forums visant à protéger les journalistes et à faire en sorte que la presse ne soit pas muselée. Notre travail a eu de nombreux impacts en l’Afrique de l’Ouest, notamment l’organisation de forums et la production d’un rapport sur les pratiques de sécurité des journalistes dans les organisations de médias au Ghana, au Liberia et en Sierra Leone. Nous avons également formé quelque 210 journalistes aux pratiques de sécurité des journalistes au Ghana, au Liberia et en Sierra Leone.
Étant donné que les médias ont besoin de la confiance du public pour recevoir le soutien dont ils ont besoin, les journalistes doivent gagner cette confiance par un travail de qualité qui contribue visiblement au développement. À cet égard, la MFWA a surveillé près de 100 stations de radio pour détecter les infractions à la déontologie, l’utilisation de discours haineux et d’autres expressions incendiaires avant, pendant et après les élections au Ghana et au Niger. Le contrôle des excès possibles a contribué au succès relatif des élections dans ces deux pays, malgré quelques escarmouches post-électorales.
Recommandations
Au total, la situation de la sécurité des journalistes dans la région reste sombre et inquiétante. Elle nécessite les efforts de toutes les parties prenantes pour apporter un changement positif. À cette fin, et en accord avec le thème, pour la célébration de cette année, la MFWA demande instamment :
- Les services de poursuites (la police, les services de renseignements, les procureurs et les tribunaux) doivent apprendre à apprécier le rôle important des médias et à traiter avec le sérieux nécessaire les attaques contre les journalistes.
- Les tribunaux doivent prononcer des peines suffisamment dissuasives et accorder des indemnisations proportionnelles à la gravité du préjudice subi et aux frais de justice engagés.
- Les institutions publiques doivent collaborer avec les journalistes en tant que partenaires au développement afin de mettre en place des systèmes plus solides qui garantissent les libertés individuelles et celles des médias, qui sont des éléments clés de la construction d’une nation.
- Les responsables des médias doivent mettre en place des pratiques et des protocoles de sécurité efficaces, dispenser une formation à la sécurité et fournir des outils et des équipements de sécurité appropriés à leurs journalistes.
Les journalistes et leurs employeurs doivent signaler les agressions à la police et assurer un suivi jusqu’à ce que justice soit rendue.