Par Edzodzi Kokou Ahiadou, Associé de Programme, Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest
Le 29 Juillet 2018, la population du Mali se rendra aux urnes pour élire leur plus haut dirigeant qui devra présider à la destinée du pays pour un mandat de cinq ans et tenter d’apporter des solutions aux nombreux problèmes de développement socio-économique du pays. Le processus intervient dans un contexte où l’on a enregistré de graves défis sécuritaires avec l’expansion des activités des groupes extrémistes au nord et au centre du pays.
Le climat d’insécurité n’est pas seulement une préoccupation personnelle et publique, mais a aussi des implications pour la sécurité des journalistes. Les professionnels des médias sont déjà exposés à des menaces d’agressions physiques qui les conduisent à une large autocensure.
La sécurité des journalistes pourrait davantage se détériorer durant la période électorale si aucune mesure concrète n’est prise pour assurer la sécurité et la protection des médias. Ceci est crucial au regard du rôle vital que les médias sont appelés à jouer pour assurer le bon déroulement des élections crédibles et pacifiques.
Autrefois stable et pacifique avec un environnement favorable aux médias, le Mali a été plongé dans une crise politique au début des années 2012, conduisant ainsi à une détérioration significative des droits de l’homme et des conditions de la liberté de la presse dans le pays.
Durant la crise, plusieurs organisations des médias ont été vandalisées ou fermées majoritairement par les groupes rebelles. Aussi, plusieurs journalistes ont souffert de diverses formes d’harcèlement et d’attaques physiques.
En 2013, lorsque l’on pensait que la situation s’est améliorée, deux journalistes français; Ghislaine Dupont et Claude Verlon de Radio France Internationale ont été enlevés puis tuésà Kidal par un groupe armé. Les auteurs de ce crime ne sont pas encore punis.
En 2015, des inconnus armés ont tué Joël Dicko, un journaliste de la radio communautaire; Radio Tahint ouverte au début des insurrections au nord du Mali pour promouvoir la paix et la réconciliation. Les assassins du Dicko sont demeurés inconnus et on ne sait pas exactement les mesures prises par la police pour que justice soit rendue.
Le 25 Juillet 2017, un bloggeur, Modou Kante, populairement connu sous le nom de Marshal Modou, a survécu à une tentative d’assassinat après avoir reçu en plein poitrine une balle tirée par des assaillants.
En Février 2016, Birama Touré journaliste de la presseSphinxa été porté disparu. Aucun rapport d’investigation n’a été rendu public jusqu’à ce jour sur sa disparition. La fraternité des médias au Mali et la famille de Toure ont plus de peur que le journaliste ait simplement disparu.
Le 13 Avril 2018, des policiers ont physiquement attaqué Mamadou Sacko du journal le Prétoire. Mamadou a été agressé pour avoir filmé la démolition d’un garage par ces derniers.
Doumba Dembele, un journaliste de la Radio Kledu, a été de façon similaire brutaliséet publiquement humilié par des gardes du Président Ibrahim Boubacar Keita le 25 Avril 2018. Cet incident s’est produit lorsque Dembele couvrait la cérémonie d’inauguration d’un échangeur par le Président.
Outre les violations sur les journalistes, il y a eu aussi des violations des droits à la liberté d’expression en ligne. Les autorités ont coupé l’internet et perturbé l’accès aux réseaux sociaux au cours des deux années écoulées.
Le premier incident de perturbation d’internet a eu lieu le 14 Juin 2017, lorsque les partis politiques d’oppositions ont organisé une manifestation pour s’opposer à un referendum controversé qui donnait des pouvoirs élargis au président Ibrahim Boubacar Keita.
Le 17 Août 2016, tous les réseaux sociaux au Mali ont été perturbés suite à l’affrontement entre des policiers et la population lors de l’arrestation et la présentation devant la justice du journaliste et activiste Ras Bath pour avoir critiqué un leader religieux. Une personne avait trouvé la mort lors des affrontements.
Au regard de ces incidents, il est fort à craindre qu’avec les prochaines élections les réseaux sociaux pourraient subir une possible coupure ou perturbation.
Ces incidents ci-dessus ne sont guère les conditions idoines de la liberté de presse et d’expression pour le bon déroulement des élections dans n’importe quel pays. Pour le Mali, qui est en proie à des défis sécuritaires au cours de ces années passées, la situation est beaucoup plus préoccupante.
C’est donc important pour les médias, les organisations de la société civile, les services de forces de sécurité et autres institutions importantes d’Etat de reconnaitre la menace et de travailler ensemble pour garantir un environnement propice pour les élections qui auront lieu dans quelques jours.
Il ne peut y avoir d’élections crédibles sans un média libre, vibrant et pluraliste. Les citoyens comptent sur les médias pour prendre des décisions informées tandis que les acteurs politiques ont besoin des plateformes de médias pour appeler ou envoyer leurs messages à leurs électorats.
Les réseaux sociaux jouent aussi un rôle critique croissant dans l’habilitation des citoyens à la participation aux processus de gouvernance. Les autorités doivent donc s’engager à ne pas couper l’internet, non seulement durant les élections, mais à tout moment.
Finalement, la MFWA demande à tous les citoyens de faire preuve du sens élevé de patriotisme, d’engagement et de responsabilité pour la paix et l’unité avant, durant et après les élections.